Mise à jour du 23 juin 2015 :
La proposition de loi portant sur la fin de vie était examinée par les sénateurs. Pour mémoire, lors de son premier passage devant les députés, la frange conservatrice de nos représentants avait réussi à amender le texte jusqu’à le vider de sa substance — à savoir la possibilité, pour un•e patient•e en fin de vie, de mettre fin à ses souffrances, y compris par l’aide d’un tiers. (Lire notre article publié le 13 mars, ci-dessous).
Le Sénat a rejeté le texte voté à l’Assemblée Nationale.
Ce vote entrave l’adoption de la loi, et renvoie à une nouvelle étape du processus législatif, qui permet surtout de reprendre la copie et corriger les amendements soutenus notamment par les membres de l’Entente Parlementaires pour la famille (proches de La Manif Pour Tous).
La Ministre de la Santé, Marisol Touraine, s’est d’ailleurs félicitée du rejet de cette version dénaturée du texte.
Cette navette retarde encore un peu plus l’adoption d’une loi sur la fin de vie en France, attendue par les malades et leurs proches. Mais en effet, le texte qui avait été transmis au Sénat ne portait plus les outils nécessaires à cette réforme.
Le retour de la proposition de loi à l’Assemblée Nationale pourra permettre de revenir sur ces dispositions. L’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignitié (l’ADMD) a d’ores et déjà affirmé son intention de poursuivre son lobbying auprès des député•e•s pour aboutir à l’adoption d’un texte satisfaisant.
Article initialement publié le 13 mars 2015 :
Sommes-nous égaux devant la mort ? Non, bien sûr. Il n’y a rien de plus injuste, arbitraire, imprévisible que la mort. Si elle frappe tout ce qui vit, l’heure et la manière sont à sa discrétion.
En 2012, un certain François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, s’était engagé à légiférer sur la fin de vie. En bon socialiste, il lui était insupportable de savoir ses concitoyens inégaux face à la mort. En effet, les mieux lotis de notre société ont accès aux meilleurs soins, y compris aux soins palliatifs, et ils ont également la possibilité de mettre fin à leurs jours comptés et douloureux en traversant les frontières.
Cliquez sur l’image pour suivre le lien, et consulter la carte du droit à mourir en Europe, par Arte.
Cette infime minorité a le choix de sa propre mort. Pour tous les autres, l’incertitude préside. C’était pour mettre fin à cette situation d’inégalité que François Hollande en avait fait la promesse : sous sa présidence, il y aurait une loi sur le droit à mourir dans la dignité.
Engagement 21
« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans les conditions précisées strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »
Mercredi 11 mars 2015, les députés français en ont décidé autrement.
À lire aussi : Suicide assisté, euthanasie : et vous, qu’en pensez-vous ?
La loi Leonetti-Claeys, retranchée derrière « la ligne jaune »
Dix ans après la loi Leonetti qui permet de mettre un terme à l’acharnement thérapeutique, une nouvelle proposition de loi est en discussion à l’Assemblée nationale : elle vise à préciser les dispositions présentes dans la première loi, mais méconnues, non respectées ou non utilisées par les malades et le personnel médical.
Et c’est à peu près tout : les fameuses directives anticipées, par lesquelles une personne peut formuler des souhaits relatifs à la fin de sa vie, devront être respectées par le corps médical, qui avait le dernier mot dans la loi Leonetti.
Mais la nouvelle loi ne va malheureusement pas beaucoup plus loin, et n’autorise toujours pas l’aide active à mourir. Son article premier dispose :
« Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
Sauf que l’on ne met pas à leur disposition les moyens de mettre fin à une vie.
L’article 3 de la proposition de loi portée par messieurs Leonetti et Claeys introduit le recours à « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie », qui peut être mise en œuvre dans deux cas précis :
« 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable, et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire à l’analgésie ;
2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme. »
En clair, cette sédation profonde n’est possible que si l’arrêt des traitements (dont la nutrition et l’hydratation artificielle font partie) va entraîner la mort du patient, ou si les souffrances du patient ne peuvent être soulagées efficacement par les anti-douleurs.
Plusieurs amendements portés par des députés écologistes ont tenté d’ajouter à cet article 3 la possibilité de mettre fin à la vie du patient, à sa demande consciente explicite. Ils ont été rejetés par un scrutin public, dont les résultats ont été publiés sur le site de l’Assemblée nationale.
