« Pas de folles. »
C’est ce qui apparaît fréquemment sur les profils de beaucoup de garçons sur les applis de rencontres gays (avec ses autres dérivés) :
« Si t’es efféminé dehors. »
« Follasses -> out »
« J’veux un vrai mec, si j’voulais une princesse à sac à main je s’rais hétéro. Lol. »
Certains diront qu’il s’agit juste d’une préférence, d’une attirance pour une certaine forme de masculinité, et que le garçon dit « efféminé » ne fait pas partie de cette préférence (comme on peut avoir un penchant pour les grands, les yeux bleus, les roux, les barbus, les grands roux barbus aux yeux bleus).
Le problème, c’est que cette petite phrase, « Pas de folles », par la violence excluante de sa formulation, traduit directement la follophobie de son orateur ainsi que celle qui règne plus généralement dans notre société.
La follophobie, c’est quoi ?
Concrètement, c’est quoi la follophobie ? C’est le rejet d’un homosexuel maniéré, parfois extraverti, qui reprend des codes dits « féminins » dans sa manière de parler et/ou de s’habiller.
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« Pas de folles », c’est follophobe. Vouloir à tout prix qu’un homosexuel corresponde à la vision virile et hétéronormée de l’homme en dévalorisant les pratiques dites féminines, c’est homophobe et sexiste.
Il y a quelques semaines, je lisais un célèbre magazine s’adressant principalement aux hommes homos et je suis tombé sur ce commentaire facebook que j’ai ensuite partagé sur Twitter.
https://twitter.com/_MonsieurQ_/status/705369947720060928
Ce commentaire démontre parfaitement cette follophobie/homophobie intériorisée (par des personnes elles-mêmes homosexuelles).
La « folle », l’homo « efféminé » est devenu le contre symbole de la virilité et donc du masculin.
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C’est le « faux-homme », celui qui fait honte, et énormément de personnes (hétéros ou homos) estiment qu’à cause de leur comportement « féminin », ils véhiculent les clichés du stéréotype gay et desservent la cause homosexuelle.
« La peur, c’est d’être repérable »
L’auteur du commentaire nous dit :
« Pour ma part, mon copain et moi estimons que nous sommes suffisamment hétéros pour ne pas nous faire remarquer dans la rue. »
On en est là. Au final, ce qui fait peur, c’est d’être repérable, qu’on comprenne en un coup d’œil l’orientation sexuelle d’une personne et qu’elle soit catégorisée par celle-ci. L’homosexualité (même pour certains homos) doit être invisible et ne surtout pas sortir de la couette.
Ce qui fait peur, c’est d’être repérable. Une homosexualité liée au « féminin » fait honte.
Une homosexualité liée, d’une façon ou d’une autre, au « féminin » fait honte. Dans nos normes actuelles, ce qui a trait à la féminité est faible, futile ou superficiel, alors que la masculinité est élevée sur son piédestal depuis des siècles.
Il faut donc prouver que l’on n’est pas comme ça, prouver qu’on ressemble à n’importe quel hétéro (symbole de l’homme réellement viril), et ainsi être un homo « qu’on dirait pas », un « bon homo », celui qui rentre dans le rang de notre société binaire où un mélange des codes genrés est à proscrire.
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Vivons (homos) heureux, vivons (homos) cachés
« Nous sommes suffisamment hétéros » est pour moi l’expression la plus violente de ce commentaire. Il ne dit pas « Nous paraissons suffisamment » mais « Nous sommes », comme s’il reniait sa propre orientation sexuelle.
« Je partage ma vie avec un homme, mais je suis hétéro juste ce qu’il faut pour être acceptable aux yeux de la société. »
Homosexuel mais homme, viril, masculin ; ni tapette, ni folle, et surtout pas femme. La femme est considérée comme inférieure à l’homme, passive et faible. Ce n’est pas pour rien que la plupart des insultes homophobes sont au féminin : « une tante », « une tarlouze », « une tata », « une fiotte », « une pédale »… « une folle ».
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Follophobie & misogynie
La réelle source de la follophobie est bien le sexisme.
Ainsi, pour lutter contre l’homophobie, il faudrait gommer les comportements d’individus jugés féminins pour ne pas heurter l’homophobe ?
Il faudrait autoriser uniquement les représentations d’une homosexualité en accord avec les normes du genre établies par le patriarcat ? Il faudrait être « comme les autres », sous-entendu, « comme les hétéros » ?
