« Bah… j’ai rien pigé. »
C’est une assertion à laquelle vous observerez qu’on a souvent droit quand on demande à quelqu’un s’il a aimé une œuvre un peu complexe, qu’il s’agisse d’un film de Paul Thomas Anderson ou de l’entière bibliographie de James Joyce.
Pourtant, cette déclaration fait souvent réponse à une question sans évident rapport :
« Est-ce que tu as aimé ? »
La question, vous en conviendrez, est en effet orientée sur l’appréciation d’une œuvre, non sur sa compréhension.
D’aucuns argueraient qu’il faut comprendre pour aimer. Laissez-moi vous dire que je suis tout sauf d’accord. Et heureusement, car mon cerveau, résolument rompu au rationnel, est incapable de piger la moindre intrigue sitôt qu’elle se déroule dans un univers parallèle ! Cet ignare est aussi prodigieusement incapable de piger quoi que ce soit aux mathématiques.
Ce qui ne m’empêche ni d’apprécier la science-fiction, ni d’aimer traîner avec des matheux qui résolvent plus d’équations en une journée que je n’écris d’article en une semaine.
Vous êtes comme moi ? Alors le visionnage de Foundation devrait satisfaire votre cœur — à défaut de conquérir votre cerveau.
Foundation, la nouvelle série Apple TV+
On ne cessera jamais de chanter les louanges de la plateforme de SVoD Apple TV+. Et pour cause : depuis sa naissance, le 1er novembre 2019, elle fait montre d’une rigoureuse volonté à ne produire et diffuser que de la qualité.
Que ce soit Servant, The Morning Show, Ted Lasso, Téhéran ou Central Park, on ne saurait dénoter un quelconque manquement à cette rigueur !
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EAvec la très attendue adaptation en série des cinq nouvelles composant le premier volet du monument littéraire d’Isaac Asimov, Foundation, la plateforme tape encore très fort.
Créée par David S. Goyer et Josh Friedman, ce nouveau programme en 10 épisodes est un OVNI télévisuel, dont l’incompréhensibilité n’a d’égale que sa splendeur.
Foundation se déroule dans l’empire galactique dirigé par la dynastie génétique des clones de l’empereur Cléon Ier (déjà, c’est pas simple), qui sont au nombre de trois : un adolescent, un homme dans la force de l’âge et un vieillard.
Quand le professeur Hari Seldon — tantôt considéré comme un charlatan, tantôt comme un génie à abattre — prédit (via des mathématiques particulièrement compliquées) la chute de l’empire et ses dirigeants, il se voit exilé sur Terminus, une planète désolée aux confins de la Voie lactée.
C’est là que Seldon, aidé de quelques-uns de ses fidèles, bâtit la Fondation, destinée à préserver le savoir de la civilisation, et à calculer le nombre d’années que durera le chaos provoqué par l’effondrement de l’empire.
En somme, vous l’aurez compris, Foundation est une série de science-fiction qui a pour enjeu — si on la résume grossièrement — la sauvegarde de sa galaxie et la remise en cause de son système social et politique, comprenant moult guerres de pouvoir.
Enfin… un truc comme ça, quoi.
Foundation, une adaptation grandiose
Je ne vais pas vous mentir : à l’époque où être un geek ou trainer avec des geeks a commencé à être stylé (ce qui a quand même mené à The Big Bang Theory… youpi ?), j’ai essayé de lire Foundation.
Et puisqu’il s’agit de poursuivre ma démarche d’honnêteté… j’ai tenu 102 pages, toute perdue que j’ai vite été face à la foultitude d’enjeux tentaculaires qui dépassaient largement les limites de mon cartésianisme !
Concrètement, j’étais larguée.
Toutefois, l’adaptation emmenée par Jared Harris, Lou Llobell et Lee Pace est parvenue à me subjuguer. Et pour cause, il est évidemment plus facile de suivre un propos lorsqu’il est illustré par des images. D’autant plus quand elles sont de cet acabit !
