Les prénoms ont été modifiés.
« Ton père est toxique. »
C’est ce qu’un ami m’a dit un jour. Parfois, on me demande aussi s’il est vivant. Car après tout, je ne le mentionne jamais. On me demande d’ailleurs pourquoi je n’en parle pas, ou pourquoi je parle de lui comme d’un étranger.
Peu de gens intègrent mon opinion à son sujet. Pour eux, on ne peut pas se détacher de son père de cette façon. On ne peut pas ne plus l’aimer. C’est trop étrange. Alors souvent, ils restent muets.
Or je tiens à prouver le contraire à travers ce témoignage. Je veux prouver qu’une relation aussi particulière avec son paternel existe, montrer à quel point prononcer le mot « papa » est difficile pour moi. Et surtout, je veux vous prouver qu’il ne faut pas se forcer à entretenir une relation toxique, même dans la famille.
Mon père est… Je n’arrive jamais à finir cette phrase. Tout simplement parce que je ne sais pas quoi y mettre. Pour cet article et tout simplement pour moi, je vais la compléter de façon chronologique. Chaque phrase correspond à une période de vie de notre famille.
Mon père est infidèle
Richard – appelons le ainsi – naquit le jour de la Saint Innocent en 1948. Malheureusement pour lui et pour sa famille, on ne peut pas dire que c’était sa spécialité.
Richard se maria avec Claire, d’environ 10 ans de moins que lui. Et tandis qu’il révisait la plomberie de ses chantiers et de ses maîtresses, ils eurent deux beaux fils : Baptiste et Guillaume.
Il se trouve que la dernière amante de mon père était ma mère. Elle se nomme aussi Claire, mais a 22 ans de moins. Richard a donc de toute évidence une préférence pour les petites jeunettes prénommées Claire. Le p’tit filou.
Il quitta sa femme pour vivre avec ma mère qui tomba enceinte de moi. Tandis que Baptiste vécut un an auprès de nous, son petit frère de 10 ans dû gérer seul l’absence d’un père et la dépression d’une mère.
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Mon père est gentil
Petite, en plein complexe oedipien, j’adorais mon père et détestais ma mère. Richard, quoique souvent au travail, était pour moi meilleur que ma maman qui ne faisait que chouchouter mon petit frère né un an et demi plus tard. Seb remplissait parfaitement son rôle de petit frère détestable à l’époque.
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Mon père est alcoolique
Mes parents avaient cette habitude de prendre l’apéro. Ma mère modérément, mon père pas vraiment. Il aime le whisky, mon papa.
Il n’était pas alcoolique au point d’être violent, non. Loin de là. Il était plutôt du genre à s’endormir sur le canapé, son verre de whisky à la main et un mégot de cigarette dans l’autre. Au point parfois que mon petit frère devait le ramener dans sa chambre et le déshabiller à sa place.
Il y avait cet odeur. Cette odeur de sueur, d’alcool et de clope. Je ne pouvais la supporter. Et cette odeur, mon père l’avait chaque soir. Lorsque je repense à son contact, j’ai la nausée. Je ne veux pas qu’il me touche. Je ne lui fais jamais la bise et aucun signe affectif. Car dès qu’il m’effleure, j’ai inlassablement ce sentiment de dégoût.
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Mon père est malade
Mon père a eu trois incidents cardiaques. Et il fut mis en congé maladie à l’âge de 55 ans.
C’est lors de son dernier incident qu’il arrêta l’alcool et la cigarette. J’étais alors en seconde, et malgré le fait que mon frère et moi n’apprécions pas trop son goût pour le whisky, ce drame nous a beaucoup touchés. Seb, que je croyais encore irrespecteux et hypocrite, pleurait.
Richard fut transporté en soins intensifs, où je suis allée lui rendre visite. J’espère pour vous que n’aurez jamais à visiter cet endroit.
À partir de cet instant, mon père eut de lourdes séquelles physiques et psychologiques. Déjà qu’il n’avait pas la mémoire des noms et dates, mais alors là c’était foutu. C’est ainsi que j’eus de nouveau surnom, comme Claire (laquelle, ça…). Seb était parfois Baptiste ou Guillaume. Ses réflexes, son ouïe, son élocution et son intelligence baissèrent. Fortement.
