Après avoir causé, le long d’une trentaine d’articles, de la société japonaise, des différences culturelles avec la France, de ce qui me surprend, m’étonne, m’interroge ou me fait sourire dans ce pays, il devient difficile de ne pas parler de l’accident de Fukushima et du séisme qui a dévasté le Tohoku.
Je vis dans le Kanto, la région du grand Tokyo, et les événements de mars 2011 sont encore présents, de bien des manières.
Des conséquences qui durent
Je suis arrivée au Japon plus d’un an après la catastrophe, dont je n’ai pas vécu le traumatisme ; j’ai juste lu, vu, entendu les conséquences au travers des médias français.
La presse, la télé comme la radio se sont très vites concentrées sur l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima et ses répercussions en matière de sécurité mondiale et de santé publique — une inquiétude partagée par les locaux autant que par les expatriés.
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Le riz cultivé au Tohoku n’a pas les faveurs des consommateurs, et je regarde attentivement la provenance des champignons et légumes à feuilles, réputés pour concentrer particulièrement la pollution radioactive.
L’accident, la révélation des négligences humaines et de la collusion des pouvoirs publics autour des dispositifs de sécurité ont conduit le Japon à arrêter toutes ses centrales. Les économies d’énergie sont donc au rendez-vous depuis mars 2011 (seules 2 des 54 réacteurs ont redémarré depuis) : des néons ont été retirés dans les rames de métro, les entreprises et les particuliers sont priés de régler leur climatiseurs au-dessus de 28°C en ét, des panneaux solaires fleurissent à la place des rizières, l’État rachetant cette énergie à un prix intéressant…
Des manifestations anti-nucléaires défilent dans la capitale tandis que des opérations ponctuelles proposent à la vente des légumes cultivés dans la région de Fukushima, pour soutenir l’économie locale. On invite les salariés à s’habiller « cool business » l’été, à savoir sans veste ni cravate, en manches courtes, pour éviter le recours à la climatisation. Le niveau d’alerte aux tremblements de terre a été abaissé.
Le retour du nucléaire
Avant la catastrophe de mars 2011, le gouvernement s’était engagé dans une montée de la part nucléaire dans la production énergétique du pays, pour atteindre 50% en 2030.
La politique n’était pas de développer d’autres sources d’énergie, d’où un retournement de veste particulièrement difficile… Le premier ministre en fonction au moment des événements souhaitait voir le Japon abandonner cette énergie, mais ce n’est pourtant pas le schéma qui s’annonce
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Le nouveau gouvernement de Shinzo Abe, élu démocratiquement il y a moins d’un an, souhaite, à défaut de construire de nouvelles installations, réactiver tous les réacteurs nucléaires jugés sûrs.
Les normes de sécurité ont été renforcées, et pour redémarrer, les centrales doivent évidemment s’y conformer mais aussi obtenir l’aval des élus locaux concernés… Lesquels risquent par conséquent de se mettre leur électorat à dos. La relance du nucléaire civil est promise pour l’automne.
Le tourisme international s’est effondré en 2011, mais a repris son rythme à peu près normal depuis ; par contre, les touristes ne vont plus dans la région de Sendai, que traversait une toute nouvelle ligne de Shinkansen.
Des agences de voyage commercialisent désormais des circuits consacrés à la reconstruction du Tohoku, pour démontrer le dynamisme et la revanche de cette région ravagée par l’incroyable tsunami qui a détruit la côte. En essayant d’oublier très fort que le césium 137 est là pour quelques centaines d’années…
Le Tohoku ravagé
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Des banderoles à Tokyo, portant des messages de soutien au Tohoku
La destruction de la partie côtière du Tohoku a fait l’objet d’images dramatiques : voitures sur le toit des immeubles, corps emportés, monstrueuse boue charriant des bus comme des arbres…
Côté français, les commentateurs ont loué la dignité des Japonais, leur capacité à prendre sur eux, à encaisser. Le livre du journaliste Kôta Ishii (Mille cercueils, Le Seuil) montre tout autre chose : sur place dès le lendemain du raz-de-marée, il recueille les témoignages et retrace la façon dont se sont organisées les choses dans une des communes dévastées.
La petite ville de Kamaishi, entre activité portuaire et industrie, a changé de visage le 11 mars 2011. La vague est entrée dans le port en y détruisant tout ; c’est l’autre moitié de la ville, épargnée, qui a dû gérer la crise.
Plus de mille morts, aucun survivant, et le chaos soudain
Hommes et femmes de bonne volonté, pompiers volontaires, personnel de mairie se coltinent l’inimaginable : plus d’un millier de morts en quelques minutes.
Le reporter explique comment la population a été prise de court par l’ampleur de la vague. Comment les civils ont cherché les cadavres (pas un seul survivant retrouvé), comment les médecins de ville et les dentistes ont dû procéder à l’identification des victimes et aux actes de décès, comment il a fallu réquisitionner les gymnases pour y aligner les centaines de corps et organiser la présentation aux familles, comment ils se sont battus pour obtenir une crémation pour tout le monde (la mise en terre des corps ne respecte pas les croyances japonaises), et puis les cris des familles, le désespoir devant le nombre de corps qui double tous les jours, le sable dans la gorge des noyés, la mer qui rend difficilement ses victimes, les alertes à la radio-activité qui ont interrompu de nombreuses fois les recherches, pour protéger ceux qui étaient encore debout…
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Ce récit bouleversant, traduit par un collectif bénévole, permet de réaliser la brutalité de cette vague destructrice qui a fait 20 000 morts, causée par un violent séisme – comme il y en a parfois.
Mais si on ne peut rien contre la puissance de la mer et le sol qui a décidé de se mettre en vrac, en revanche, l’accident nucléaire et ses milliers de relocalisés, ses rejets dans la mer, son combustible à évacuer et sa pollution tenace ont été forgés par l’homme.
J’ai pris la décision de partir au Japon après avoir consulté les expatriés déjà sur place. Et toi, serais-tu prête à aller au Japon ?
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Le petit mot de la rédac : un ÉNORME merci à Laetitia qui vous offre ici sa dernière Carte postale du Japon ! Elle nous a (et vous a) fait découvrir tant de choses sur le pays du Soleil Levant et a lancé les séries de cartes postales sur madmoiZelle, alors à la rédac, on s’incline bien bas et on lui souhaite PLEIN de bonnes choses !
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Les Commentaires
@Laetitia H
Tu devrais devenir journaliste (enthousiasme) ! En tout cas j'espère que tu continueras à écrire, sur le Japon ou autre chose...