Des visages d’hommes mi-dissimulés par des masques sanitaires et un hashtag #freeherface (traduisez « libère son visage ») inondent les réseaux sociaux ces derniers jours. Non, il ne s’agit pas d’une illustration d’une nouvelle vague épidémique mais plutôt celle d’une campagne de solidarité envers les femmes afghanes.
Ces dernières, depuis la proclamation d’un décret du ministère de la Promotion de la vertu et de la prévention du vice le 9 mai dernier, sont désormais contraintes de se couvrir le visage sur la voie publique. Et le gouvernement taliban ne s’est pas arrêté là. Le 21 mai, les autorités ont ordonné aux présentatrices de télévision de respecter cette règle sous peine de sanction. Aujourd’hui, elles doivent porter le voile intégral pour présenter les journaux sur les chaînes télévisées du pays, TOLOnews, Ariana Television, Shamshad TV et 1TV.
De la rue aux écrans, les talibans n’ont plus qu’un seul désir, celui de faire disparaître tout visage de femme. En réponse à ces nouvelles restrictions, journalistes masculins et personnalités locales sont montés au créneau sur les réseaux sociaux, en se masquant eux aussi, pour signifier leur colère.
Les journalistes masculins afghans se masquent en soutien à leurs collègues féminines
Depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, les droits des femmes ne font que s’amincir et les femmes journalistes ne sont pas épargnées : 84% d’entre elles ont perdu leur emploi ces derniers mois. En effet, d’après Reporters sans frontières (RSF) elles étaient 700 en activité à Kaboul l’an dernier. Elle sont moins de cent aujourd’hui. Jusqu’ici, les présentatrices de télévision étaient seulement contraintes de porter un foulard dissimulant leurs cheveux à l’antenne. Mais le ministère afghan de la Promotion de la vertu et de la prévention du vice a ordonné aux présentatrices de se conformer au port du voile intégral le 21 mai.
Courageuses, les journalistes ont choisi de ne pas se plier à cet ordre, et ont continué de passer à l’antenne en direct sans cacher leur visage. « Nos consœurs craignent que si elles se couvrent le visage, la prochaine chose qu’on leur dira sera d’arrêter de travailler. C’est la raison pour laquelle elles n’ont pas respecté l’ordre jusqu’à présent », a annoncé Abid Ehsas, chef des informations de Shamshad TV, la semaine dernière, comme l’a relayé TV5 Monde.
Mais depuis quatre jours, les Talibans contraignent les chaînes de télévision à faire appliquer ce décret et parfois, même « par la force » comme l’a raconté Khpolwak Sapai, directement sur le site de ToloNews – canal télévisé encore indépendant – dont il est à la tête. Dans le même article, Khatira Ahmadi, une des présentatrices de la chaîne a confié ne pouvoir « ni respirer ni parler correctement » et sa collègue Sonia Nizai a confirmé ces propos : « Faire trois heures de programmes avec le visage couvert est très difficile. »
En signe de protestation, dès le 22 mai, leurs confrères ont eux aussi décidé de porter un masque afin de dissimuler leur visage à l’antenne. C’est le cas notamment de Siyar Sirat, ancien journaliste de la chaîne ToloNews, qui a partagé son visage masqué sur son compte Twitter, « En signe de solidarité avec mes collègues et toutes les courageuses femmes afghanes ».
Une première depuis la reprise du pouvoir par le gouvernement taliban, comme le souligne Heather Barr, directrice associée du pôle des droits des femmes et spécialiste de l’Afghanistan à Human Rights Watch, auprès de Libération, le 24 mai :
« Il s’agit du tout premier mouvement sur les réseaux sociaux depuis le retour des talibans au pouvoir. Sa particularité est que ce sont des hommes qui se mobilisent, en solidarité avec les Afghanes, ils se lèvent pour leurs droits. C’est une grande nouveauté, car les hommes n’étaient que peu présents lors des dernières manifestations de femmes à Kaboul. »
ToloNews la chaîne afghane la plus regardée, à la tête de la résistance ?
Cette initiative masculine peut-elle déclencher un sursaut de la part de la population afghane ? Pour l’experte Herther Barr, le fait que ToloNews soit la chaîne la plus populaire du pays, est un avantage dans ce combat pour les droits des femmes afghanes :
« Il faut être réaliste : en Afghanistan, seules les franges les plus privilégiées de la population ont accès aux réseaux sociaux, ce qui ne fait pas grand monde. Mais le fait que cette campagne soit lancée par des journalistes célèbres lui donne un écho certain. Les Afghans regardent beaucoup la télévision, c’est le principal moyen d’information. ToloNews est la chaîne la plus regardée, donc le message passe. »
Cette campagne #freeherface a été partagée par diverses organisations non gouvernementales, n’hésitant pas à s’insurger contre l’effacement systématique des femmes de la vie publique sous les Talibans. L’ONG internationale Human Rights Watch a ainsi pris position via un communiqué de presse publié le 23 mai, en déclarant que ce « décret viole de manière flagrante les droits des femmes à la liberté d’expression, ainsi que leur autonomie personnelle et leurs convictions religieuses. »
Le gouvernement taliban prend définitivement ses distances avec la communauté internationale
Les droits des femmes afghanes, conquis difficilement ces vingt dernières années, disparaissent peu à peu et un à un, depuis le retour au pouvoir des talibans, sous l’égide de leur chef suprême Hibatullah Akhundzada, incarnant l’aile conservatrice du mouvement. Au quotidien, les afghanes subissent leur bannissement de l’espace public, du monde du travail ou encore de l’accès à l’éducation, comme l’analyse Heather Barr dans les colonnes de Libération :
« Le nouveau décret en dit long sur la vision de la femme qu’ont les talibans. Si les Afghanes ne le respectent pas, ce ne sont pas elles qui seront condamnées mais leurs “gardiens” selon le terme taliban, c’est-à-dire les hommes de leurs familles. Dans ce contexte, il leur est encore plus difficile de résister car la terreur qu’inspirent les talibans incite de nombreux hommes de familles à prendre les devants et à forcer la femme à se conformer au décret, par crainte des représailles. »
Sans surprise, cette obligation du port de la burqa éloigne une nouvelle fois le gouvernement taliban de la communauté internationale. Et les effets de la mobilisation #freeherface dépendra forcément de son écho à l’international, comme le constate Heather Barr :
« Le ministère de la vertu n’a que faire de ce que les Afghans disent sur Twitter, mais si cela prend de l’ampleur à l’étranger et que la communauté internationale durcit le ton, il y sera davantage sensible. »
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Image en Une : © ToloNews – Twitter
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