— Publié le 24 juillet 2016
Aussi étonnant que cela semble être pour beaucoup de gens, oui, on peut être française, juive et arabe.
Française, tunisienne et juive
Je viens d’un père juif tunisien (il y a une communauté juive en Tunisie) et d’une mère française athée. Je suis donc française, tunisienne et juive.
Enfant, mes origines et ma religion ne me dérangeaient en rien, comme pour les autres enfants. Je vivais dans un mix entre le côté juif et le côté tunisien (un parfait mélange), et ça m’allait très bien.
Ma famille n’étant pas très pratiquante, je ne fêtais que les grandes occasions.
J’étais fière de mes origines, de ma différence.
Jusqu’en cinquième tout se passait très bien, jamais on ne m’a fait la moindre réflexion sur mon mix judéo-tunisien. J’étais fière de mes origines, de ma différence. Les gens à qui j’en parlais étaient pour la plupart très tolérants.
J’avais des copines de toutes origines et religions. En fait, la question ne se posait même pas. Malgré le petit étonnement des parents de mes amies quand je leur disais que je ne mangeais pas de porc, jamais on ne m’avait fait de remarques.
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Française, tunisienne et juive : changement de contexte… et de mentalité
J’ai déménagé en cours d’année de quatrième. Je suis passée de la banlieue parisienne avec sa mixité que j’aime tant, à une ville du Sud où la mixité était clairement réduite.
Le premier midi à la cantine, les filles qui m’avaient prise sous leurs ailes me demandèrent pourquoi je ne mangeais pas de porc, avec un tact à couper le souffle :
« Tu manges pas de porc ? T’es une halal ? »
En prononçant le « halal » de façon très exagérée. Ce n’était que la première remarque, car les années suivantes mes « copines » ne se privèrent pas pour m’en faire d’autres.
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Dans ce groupe, l’une était maghrébine, et son père était musulman. Elle se considérait comme telle, sans vraiment savoir pourquoi.
Personnellement j’aime toutes les religions et toutes les origines, mais il est vrai que j’ai toujours considéré les musulmans comme mes « frères », trouvant nos religions très similaires.
Je pensais donc trouver en elle un réconfort, je pensais qu’elle au moins ne me lancerait pas de « blagues » racistes. Je crois que ça a été la pire (ironie du sort quand tu nous tiens)…
Pour ne pas vous énumérer toutes les occurrences, je vais juste vous en raconter deux, qui m’ont blessée plus que les autres.
Ma famille paternelle étant donc tunisienne, l’arabe était pour moi une langue que je connaissais sans savoir vraiment la parler. Je pouvais cependant faire de courtes phrases et je connaissais du vocabulaire.
C’était donc normal pour moi de parler comme je l’ai toujours fait : du français avec quelques mots d’arabe, comme du frenglish quoi.
Mais pas selon elle. M’entendant parler arabe, elle me dit:
« Pourquoi tu parles arabe ? Ça m’énerve les gens qui parlent arabe alors qu’ils sont pas arabes. »
Arabe veut dire musulman pour beaucoup.
Franchement, j’ai été choquée. La langue qui me rappelait mon grand-père et qui avait toujours été présente dans ma vie m’était interdite, sous prétexte que je n’étais « pas arabe » !
Car oui, arabe veut dire musulman pour beaucoup.
J’ai répondu que j’étais d’origine tunisienne, que mon grand-père et mon père me parlaient arabe étant petite. Mais en y réfléchissant, cela veut dire que si je n’avais pas été tunisienne, l’arabe m’était interdit ?
Pour parler arabe, il faut être arabe ?
Deuxième exemple, j’ai une fois dit que j’aimais bien un garçon, qui se trouvait être musulman. La seule réponse que j’ai pu avoir a été :
« Ouais mais qui dit qu’il voudra de toi comme t’es juive… »
Bim, prends-toi ça dans la figure. J’avoue que je n’ai pas su quoi répondre tant ça m’a choquée.
Je ne savais pas que l’amour s’arrêtait à une religion. Je ne savais pas que d’être juive m’interdisait d’aimer telle ou telle personne, ou d’être aimée.
Je vous passerai tous les « Ton père gagne beaucoup d’argent », « T’es riche », « Nez de juif », « Juive et tunisienne ? Mais ça existe pas » que je me suis pris pendant cette période, par une bonne poignée de personnes.
Française, tunisienne et juive : la différence entre origine et religion
Avant d’avoir affaire à ces personnes, je ne me posais pas de questions et vivais très bien ma mixité. Mais à la suite de ça, plein de questions se sont bousculées dans ma tête. Je ne savais plus où me situer.
Étais-je juive ou arabe ? Dans quel camp fallait-il que je me range ? Comment choisir, alors que les deux sont dans mon sang, dans mes gènes ?
J’avais le droit de me prétendre arabe ? De parler de mes origines si chères à mes yeux ? De placer un mot arabe et une fête juive dans la même phrase ?
J’en suis venue à toujours éviter le sujet.
J’en suis venue à toujours éviter le sujet, à taire cette partie de moi — de peur de me prendre d’autres réflexions.
Puis j’ai réfléchi, et j’ai compris. Il y a une différence entre religion et origine. Une différence que beaucoup ont du mal à comprendre.
Une Française peut être musulmane, une Russe peut être juive et une arabe peut être chrétienne. Arabe ne veut pas dire musulman, et ça il faut le comprendre une fois pour toutes !
Malgré tout, ces piques ont forgé mon caractère. Ont forgé la personne que je suis, et j’ai appris à aimer ma mixité à nouveau.
Alors un message de paix à vous tous•te•s : aimez vos différences et assumez-les !
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