J’ai grandi dans la campagne bretonne entre les ajoncs, le granit rose et les menhirs.
Je suis petite, j’aime le beurre et le kouign-amann et, à mes yeux, il n’existe aucune région plus belle que la Bretagne, aucun autre lieu où je voudrais élever mes enfants.
Je vais à des fest-noz, je suis capable de débattre éternellement de l’appartenance ou non du Mont-Saint-Michel à la Bretagne (c’est le cas !) ; mes grands-parents étaient bretonnants et j’ai même suivi une initiation à cette langue à la fac pour me rapprocher d’eux.
Quand je parle, mon français fleure bon les bretonnismes : je fais des « cuches » (des couettes) aux enfants, je prends des « buzhug » (lombric, vers de terre) pour pêcher, j’adore le lait ribot (lait baratté) ; quand je me moque de quelqu’un, je lui lance « biz’ à la carotte » et quand je trouve quelqu’un ridicule je lui dis « tu as l’air fin ».
Bref, je pourrais être l’archétype d’une Bretonne. Oui, mais.
Quand je vais dans le village de mes grands-parents et que je tombe sur un habitant, on me demande :
« Gast, c’est la petite-fille de qui ? De Maria. Ah ! T’as qu’à voir (c’est évident), elle a les cheveux blonds, c’est la fille de l’Allemande ! »
Et voilà, tout est dit. Dans une famille où tous sont bruns et ont les yeux couleur océan, mon frère et moi dénotons : nous sommes blonds et j’ai les yeux bleus certes, mais du tranchant du métal.
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De l’Allemagne à la France
Ma mère a quitté son Allemagne natale pour la France il y a plus de trente ans. Ma tante y vivait déjà et lui a proposé de vivre avec elle.
Ma mère a trouvé un travail, puis a été mutée en Bretagne et BIM, elle est tombée amoureuse de mon père, le collègue moustachu, un Breton pur souche.
Dans mon petit village où j’ai passé les huit premières années de ma vie, j’avoue que rien ne m’a jamais choquée dans cette bi-nationalité, ni dans notre bilinguisme.
Nous étions bien protégés dans notre toute petite école : nous étions la seule touche « exotique » et nous étions accueillis avec bienveillance, intérêt et curiosité.
Le seul regret de mes grands-parents paternels étaient qu’ils avaient du mal à communiquer avec mes grands-parents maternels, qu’ils adoraient.
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Les choses se sont corsées quand nous avons quitté notre nid douillet. L’entreprise de mes parents a licencié beaucoup d’employés cette année-là, et mes parents en faisaient malheureusement partie.
Bon gré mal gré, on a déménagé, loin des grands-parents, de la petite école, des amis et de leur ouverture d’esprit – vers la métropole, sa modernité et sa culture.
Racisme ordinaire et intolérance quotidienne
Paradoxalement, c’est en quittant la campagne et la vie de village que j’ai réalisé ma différence. Dans ma nouvelle école primaire, mon bilinguisme a fait de moi le singe savant de la classe.
On ne manquait jamais l’occasion de me demander de parler allemand, et cela faisait ricaner mes camarades qui m’imitaient ensuite dans la cour de récréation.
J’ai pris tous les surnoms encore en usage chez les grands-parents suite à la Seconde Guerre mondiale : j’étais la « schleu », la « boche », la « teuton ».
Mon frère, plus jeune, a même supplié ma mère d’arrêter de nous parler allemand en public parce qu’il avait honte. Il m’a fallu deux ans pour trouver un ami dans cette nouvelle école.
Au collège, la prof d’allemand nous a présenté cette langue comme une langue « gutturale », ce qui ne semblait pas franchement élogieux.
Elle m’a tout de suite considérée comme une intruse, m’a interdit la moindre intervention en classe et m’a reléguée dans un coin, considérant que je n’avais rien à faire là.
Sauf que je ne savais pas écrire l’allemand et je voulais entrer dans une section bilingue au lycée.
Quand nous avons fait le traditionnel échange, les professeurs m’ont placé dans une famille qui venait de faire le deuil de leur fille aînée trois mois auparavant.
Quand mes parents l’ont appris et qu’ils ont protesté auprès de l’organisatrice, elle a dit que normalement elle n’aurait pas envoyé d’élève dans une telle situation, mais que moi (du haut de mes 12 ans), je pouvais communiquer avec eux et que ce n’était donc pas un problème…
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Finalement, j’ai profité de l’entrée au lycée pour quitter mes camarades et cette ville.
Mais ça n’a pas changé grand chose puisque là encore, nous n’étions que trois bilingues dans une section comptant cinquante élèves. Les autres n’ont pas particulièrement apprécié nos facilités.
Une étrangère dans son pays
Face à ce constat assez navrant, j’ai commencé à me poser des questions sur mon identité.
En France, on me considère comme une étrangère : les gens pensent devoir m’expliquer la culture bretonne et française, les us et coutumes, les blagues, l’ironie et le second degré.
En Allemagne, au contraire, on a trop tendance à me considérer comme allemande, alors que je n’y ai jamais vécu. Du coup on m’épargne des explications dont j’aurais parfois besoin. Est-ce que cela tient à mon physique ? Peut-être.
Il y a cinq ans, j’ai finalement pris la décision de partir un peu ailleurs, un ailleurs très relatif puisque j’ai déménagé en Autriche. Pour la première fois de ma vie, on me prend pour pour ce que je suis : une étrangère.
On m’explique la culture autrichienne, car je n’y connaissais effectivement rien avant d’arriver.
On m’explique les blagues, l’ironie et le second degré dans le dialecte autrichien car même après cinq ans, j’ai toujours du mal à le comprendre.
Compte tenu de mon accent standard et de mon physique, on a cependant tendance à me considérer comme une allemande (ce qui n’est pas toujours une bonne chose en Autriche non plus).
De la force de la multiplicité
Vu l’actualité, je me sens obligée de clamer haut et fort mon « melting-pot » : je suis européenne, fruit de ce que l’Union Européenne a pu nous apporter de bon.
Mes cousins, de par les parcours de leurs parents, sont également bi-nationaux et bilingues ; notre enfance commune, nos vacances passés ensemble étaient des moments fabuleux où cette différence devenait une force – peu importait leur couleur différente, ou leur pays (l’Allemagne et l’Angleterre).
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Aujourd’hui, je suis en couple avec un autrichien et j’aurai à mon tour des enfants « multi » : multi-nationaux, multilingues, multi-culturels. Je me sens d’autant plus concernée par les problèmes que rencontre l’Europe.
Je ne suis pas toujours d’accord avec les choix de la classe politique, mais je suis sûre d’une chose : l’ouverture et la tolérance sont la base solide sur laquelle je veux construire ma vie.
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