Ainsi, les ramifications de cet empire à échelle galactique m’ont semblé moins nébuleuses accolées aux performances visuelles permises par le budget de la plateforme.
Et même si, en effet, je suis loin d’avoir pigé les détails de Foundation (que le Daily Telegraph qualifie de « Démoniaque de complexité », joli sous-texte à « j’ai rien pigé »), je n’en enchaîne pas moins les épisodes avec délectation. Il faut dire qu’elle en jette, cette série, dont les enjeux sont un prétexte au grand spectacle.
Ici, ce qui fascine, ce sont les voyages d’un décor à un autre, de la capitale Trantor aux steppes brûlantes, qu’opèrent merveilleusement les épisodes — parvenant à me faire absolument oublier que je n’ai pas compris l’objet de la dernière discussion mathématique entre untel et unetelle.
Qu’à cela ne tienne, Foundation est une fresque spatiale sans précédent, dans la lignée du magnifique Dune (actuellement au cinéma) ! N’en déplaise au journaliste du Daily Telegraph, mon némésis du jour. Il a écrit s’être copieusement emmerdé devant la série et avoir tenu tout du long grâce à Candy Crush, dans un texte au vitriol traduit par Courrier international :
« Bien entendu, une aventure colossale pour sauver l’humanité et rebâtir la civilisation ne prête ni à se tenir les côtes ni à se frapper la cuisse. Mais pour un récit à l’échelle de l’humanité, la pompeuse prétention de façade qui émane de Foundation prive la série, précisément, de toute dimension humaine. »
N’importe quoi.
Foundation, au-delà de son adaptation, une volonté d’être moderne, et une réussite à l’être
Si Isaac Asimov est adulé par l’intégralité des geeks du monde entier pour son œuvre tentaculaire, il n’en demeurait pas moins un prédateur sexuel connu sous le sordide surnom de « l’homme aux cent mains ».
Rien d’étonnant à ce que cet auteur misogyne laisse sciemment peu de place aux personnages féminins dans son œuvre — qui n’en compte, donc, quasiment pas.
Soucieux de livrer un travail bien plus conscient de l’inclusivité, les scénaristes de la série (David S. Goyer, Josh Friedman, Lauren Bello, Marcus Gardley, Leigh Dana Jackson, Victoria Morrow, Sarah Nolen, Caitlin Saunders, Saladin Ahmed) ont fait le choix judicieux de transformer certains des personnages masculins de la saga d’origine en personnages féminins.
Ainsi, Gaal Dornick est désormais une femme qui officie comme petite génie des mathématiques ; Salvor Hardin devient une incroyable guerrière ; Phara Khan est une fantastique chasseresse d’Anacreon.
Autant de transformations qui servent (brillamment) le programme et contribuent à me le faire estimer d’autant plus.
À ce stade là de qualités, j’ai même fini par oublier les zones d’ombre du récit…
Alors, peut-on ou ne peut-on pas aimer sans avoir compris ?
Pour en revenir, donc, à notre questionnement originel : il n’est pas nécessaire — et j’en suis empiriquement convaincue, à force d’avoir maté des dizaines de contenus auxquels je n’ai pas bité le début d’un enjeu — de comprendre absolument une œuvre pour la savourer, voire l’adorer.
En témoignent tous les gens qui ont été voir Inherent Vice : je défie quiconque lira mes colonnes de me dire qu’il a compris quoi que ce soit à ce film !
Parce que c’est précisément ça la magie du cinéma et de l’image en général : l’éblouissement peut aisément surpasser, en sensation, l’état d’incompréhension.
C’est merveilleux et surtout encourageant pour mes frères et mes sœurs qui ne pigent rien aux bouquins de science-fiction : tenez bon, aujourd’hui on peut même rester éveillées devant Dune !
À lire aussi : On a adoré Dune, et en plus on a presque pigé toute l’histoire
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Les Commentaires
Moi après le 2e épisode: " c'était toujours bien mais j'ai toujours pas tout compris".
Et puis Lee Pace quoi.