Jean Leonetti lui-même, le rapporteur de la loi, s’est opposé à l’introduction de pareilles dispositions :
« Il existe une ligne jaune, qu’il ne faut pas franchir : donner la mort. Si ces amendements étaient adoptés, ce texte en serait tellement modifié qu’il ne serait plus le même. Dans ce cas, les rapporteurs ne pourraient pas continuer à le défendre. »
Ce vote est intervenu à quelques heures d’une soirée spéciale diffusée sur France Télévisions : une soirée débat au cours de laquelle plusieurs intervenants ont fait part de leur expérience sur la fin de vie. Les commentaires laissés sous l’article de présentation du débat sont édifiants.
J’ai notamment retenu le témoignage de Nathalie, dont le mari atteint de la maladie de Charcot est finalement décédé après de longs mois de souffrance. Ayant épuisé tous les recours en France, le couple a voulu se rendre en Suisse, afin d’avoir accès à une aide médicalisée.
À ce stade, le mari de Nathalie n’était plus en état d’être transporté. Lui qui voulait mourir n’en avait pas le droit en France, et n’avait plus la capacité d’aller en Suisse.
« Enfin, les médecins de l’hôpital ont accepté de le recevoir en consultation au service des urgences. Une prescription de morphine — à commander à notre pharmacie qui ne pouvait me la donner que le lendemain matin — nous a été confiée. L’hôpital n’a pas pu, ou pas voulu, lui en administrer. Nous avons dû attendre une ambulance 3 heures pour pouvoir rentrer chez nous.
Mon mari est mort ce jour-là, chez nous, quelques minutes après avoir été allongé sur notre lit. Il était médecin psychiatre/psychanalyste et depuis toujours redoutait de mourir à l’hôpital. Je lui ai tenu la main et lui ai dit encore mon amour, ses trois enfants étaient chez nous au moment de sa mort. »
Ces circonstances sont malheureusement très courantes. Le rapport du comité consultatif national d’éthique sur la fin de vie rapporte des chiffres effarants à ce sujet :
« Sur les 17 705 patients décédés en 2012, 9 130 (52%) avaient entre 75 et 89 ans, et 3 990 (22%) avaient 90 ans ou plus. Cela signifie que plus de 13 000 personnes âgées (≥75 ans) décèdent aux urgences chaque année.
Plus de 60% de ces patients sont hospitalisés pour une pathologie dont l’évolution prévisible et les symptômes nécessitent des soins palliatifs. Près de la moitié de ces personnes décèdent au cours de la nuit qui suit leur entrée aux urgences. »
– Extrait du rapport du comité consultatif national d’éthique sur la fin de vie.
Si la loi prévoit de renforcer l’accès aux soins palliatifs afin de d’éliminer toute souffrance, elle ne permet toujours pas de les abréger de façon radicale, en permettant au patient de bénéficier d’une aide médicalisée à mettre fin à ses jours.
Mourir dignement ?
Je ne sais pas ce qu’est une « mort digne », mais je m’imagine assez aisément les morts indignes. Pour être tout à fait honnête, non, je ne peux comprendre, ni même imaginer, les souffrances, le désarroi, les angoisses de toutes celles et ceux qui doivent faire face à une condamnation à mort, pour eux-mêmes ou pour leurs proches. Les agonies lentes, douloureuses, mais surtout annoncées, inéluctables.
J’ai vu les ravages que les cancers ont faits autour de moi. Des adultes dans la force de l’âge, progressivement réduits dans leurs mouvements, dans leur expression, pour n’être plus qu’un corps inerte en attente de la fin.
La sédation profonde en fin de calvaire, en attendant la mort, c’est la moindre des choses. Mais faut-il s’infliger la descente aux enfers, la perte progressive et inexorable de son autonomie, la dépendance aux autres ? Ne peut-on pas faire le choix éclairé, délibéré, quand on le peut encore, d’épargner à soi-même et à ses proches une inévitable agonie ?
J’ai lu les compte-rendus de séance, mais surtout le rapport du comité consultatif national d’éthique, ce fameux rapport qui était attendu afin de pouvoir préparer cette loi sur la fin de vie, promise par François Hollande.
Il atteste de la nécessité d’une meilleure prise en charge des patients en fin de vie, d’une meilleure écoute de leurs souhaits, et de la peur partagée par de nombreux concitoyens de ne pas avoir le choix, de ne pas maîtriser ses derniers instants.
Il souligne que le recours à l’euthanasie active, au suicide assisté (je vous passe les nombreux débats sémantiques dont les subtilités m’échappent), ne font pas l’unanimité. Mais il précise également l’origine des objections les plus farouches exprimées au cours des consultations.
