Article initialement publié le 6 juillet 2018
Quand j’avais 10 ans, avec quelques amies, nous avons créé la première équipe féminine junior de foot de Suisse romande. J’y ai joué cinq ans.
Certaines de mes anciennes camarades jouent encore de façon sérieuse.
Déjà à l’époque, pendant chaque Coupe du Monde nous nous réunissions pour hurler derrière nos écrans lorsque le ballon était hors-jeu, lorsqu’une faute n’était pas sifflée ou lorsqu’un but était marqué.
Une de mes amies s’est même déplacée loin (et seule) pour aller voir en live un match dans un stade brésilien blindé de monde !
Mater le match dans un bar, normal
Cette année encore, nous nous sommes réunies, décidées à ne rater aucun match de nos équipes. Mais contrairement aux autres fois, nous n’avions pas de télévision à disposition.
Tout naturellement, nous nous sommes donc rendues dans un bar.
Nous étions six. Six jeunes femmes, toutes de nationalités, de formations et de styles différents. Cette fois nous venions soutenir le Japon.
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Bien que je sois la seule métissée japonaise, c’est toutes ensemble, fidèles à notre amitié de longue date, que nous avons soutenu l’équipe nippone comme de bonnes supportrices.
Mais rapidement nous nous sommes retrouvées confrontées à des commentaires. Ce n’était pas des remarques des supporters de l’équipe adverse… que nenni.
Elles venaient des serveurs, qui ne semblaient être ni spécialement pour une équipe ou pour une autre.
Nous avons eu droit à « Les filles aiment le foot maintenant ? » ou à « Bien évidemment, vu que c’est des filles, elles sont pour le Sénégal ! » — avant de comprendre que ce n’était pas le Sénégal que nous soutenions, mais le Japon.
Euh, quoi ?
Du sexisme et du racisme, combo perdant
Leur incompréhension pour notre intérêt paraissait immense. Comme si par définition des femmes, sans être accompagnées d’hommes, ne pouvaient tout simplement pas être intéressées à ce sport.
Conclusion ? Seuls les corps d’athlètes noirs seraient la raison de notre venue. Les « jaunes », par contre, ne font bien sûr pas partie des fantasmes de ces dames !
Et encore, si nous n’exprimions pas avec une telle ferveur notre intérêt pour le match, peut-être que notre présence aurait été plus tolérée…
Nous aurions sans doute dû regarder du coin de l’œil l’écran plasma, assises à notre petite table un peu éloignée, en sirotant silencieusement nos verres. Car une femme ne hurle pas !
Elle ne gesticule pas devant un écran, et encore moins devant un match de foot. Et surtout pas en connaissant les règles du jeu ! Elle se doit d’être passionnée par les abdos d’un athlète sénégalais, pas par la passe manquée au latéral gauche…
Pitiiiiééééé !
Nouveau match, nouveau bar, même sexisme
J’ai pensé que cette soirée était un cas particulier, que ça ne se reproduirait plus et qu’à l’avenir on nous laisserait en paix.
Mais nous voilà de retour dans un autre bar, en France, cette fois pour soutenir l’équipe suisse. Nous sommes quatre. Gentiment, on nous met la chaîne du match en question.
La manager nous offre des chips, on rit joyeusement ensemble. Le match commence.
Quatre hommes installés à l’arrière crient qu’ils sont pour la Serbie, avant de rectifier qu’ils sont pour le Costa Rica (en effet, le match pour la Serbie avait déjà eu lieu).
Vous êtes. Des bolosses.
Entre-temps, deux autres tables de supporters et supportrices suisses nous entourent,
un couple de femmes valaisannes et un groupe suisse allemand mixte de quatre personnes d’un certain âge.
Peut-être parce qu’elles et ils étaient plus âgés, ou peut-être parce qu’elles et ils étaient un peu moins expressifs, jamais on ne leur a fait de remarque.
Mais voilà qu’un des jeunes serveurs et deux autres hommes d’âge mûr ont commencé à nous faire des commentaires, comme pour à tout prix avoir le centre de l’attention.
L’un des hommes est venu à plusieurs reprises tout proche de nous, frôlant nos épaules. Une fois en me chuchotant à l’oreille : « Ah ben voilà, le chocolat a enfin une raison d’être en Suisse » — en parlant d’Embolo et de Zakaria, qui venaient de faire plusieurs belles actions, que nous avions soulignées parmi d’autres.
Aaaaaaah, mais où cet homme a appris à parler ?!
Un autre homme nous a crié : « Oh les filles ! Pas besoin de faire autant de bruit ».
Et, cerise sur le gâteau, le serveur est venu à notre table en faisant plusieurs fois un doigt d’honneur, plus ou moins camouflé.
Qu’avions-nous fait mis à part regarder un match de foot tout en consommant sa boisson ? Ces mecs auraient-ils agi de la même façon si nous avions été des hommes ?
Se seraient-ils permis de venir aussi proche de nous, de nous chuchoter à l’oreille des blagues racistes, de poser leur doigt d’honneur sur notre table alors que nous étions concentrées à regarder un match ?
Réalisaient-ils à quel point leur comportement est éreintant et irrespectueux ?
Le saviez-vous ? Les filles aussi peuvent aimer le foot !
À la fin du match, deux d’entre nous sont finalement allées parler au serveur qui nous avait fait des doigts d’honneur. Une de mes amies lui a dit calmement qu’elle trouvait cela inacceptable et qu’elle exigeait des excuses.
Lequel a alors commencé à hausser la voix, à se mettre en colère en menaçant mon amie avec son poing et en disant que ce n’était pas une gamine de 13 ans qui allait lui apprendre comment faire (et pourquoi pas ?) (soit dit en passant, il y a douze ans de marge d’erreur avec son vrai âge).
Elle n’a pas vacillé d’un poil, bien que l’homme ait continué de rugir des paroles aussi sexistes que racistes.
C’est finalement la manager qui s’est excusée à sa place.
Mais je me demande… la prochaine fois que nous irons voir un match, que nous dira-t-on ?
Serons-nous insultées simplement parce que nous sommes des jeunes femmes regardant un match de foot ? Devrons-nous encore subir des commentaires racistes et sexistes à cause de notre genre ?
Oui, les filles aussi peuvent aimer le foot et désirer y jouer.
Du reste, la Coupe du Monde de foot féminine existe également. Elle est bien moins médiatisée, les joueuses nettement moins bien payées…
Mais j’espère qu’un jour, les enfants s’échangeront les autocollants Panini à leur effigie avec autant de passion que ceux des hommes.
J’espère que chaque match passera également sur tous les écrans des bars, et que lorsqu’une équipe gagnera, l’on entendra des cris dans les rues, ricochant entre les immeubles.
Merci d’arrêter de me juger pour mon genre
Je demande le droit à pouvoir regarder un match en public sans être importunée par des remarques sexistes et racistes.
Je demande le droit à ce que les clientes soient traitées de façon égales aux clients, de même que les supportrices le soient face aux supporters et les footballeuses face aux footballeurs.
Je demande le droit à ce qu’on ne me juge pas à cause de mon genre et cela peu importe la situation, que ce soit en regardant un match de foot, en passant un entretien d’embauche ou en marchant dans la rue !
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