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En mars 2015, l’acteur Russel Tovey (de la série Looking) a accordé une interview au Guardian et y explique son « soulagement » de ne pas être un homo efféminé. Il remercie son père de ne pas l’avoir inscrit dans une école de théâtre où il serait peut-être devenu « un danseur de claquettes ».
On trouve une volonté d’être masculin à tout prix, quitte à se forcer pour adopter un comportement viril et à rejeter ceux qui ne le font pas.
On trouve une volonté d’être masculin à tout prix, quitte à se forcer (à se dénaturer ?) pour adopter un comportement viril ; quitte à rejeter les personnes qui ne se conforment pas à l’idée qu’on se fait de la masculinité, à les stigmatiser sous prétexte de la « mauvaise image » qu’elles renvoient.
Parce que ce qui dérange le plus un homosexuel à la recherche d’une virilité exacerbée, c’est qu’on puisse l’apparenter à une « folle » du simple fait qu’ils partagent la même orientation sexuelle :
« On n’est pas tous comme ça ! Je suis un vrai mec moi ! Mon homosexualité, c’est seulement dans mon lit. »
La seule manière valable de vivre son homosexualité serait donc de la renvoyer exclusivement à son statut d’intimité sexuelle et ne devrait jamais s’échapper de la chambre à coucher. Penser qu’il s’agit de l’unique option, c’est renier toute la culture gay et lesbienne, et c’est aussi renier une histoire militante pour l’égalité des droits.
Rejeter les homosexuels « efféminés », réécrire l’Histoire
N’oublions pas que ce qui permet aujourd’hui à beaucoup d’homos de vivre « normalement », ce sont les combats menés par les folles, les travestis, les trans, les prostitué•es, en première ligne lors des émeutes de Stonewall en 1969 par exemple.
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Ma sexualité et ma manière de la vivre ne se résument pas à la personne que je mets dans mon lit.
À titre tout à fait personnel, ma sexualité et ma manière de la vivre ne se résument pas à la personne que je mets dans mon lit, mais aussi à celle que j’aimerais embrasser dans la rue sans appréhension (et j’aurai bien du mal à « paraître hétéro » si je tiens la main d’un amoureux dans l’espace public).
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Ça veut également dire pouvoir me colorer les cheveux en rose si j’en ai envie sans pour autant me sentir jugé, me demander si c’est « trop gay » ou pas assez. Juste, faire ce que je veux.
Il me paraît évident qu’il existe autant de manières de vivre sa sexualité et ses relations amoureuses qu’il existe d’individus. L’une ne doit pas être plus valable qu’une autre.
Pourquoi tant de haine ?
En luttant à outrance contre les clichés, il ne faut pas oublier qu’on parle également de personnes bien réelles, qui existent, et qui ne méritent certainement pas cette haine ou d’être invisibilisées au nom de la sacro-sainte virilité, juste parce qu’elles ont le courage d’être elles-mêmes.
En effet, aujourd’hui, on loue constamment les œuvres culturelles (cinématographiques, littéraires ou autre) pour leur représentation non stéréotypée de personnages homosexuels. Il est vrai que c’était nécessaire.
Pendant longtemps, les rôles « gays » étaient toujours les mêmes (à savoir un personnage très efféminé et extraverti), et heureusement qu’une autre vision est dorénavant disponible.
Mais au lieu de présenter plusieurs cas de figure possibles, on tire de plus en plus vers l’unique représentation d’une homosexualité hétéronormative : celle qui ne pose pas les questions du genre, celle qui ne fait pas de vagues et qui continue d’agrémenter des clichés bien plus gros, encore plus profondément ancrés dans notre société, à savoir qu’un homme ne doit pas se comporter « comme une femme », sans quoi il sera « moins qu’un homme ».
Dire que pour lutter contre l’homophobie et l’égalité des droits, il faut montrer qu’une personne homosexuelle est « comme les hétéros » (du moins l’idée qu’on se fait de l’homme hétéro), au détriment des « mauvais homos » qui redessinent les normes du genre, ce n’est pas faire avancer la cause.
C’est, encore une fois, se soumettre à une société patriarcale sexiste qui nous dicte sans arrêt ce que doit être « un bon garçon » et « une bonne fille ».
C’est quand les femmes seront considérées comme les égales des hommes que le dénigrement des comportements dits féminins prendra fin, et que la follophobie ne sera plus que le souvenir honteux de nos intolérances passées.
Tût tût les rageux !
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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