Actrice et comédienne québécoise, Gabrielle Boulianne-Tremblay dévoile dans ce premier récit d’autofiction son parcours de transidentité, mais pas seulement. Paru en 2021 au Québec, il est sorti en France en octobre aux éditions JC Lattès.
Récipiendaire du prix des libraires au Québec l’année dernière, ce livre important et nécessaire est le témoin d’une littérature qui laisse enfin la place aux personnes trans pour se raconter elles-mêmes. Rencontre.
Interview de Gabrielle Boulianne-Tremblay, autrice de « La fille d’elle-même » (JC Lattès)
Madmoizelle. Pourquoi as-tu écrit ce livre ?
Gabrielle Boulianne-Tremblay. J’ai commencé sa rédaction quand j’avais quinze ans et ça m’a pris quinze autres années de l’écrire. C’était à la base une œuvre de fiction, qui s’est transformée en auto-fiction, après avoir lu les livres de Nelly Arcan, qui m’ont bouleversée. Je ne connaissais pas ce genre littéraire, ç’a été une révélation. Je me suis rendu compte que la fiction était une façon de m’effacer et ayant passé ma vie de femme trans à être un fantôme, l’auto-fiction me redonnait une opacité en tant qu’être humain.
Je voulais parler de transidentité, mais aussi aborder les questions de dynamiques familiales, d’injustices, d’amitiés.
Je viens d’un milieu rural, j’ai grandi dans les années 90, je n’avais aucune représentation. J’ai voulu écrire aussi pour cela.
La partie sur l’enfance prend une bonne moitié de l’histoire, pourquoi était-ce important de retranscrire cette période de ta vie ?
C’est très important pour moi de savoir d’où on vient pour aller où on va. Retranscrire via les yeux d’un enfant, mais avec une voix adulte cette période, était l’occasion d’avoir une revanche sur le passé, sur des événements qui ne se sont pas déroulés comme j’aurais voulu. C’est une partie remplie d’amour face à l’enfant que j’ai été.
Il y a aussi de très beau passage sur le milieu queer et le milieu drag, comment as-tu voulu retranscrire ces espaces ?
Ayant fait partie de cette scène dans ma vingtaine, je voulais rendre hommage à cette night life qui est très lumineuse. J’y ai fait la rencontre d’une famille choisie, une famille queer qui a célébré la femme que je suis, qui m’a fait réaliser que c’était légitime de vivre la vie que je vis. Je voulais avoir un œil anthropologique sur la fabrication d’une confiance en soi qui nait lors de ces soirées.
À la façon d’un nénuphar qui pousse à travers l’eau stagnante, le personnage passe par des moments difficiles, mais éclot au grand jour.
Il y a une question importante d’un point de vue littéraire qui traverse ton œuvre, c’est l’usage des pronoms. Le personnage est perçu comme un petit garçon, mais se genre toujours au féminin. Comment as-tu travaillé ton texte par rapport à ce sujet ?
D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours référencée à moi-même au féminin. Je voulais que ce soit un roman immersif, avec une protagoniste sans prénom. Pour moi, c’était important que l’on voie la violence que ça cause intérieurement d’être mégenrée, même si le personnage enfant ne sait pas encore qu’elle est une femme, c’est un sentiment tellement puissant. Je voulais sensibiliser à l’usage des bons pronoms pour les personnes trans.
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La question de l’amour est également phare dans ton livre, pourquoi ?
Je trouvais intéressant de dépeindre une relation amoureuse qui commence entre deux personnes homosexuelles à la base, mais dont l’un est une femme trans qui n’a pas encore fait son coming-out. Son amoureux qui, à la base, est une personne bienveillante, se transforme en antagoniste, et veut l’étouffer sous une cloche de verre, pour reprendre Sylvia Plath. C’était important de le décrire, car ce sont des dynamiques qui sont omniprésentes pour beaucoup de personnes trans.
Toutes les personnes trans devraient être primées pour avoir survécu à tant de violences, pour leur résilience, on est des personnes très courageuses. Ce roman montre une partie de ce courage-là, être une femme trans au quotidien.
Peux-tu nous raconter le succès qu’il y a eu au Québec autour de ton roman à sa sortie en 2021 ?
J’ai reçu un accueil dithyrambique ! C’était la première œuvre d’autofiction francophone écrit par une femme trans au Québec. Il n’y a rien de mieux que l’œuvre d’une personne concernée pour ouvrir les consciences. J’ai constaté cet engouement, et je pense qu’il y a dix ans, ce livre n’aurait pas pu voir le jour.
Les livres sont pour moi des phares dans la nuit, des talismans d’espoir, il est arrivé au bon moment pour beaucoup de personnes qui se questionnaient sur les transidentités.
Ce n’est pas un manuel, il y a une multitude de façons d’être trans. Ça donnait un bon aperçu sans tomber dans la didactique. Des pères de famille m’ont écrit pour me dire “merci, grâce à ton livre, je comprends mieux ma fille.” Ça, ça n’a pas de prix !
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Pour conclure, quels retours as-tu reçus en France sur ton livre ?
C’est un super accueil ! Je recommence comme au début, car on ne me connaît pas du tout en France. C’est hyper stimulant d’aller à la rencontre d’un nouveau public, d’un nouveau lectorat. C’est intéressant de voir ce qu’on retient d’un roman d’un peuple à l’autre. Je sens que le livre rejoint son public et je suis très heureuse que les Français lui fassent une place dans leur cœur.
La fille d’elle-même, Gabrielle Boulianne-Tremblay, éditions JC Lattès.
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