Photo : Zoe Kazan dans Elle s’appelle Ruby Article initialement publié le 9 mai 2015
* Le prénom a été modifié.
J’ai une double nationalité, franco-québécoise, et si on me demande de quelle origine je suis, je réponds invariablement franco-québécoise.
Franco-québécoise, entre France et Québec
Mon père est français, ma mère québécoise. Ils se sont rencontrés au Québec alors que mon père y était pour son travail. Lorsqu’il a dû rentrer en France, ma mère, encore étudiante, l’a suivi.
Ils se sont ensuite mariés en France (ma mère a alors obtenu la nationalité française), et mon frère est né la même année. Trois ans plus tard ce fut mon tour.
Après ma naissance, mes parents ont commencé à en avoir marre de la vie en banlieue parisienne, et ma mère trouvait de plus en plus difficile de vivre loin de sa famille.
Ils ont donc décidé de retourner au Québec, alors que j’avais neuf mois. Comme cela ne devait pas forcément être définitif, ils ont scolarisé mon frère, puis moi, dans le système français pour que ce soit plus simple si nous retournions en France.
Sauf qu’il n’y a pas eu de retour en France, et c’est ainsi que j’ai grandi : au Québec, mais en allant à l’école dans le système français. Et cette balance France-Québec a toujours rythmé ma vie.
Franco-québécoise : à la fois québécoise et française
J’ai beau habiter depuis plus de vingt ans au Québec, je ne me sens pas complètement québécoise. Déjà parce que j’ai étudié dans le système français, donc durant quatorze ans la quasi-totalité de mes amis et de mes professeurs étaient français.
J’ai grandi avec cette éducation française (j’ai mon brevet et mon bac alors que normalement ça n’existe pas ici), dans la culture française.
À la maison il y a tous les jours de la baguette, et nous mangeons vers 19h30, ce qui est tard pour la société québécoise — ici tout le monde mange vers 17h.
Et puis tous les étés nous allons en France voir les proches de mon père, pour un mois de bonheur entre la famille et la plage. Je me suis toujours sentie extrêmement bien dans l’Hexagone.
Cependant, je ne me sens pas non plus complètement française. J’ai grandi au Québec donc avec la culture québécoise que ce soit par la télé, la radio ou tout ce qui est véhiculé par la société.
En dehors de l’école, dans mes activités parascolaires, je n’étais entourée que de Québécois•es.
De plus, je voyais plus fréquemment mes grands-parents maternels que mes grand-parents paternels, puisqu’ils vivaient à trois heures de route de chez moi, à la campagne. I
ls me gardaient souvent lors des vacances scolaires, et j’étais très proche d’eux.
Mon grand-père me faisait visiter son érablière et ma grand-mère me faisait du délicieux sucre à la crème (une recette à base de sirop d’érable). Ils font partie intégrante de mes racines québécoises !
Les deux cultures ne sont pas si éloignées que ça, il n’y a pas de conflits de valeurs importants, mais quelques points diffèrent tout de même un peu : j’ai certaines valeurs plutôt française, et d’autres québécoises.
De par son histoire houleuse avec les anglophones, le Québec tient par exemple particulièrement au français qu’il défend bec et ongles (on a même une loi qui oblige tous les commerces à faire leurs cartes et leurs menus uniquement en français).
Je suis donc complètement stupéfaite quand je regarde la télévision en France et qu’il y a des mots anglais dans toutes les phrases !
Cette différence dans la relation à la langue se voit aussi dans le vocabulaire de tous les jours. Ici on ne dit pas « parking » mais « stationnement », nos panneaux ne sont pas des « stop » mais des « arrêts »…
Par contre, j’ai cette valeur très française du respect de l’autorité hiérarchique, de la politesse par l’emploi du vouvoiement… Au Québec les gens se considèrent plus comme égaux hiérarchiquement, et tout le monde se tutoie.
Lors de mon premier cours à l’université j’ai vraiment été choquée de voir que les élèves tutoyaient les professeurs. Ça fait partie de mon éducation à la française !
J’ai l’impression que les Québécois, du moins là où j’ai grandi à Montréal qui est la plus grosse ville du Québec, sont plus ouverts et tolérants, par exemple au niveau de l’immigration et les droits des homosexuels.
L’homoparentalité est ici reconnue depuis 2002 et le mariage pour tous est autorisé depuis 2004, sans que cela n’ait provoqué de réactions contestataires aussi virulentes et importantes qu’en France. Dans ces moments-là je suis fière d’être québécoise.
Finalement, mon accent représente bien cette ambivalence. J’ai un accent particulier, relativement neutre, tendance caméléon.
