Mercredi 29 mars, le 20h de France 2 se déroule comme à son habitude jusqu’au Dossier de l’édition. Il est introduit par David Pujadas en ces termes :
« Le dossier de cette édition : « Faut-il réaffirmer la masculinité ? ».
La question peut sembler artificielle, de fait, un demi-siècle après les années 60 et la fin du patriarcat, beaucoup d’hommes seraient en proie à un doute existentiel, au point que des stages sont désormais proposés, on appelle cela le mouvement « viriliste ».
Il a commencé aux États-Unis, une partie de l’Église lui donne aujourd’hui un écho : sport, conférences, retraites… »
Je passerai sur la remarque concernant « la fin du patriarcat », qui a été très bien traitée par Slate : on est encore malheureusement loin de la « fin » du patriarcat considérant le nombre d’inégalités qui demeurent dans la société.
Ce qui m’intéresse ici c’est la suite du reportage. Car après tout, ces retraites catholiques autour de la masculinité existent, et il est important de s’intéresser à ce qui s’y passe, à ce qui y est véhiculé comme valeurs, aux hommes qui y participent… aux raisons pour lesquelles ces « stages » existent.
Le problème, c’est de le faire sans remettre en perspective le discours qui y est tenu.
À qui s’adressent ces camps « virilistes » ?
Au début du reportage, un jeune homme explique :
« Beaucoup de mes amis disent « voilà, être un homme c’est être fort, c’est s’affirmer, voilà c’est… » et moi c’est vrai que je me reconnais pas forcément là-dessus et donc je suis venu voir ce que c’est être un homme. »
C’est donc apparemment les réponses à ce genre de questions que viennent chercher les hommes dans ces stages : comment suis-je censé me comporter en tant qu’homme ? Quel est le rôle que la société m’a attribué ?
Ce sont donc a priori des personnes qui cherchent des repères et essaient de se reconnaître dans le miroir que leur tend la société, des personnes qui veulent des solutions pour rentrer dans le moule de l’homme « viril ».
Qu’est-ce qu’on apprend dans un stage de masculinité ?
À la fin du reportage, on donne la parole aux participants, pour recueillir leurs impressions, les enseignements qu’ils en ont tiré.
Sans surprise, on retrouve dans leur propos le discours « plutôt traditionnel » selon les mots de France 2 (euphémisme), qui leur a été tenu. Samuel, le jeune homme qui cherchait des réponses au début du reportage, en a trouvé :
« L’homme va être plus dans la force brute, voilà, dans la force… Par exemple voilà l’image de la maison c’est très bien, l’homme il va monter les murs, voilà les trucs très physiques par exemple.
Et la femme elle va rendre ça beau et habitable. »
Quelqu’un qui ne se retrouvait pas dans cette description en a donc intégré les codes et souhaite désormais s’y conformer. Mais au fait, quelle(s) réponse(s) peut on apporter à ces interrogations ?
« C’est quoi un homme ? »
Nier que ces camps existent serait une erreur, car ils répondent visiblement à un besoin. Ce reportage était donc pertinent à réaliser. Mais sous quel angle ?
Penchons-nous rapidement sur la manière dont était titré le reportage au départ.
Faut-il réaffirmer la masculinité ?, le titre du dossier introduit par David Pujadas, induit une remise en perspective de ce discours. Mais en réalité, et on le voit affiché dans le fond, la question à laquelle répond le reportage est C’est quoi un homme ?
.
Alors, c’est quoi un homme ? La seule réponse valable est-elle celle qui est diffusée sans être questionnée dans le reportage ?
L’injonction à la masculinité
La société contient encore de nombreuses injonctions à la masculinité, et c’est ce dont ces camps sont l’incarnation, une incarnation très formelle et institutionnalisée.
Le documentaire The Mask You Live In mettait très bien évidence ce phénomène aux États-Unis. Dans la bande annonce, on en trouvait une liste (non-exhaustive) :
« Arrête de pleurer. Arrête avec les larmes. Arrête de pleurer. Relève-toi. Ne sois pas émotif. Ne sois pas une chochotte. Sois cool. Sois un peu un connard. Personne n’aime les mouchards.
Les potes avant les putes ! Ne laisse pas une femme contrôler ta vie ! Quelle tapette… Tape-toi une meuf ! Fais quelque chose ! Sois un homme ! Sois un homme ! Aie des couilles ! »
Ce discours est prégnant, et c’est d’ailleurs explicitement ce qui est décrit par Samuel au début du reportage de France 2. Comme l’expliquait Clémence Bodoc dans son article sur le documentaire, elles peuvent avoir des effets nocifs :
« Et si les stéréotypes sexistes féminins sont de plus en plus largement décriés, il ne faudrait pas que les stéréotypes masculins soient négligés : ils sont tout autant destructeurs pour la construction identitaire des garçons que peuvent l’être les stéréotypes féminins pour la construction identitaire des filles. »
Il y a mille et une façons d’être un homme
La réponse à cette question de la masculinité peut en fait être bien plus large. Infinie, même. Il n’y a pas une manière d’être un homme, mais d’infinies possibilités de se construire en tant qu’homme, et en tant que personne avant tout !
Si tu n’aimes pas le haka ou en tous cas son utilisation en tant que mise en exergue de la force virile qu’il incarne dans les stages présentés sur France 2, ce n’est pas un problème.
Si tes muscles ne te permettent pas de pousser une voiture, ou si tu n’en as juste pas envie, ce n’est pas grave.
Même Jason « Khal Drogo » Momoa se croûte parfois.
Si tu ne veux pas tenir « ce rôle de guide », « marcher devant », « bâtir les murs de ta maison », ce n’est pas un drame.
Si toi tu as envie d’apporter « la souplesse » à tes (futurs) (hypothétiques) enfants plutôt que « la force et la raideur » qui sont plébiscitées par le discours tenu dans ce camps, c’est ton droit.
Peut-être que plutôt que d’essayer de rentrer dans la définition qu’ont construit les autres pour toi, tu peux inventer la tienne. T’inventer, toi.
Il y a autant de manières d’être un homme qu’il y a d’hommes. De la même manière qu’il y a autant de manières d’être une femme qu’il y a de femmes !
Le souci, au fond, ce n’est pas que France 2 parle de ces stages. C’est qu’à aucun moment le JT ne remet ce discours en question.
Pour répondre à une interrogation aussi vaste, il aurait fallu interroger des personnes de divers horizons, pour recueillir un panel de réponses, pas uniquement la vision de l’homme fort qui bâtit son logis.
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Les Commentaires
Bref je suis pas très clair mais cette histoire de stage me rend plus triste qu'énervée, surtout que les inquiétudes type "il faut viril sans être macho" ça ressemble aux injonctions "être sexy sans être vulgaire" etc... que les femmes entendent trop souvent et je trouve ça affreux que les hommes aussi aient à subir ça.