Une série créée par Paul Feig, produite par Judd Apatow
Avec James Franco, Jason Segel, Busy Philipps, Seth Rogen, Linda Cardellini, John Francis Daley, Samm Levine, Martin Starr
Le film le plus long
Freaks and Geeks est une assez courte série, composée de dix-huit épisodes seulement. A cause du manque de succès rencontré lors de sa diffusion et bien qu’elle n’ait cessé depuis de recevoir des éloges de la part de la presse et du public, les producteurs se sont limités à une unique saison, rempilant plus tard avec une série au charme moins certain, Undeclared.
En somme, Freaks & Geeks part avec peu d’avantages. Série avortée, elle traîne par ailleurs le poids de son genre : comédie américaine, qui plus est sur des ados… Les a priori pourraient tomber assez vite. Mais ce serait sans tenir compte de l’inventivité savoureuse de ceux qu’on appelle aujourd’hui "la bande de Judd Apatow" : acteurs, scénaristes, producteurs ; tous ont mis dans Freaks & Geeks les prémisses de ce qui se déploie aujourd’hui comme un genre d’une qualité surprenante.
Et précisément cette série semble encore inégalée par de plus récents longs métrages du groupe ; c’est pourquoi elle se pose non seulement comme fondation de ce cinéma en plein essor, mais plus encore comme un moment important du cinéma américain.
Teen-movie : stéréotypes, balises
Le teen-movie, donc : on a déjà donné. On a l’habitude non seulement de reconnaître la faiblesse du cinéma de chez nous à saisir l’adolescence et à en rendre compte avec la force nécessaire ; mais aussi d’être dépité face au manque de profondeur de certains films américains que le genre évoque d’emblée… Freaks & Geeks, véritable cartographie de la jeunesse d’un lycée américain, se projette au-delà des stéréotypes : jusqu’à atteindre la beauté de l’universel.
Cette série est sans conteste le meilleur exemple de la capacité de la jeunesse à se poser comme moment de liberté. Ce qui circule dans Freaks & Geeks c’est bien cela : une vie qu’on ne trouve probablement que dans la jeunesse des bonnes comédies américaines et qui porte en elle une charge incroyable de liberté.
Or on trouve traditionnellement dans tout résumé de la série un schéma qui semble recouper très exactement tout ce contre quoi elle se bat : les balises. Présenter Freaks & Geeks semble couler de source : on a deux groupes, d’un côté les freaks un peu rebelles, de l’autre les geeks un peu nullos, et au milieu la famille Weir, Lindsay et son frère Sam, un peu des deux, un peu tout et rien… Comme si la série n’était qu’une énième répétition, qu’un énième parcours le long d’une route déjà tracée par tant de mauvais films de tous horizons qui ont posé les bornes du teen-movie.
Cependant si, comme le titre l’annonce, c’est autour de ces deux bornes que semble tourner la série, une chose est sûre : ce n’est pas là qu’il faut s’arrêter. Et pas besoin de le faire : il suffit de jeter un œil à n’importe quel épisode pour se rendre compte que ces deux bornes qui avec le titre semblent être celles de la série sont en fait les bornes de la fiction. C’est-à-dire que ces deux termes se placent en fait à son horizon comme ils se placent dans les mentalités au sein du lycée : comme pôles répulsifs. Finalement, comme moments à partir desquels se façonner soi-même. Ce serait une véritable erreur de considérer que c’est le propos de Freaks & Geeks que de regarder la jeunesse à l’aune de ces balises. Au contraire, la série fait preuve d’un véritable tour de force : faire circuler dans cet univers, sans doute l’un des plus cloisonné, le rire, l’humanité ; un pur mouvement en avant.
Balancier, renversement
Il est d’ailleurs bel et bien question de mouvement dans la structure de chaque épisode. De la jeune Lindsay qui laisse de côté ses amis coincés et matheux pour se tourner vers une bande de copains un peu plus fous, on passe à son frère Sam et ses potes dingues de science fiction et de jeux de rôle. Sans cesse, on va de l’un à l’autre, on suit les préoccupations de chacun à ce moment sans doute décisif qu’est l’adolescence.
Comme il y a montage parallèle au sein du lycée entre les deux enfants Weir, il y a aussi des moments où ils se croisent. C’est parfois dans les couloirs qu’ils se rencontrent ; le plus souvent en famille qu’ils se retrouvent, ce qui donne lieu à de très amusantes scènes de famille – généralement à table, le soir. Les personnages du père et de la mère sont en effet des personnages à part entière qui, mettant momentanément le balancier entre Lindsay et Sam en pause, projettent la série dans une autre dimension cependant toujours reliée à l’adolescence : la question des relations entre générations, motif souvent utilisé dans les comédies made by Apatow.
Ce que permet le mouvement global de la série c’est surtout – et une fois de plus ! – de faire circuler dans l’alternance, dans la confrontation, dans le déplacement autour des pôles freaks & geeks une fraîcheur saisissante. Les méchants ne sont jamais ceux qu’on croit, personne ne tient le rôle de bouc émissaire. Les petites starlettes du lycée, gentilles toutefois, apparaissent sans intérêt lorsqu’elles se dévoilent. Les méchants bourreaux rentrent seuls chez eux mais laissent échapper leurs sentiments cachés derrière un buisson.
Le seul poids en somme est celui des deux bornes de la vie des ados. Et précisément, c’est en mentant que la série devient belle : en faisant croire à ces balises pour mieux s’en affranchir, pour mieux naviguer entre elles, pour laisser à ses personnages choisir leur propre route : une autre.
« I don’t give a damn ‘bout my bad reputation »
Le dernier épisode est sans doute le plus douloureux, non seulement parce qu’il s’agit avec lui de renoncer à la série mais aussi parce que les scénaristes ont décidé de faire prendre à la vie des personnages un nouveau tour, laissé en suspens, au terme des dix-huit épisodes. Selon un schéma traditionnel, l’élément perturbateur de chaque épisode était surmonté ou ouvrait une autre voie, reprise avec l’épisode suivant. Ici, c’est trop tard : il faut se déprendre de personnages qu’on ne reverra plus et qui changent pour certains du tout au tout. Car il est à proprement parler trop tard ; comme il peut l’être dans la vie.
Et c’est peut-être la plus grande force de Freaks & Geeks que de voir, dans cette douleur de spectateur un peu trop attaché, des retournements s’opérer au dernier moment. C’est là qu’on saisit le pouvoir et la qualité de la série, sa capacité à rendre compte à proprement parler de la vie, que ce soit la notre ou celle qu’on aurait pu avoir. Là où un film ou une autre série s’arrêterait, poserait un point final, Freaks & Geeks s’envole dans la douleur des départs, au milieu de personnages qui n’ont presque pas le temps de se dire au revoir.
On ne peut sans doute rien révéler des intrigues qui se développent au cours des dix-huit épisodes. Ce serait trop gâcher une série qui se regarde lentement, épisode après épisode, pause après pause, tant il faut de temps pour se remettre de ce qu’on vient de voir… La série se découvre comme on découvre une vie en parallèle de la notre, une vie qui ne se soucie pas de sa réputation, mais accueille un autre regard, le notre, pour lui prêter un peu de liberté. Elle se découvre comme on pourrait retrouver une cicatrice oubliée sur notre corps mais que finalement on avait toujours sentie, là.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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