Quand je suis avec ma famille ou mes amis français, on entend davantage le côté « accent français ». Lorsque je suis en France, si je ne le spécifie pas, peu de gens remarquent que je suis québécoise ; et lorsque je suis à l’université ou avec mes amis québécois, je prends naturellement l’accent d’ici.
Ce n’est pas le gros accent, juste assez pour que peu de gens me soupçonnent d’être française. Et j’utilise tout autant les expressions « meuf », « yaourt » et « putain » que « cellulaire », « chum » et « chiller ».
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Franco-québécoise : deux cultures nécessaires
Ces deux cultures me définissent à parts égales, et j’ai besoin d’être en contact constant avec les deux. Lorsque j’ai commencé l’université il y a quatre ans, je me suis retrouvée dans un programme composé à 98% de Québécois pur laine.
J’étais la seule « Française ». Ça m’a fait bizarre au début, j’avais un peu perdu mes attaches à la France et je le ressentais.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser davantage à ce qu’il se passe en France, sûrement pour compenser. J’ai commencé à écouter des émissions françaises en replay, à être active sur des forums français, à lire des sites français (coucou madmoiZelle)…
C’est comme si je ressentais le besoin d’être encore reliée à la France, pour rééquilibrer la balance. Ma vie dans mes études est devenue 100% québécoise, mais chez moi elle était majoritairement française.
D’ailleurs, c’est également à partir de ce moment-là que j’ai commencé à aller en France pendant de plus longues périodes. J’y restais facilement deux mois l’été, j’ai même réussi à trouver un stage d’un mois en France il y a deux ans.
Ce qui est étonnant c’est que mon grand frère n’a pas du tout le même ressenti que moi à ce sujet. Lui, il se sent majoritairement québécois et ça lui convient très bien comme ça.
Il ne renie pas pour autant sa nationalité française et il en est même fier, mais pour lui c’est un bonus, ça ne changerait rien à sa vie s’il ne l’avait pas.
Cela fait d’ailleurs plusieurs années qu’il ne vient pas en France durant l’été par choix, et ça ne lui manque pas plus que ça.
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Franco-québécoise : et plus tard ?
Je ne sais pas pas encore où je veux faire ma vie plus tard. Actuellement je me trouve bien au Québec, même si j’ai toujours la France dans un coin de ma tête.
J’adore Montréal, cette ville multiculturelle si ouverte sur le monde. J’aime y habiter, je m’y sens bien. Elle me permet de m’épanouir comme franco-québécoise.
Je peux rencontrer des gens de plusieurs origines qui comme moi ne se sentent pas totalement québécois ni totalement étrangers non plus. Je peux aller au concert des Trois Accords un jour, et à celui de Bénabar le lendemain.
Je peux manger une poutine comme dans un bon bistrot français. J’aime d’ailleurs beaucoup la chanson de Grand Corps Malade sur Montréal : elle montre bien la singularité de la ville.
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Franco-québécoise : en conclusion
Pour conclure je dirais que je suis fière de ma double nationalité. Quand je suis au Québec, j’aime dire que je suis française, c’est ma petite touche singulière.
Idem, quand je suis en France ou sur Internet, j’aime mentionner que je suis québécoise. C’est mon petit plus à moi.
Et puis lors des Jeux Olympiques, en hiver je soutiens le Canada et en été la France, comme ça « mon pays » rapporte toujours plein de médailles !
D’un point de vue pratique, la double nationalité m’apporte aussi des avantages lorsque je voyage : il est pratique d’être française pour voyager en Europe est très pratique d’être canadienne pour aller aux États-Unis.
Je garderai toujours cet équilibre France-Québec qui m’est si cher, et que c’est un élément important que j’aimerais transmettre à mes enfants.
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Sinon, niveau culinaire, j'ai toujours mangé très varié, pas un truc en particulier, et je dois avouer que lors de mon dernier séjour en France, le manque de diversité culinaire me manquait beaucoup! Pour les fromages et le pain, perso, je trouve que c'est le contraire. Il y a plus de 300 fromages québécois, facilement trouvables en grandes surfaces (pas tous en même temps!), à des prix différents. Le lait cru est autorisé, je pense que c'est l'importation qui est réglementée. Mais pour le pain... J'habite à Montréal, mes parents préfèrent tout de même aller en dehors de la ville pour trouver une vraie bonne boulangerie (sinon, c'est le centre-ville, pas toujours pratique)
@Pitiponk , perso, l'exemple que j'utilise tout le temps, c'est que les français se stationnent dans un parking, et que les québécois se parkent dans un stationnement.