On me dit que j’ai de la chance que mon père ait survécu. Je ne réponds rien.
Mon père est un vieux con
Richard est de la vieille école. Il lui arrive parfois d’avoir des propos déplacés. Le fait qu’il marmonne plus qu’autre chose est, pour le coup, bienvenu au final. Il est de mauvaise foi et ne veut pas entendre raison. Richard entend ce qu’il veut entendre et se laisse assister comme dans une maison de retraite.
Mon père dit de son fils qu’il est pourri, de ma mère qu’elle est égoïste, et de moi que je suis une chieuse qui gaspille leur peu d’argent.
Excuse-moi papa de vouloir réussir malgré le fait que l’université ait décidé de ne pas me verser mes bourses. Excuse mon frère de nous défendre et de ne plus t’aimer. Excuse ma mère d’avoir tout fait pour que ses enfants aient une vie normale. Excuse-la de trimer comme une forcenée pour un salaire de misère.
Ma mère dit qu’il est malade. Qu’il n’était pas comme ça avant. Que c’est peut-être Alzeihmer. Elle me regarde avec ces yeux qui montrent qu’elle l’a aimé à une époque. Mon frère dit qu’il a toujours été comme ça. Quant à moi, j’essaye de me rappeler un bon souvenir de mon père, en vain.
Mon père est absent
Pour mes demi-frères, mon père était absent. Ils ont eu ce père volage et manquant. Alors quand j’essaye de leur expliquer pourquoi Seb et moi sommes si froids avec lui, j’ai le droit à deux réactions. Baptiste, qui a malheureusement le même caractère que mon père, est à la limite de m’engueuler et me dit que j’ai de la chance de l’avoir à mes côtés. Guillaume me dit la même chose, mais il m’écoute, au moins.
Pour mon frère et moi, mon père est absent d’une autre façon, c’est tout. Mon père n’aurait jamais dû être père, voilà ce que j’en pense. Il y a des personnes qui ne sont pas faites pour ça et c’est son cas. Malgré tout, je le remercie d’avoir aimé ma mère. Sans ça, nous ne serions pas là.
Mon père est mort
Un jour, Seb et moi nous sommes violemment disputés au sujet de notre père. Seb n’accorde aucune excuse à Richard et le hait simplement. Moi, je dis qu’il faut avouer que le dernier infarctus a beaucoup joué.
Cette dispute m’a fait peur, car elles étaient déjà trop présentes à la maison. Et en aucun cas, je ne voulais qu’elles se répandent dans toute la famille. Alors j’ai fait un pacte avec Seb.
Notre père est mort à nos yeux. Il a brisé notre famille, mais il nous a aussi rapprochés de notre mère. Nous nous disputerons encore, oui. Comme tous les frères et sœurs. Mais jamais sur notre père. Il n’a pas le droit de briser ça aussi.
Et Seb sera moins sec avec ma mère. Car il a beau devoir supporter Richard, ça ne lui donne pas toutes les excuses.
Quant à moi, je ne dois pas m’en vouloir de ne pas être là. Je ne dois pas m’en vouloir d’être partie faire mes études, d’être lâche et de fuir le cadre familial quasi inexistant. Car comme disent mon frère et ma mère :
« T’as la chance de pouvoir partir. Alors, fais-le. »
« Ton père est toxique. »
C’est ce qu’un ami m’a dit un jour, et je ne peux le résumer autrement. Je veux que l’on comprenne que la présence d’une telle relation – même si elle fait partie de votre famille – est nocive pour votre morale et celui de vos proches. Et que la culpabilité de fuir ne doit pas être prise comme une honte mais comme une chance.
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Les Commentaires
C'est dingue cette injonction de devoir rester auprès de sa famille même si elle est abusive ! C'est comme de dire "m'enfin tu vas pas te faire opérer et retirer cette jambe gangrénée, y'en a qui ont perdu leur jambe dans un accident et toi tu as encore tes deux membres!" NON, on n'est pas obligée de parler à quelqu'un parce qu'il ou elle nous a donné la vie ou fait partie de la famille. Cette obligation est à l'origine de beaucoup de problèmes d'ailleurs, tant sociétaux que psychologiques. Quand quelqu'un nous fait du mal, on s'en va (si on le peux bien sûr) point final.