Laïcité et conscience(s)…
« Des raisons religieuses ». Je comprenais, même s’il me faisait grincer des dents, la nécessité de trouver un compromis entre les différentes visions, afin d’établir un cadre juridique à la fin de vie en France. Mais je suis outrée que ceux qui ont érigé la laïcité au rang de valeurs piliers de notre république laissent aujourd’hui des « raisons religieuses » s’inviter dans un débat de société aussi important.
En regardant d’un peu plus près la liste des 89 députés qui ont voté contre les amendements visant à introduire un droit à l’euthanasie en France, on retrouve – comme c’est intéressant – un grand nombre des membres de l’entente parlementaire pour la famille : il s’agit d’un groupe rassemblant des députés proches de la Manif pour tous. Ils étaient présents et ont voté, eux.
Ce sont donc toujours des raisons religieuses qui viennent interférer dans l’écriture des lois de notre république laïque.
S’exprimant devant l’assemblée, Marisol Touraine, la ministre de la santé, s’est félicitée de l’équilibre trouvé par cette proposition de loi, afin de ne pas « brusquer » la société.
« Le débat que nous menons porte d’abord sur le caractère souhaitable de ces propositions. Pour certains, elles le sont ; pour d’autres, non. Cette réponse relève de l’intime, des convictions personnelles. Il ne m’appartient pas de trancher ce débat, en tout cas pas dans ce lieu. Mais s’agissant de la deuxième question, sur la possibilité d’appliquer ces propositions dans l’état actuel de la société française, il nous revient de faire évoluer le droit d’une manière qui ne brusque pas cette dernière.
Ne nous y trompons pas : si une écrasante majorité – 90% – de nos concitoyens disent souhaiter des nouvelles réponses à la fin de vie, les résultats sont plus nuancés lorsqu’on entre dans le détail des propositions ; ayons l’honnêteté de le reconnaître, quelles que soient nos convictions personnelles. Il n’y a pas 90% de Français favorables à telle option ou à telle autre… »
Des intentions louables, jusqu’à ce que je réalise que ceux qui étaient « brusqués » par l’introduction de l’euthanasie dans notre droit l’étaient pour « raisons religieuses ». Sans commentaires.
Retour à la réalité
La rédaction de cet article a été interrompue par un déjeuner chez mes grands-parents, qui s’occupent de me nourrir pendant ma convalescence. Pendant la matinée, ils avaient vu quelqu’un frapper à ma porte : le médecin s’était trompé d’adresse, il cherchait la maison de mes voisins.
J’en profitais pour demander à mon grand-père des nouvelles de l’état de santé de mon voisin, que je savais gravement malade.
– Ah lui ! Oh tu sais, il est en fin de vie. – C’est-à-dire ? – Ils attendent la fin d’un jour à l’autre, mais ça peut durer des semaines. – Cette idée me semble insupportable… Je ne pourrais pas « attendre des semaines ». – Moi non plus, c’est sûr. Je voudrais en finir.
Ma voisine ne sort plus, depuis des mois. Elle est au chevet de son mari. J’ignore s’ils vont bénéficier de cette « sédation profonde », afin d’abréger les souffrances de son mari, sinon les siennes. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’au lieu d’être au chevet d’un homme mourant, elle sera aux côtés d’un corps à l’agonie, déserté par l’esprit.
L’important, c’est apparemment que la conscience des uns soit respectée. Et tant pis si elle va à l’encontre de la volonté des autres, surtout de ceux qui souffrent….
Je ne sais pas ce qu’est une mort digne. Mais j’ai une certitude : sur ce sujet, la lâcheté de nos décideurs politiques m’indigne.
L’Assemblée Nationale adoptera cette proposition de loi mardi 17 mars. Elle devra ensuite être adoptée au Sénat dans les mêmes termes : il n’est donc peut-être pas trop tard pour faire pression auprès de vos sénateurs !
Des sénateurs qui sont élus, entre autres, par les conseillers généraux. Ces mêmes conseillers généraux que nous sommes appelés à élire… Le 22 mars prochain, à l’occasion des élections départementales. À bon entendeur…
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Les Commentaires
Tous les patients ne sont pas en état de demander une euthanasie. Combien en avons nous vu passer, des patients incapables de communiquer, trop âgés, à moitié comateux ou délirants sur la fin...? Pas d'euthanasie dans ce cas là?
Il est très difficile ethiquement d'avoir dans ses cas des consentements clairs et précis. Nous n'avons malheureusement pas à l'hopital que de beaux cas bien carrés où la personne en pleine possession de ses moyens, atteinte d'une maladie très grave qui la tuera de façon certaine sans qu'on puisse y faire quoi que ce soit émet un souhait clair et réfléchi sur sa fin de vie.
Sinon pour rebondir sur ta dernière phrase: dans l’hôpital où je travaille c'est plutôt 50/50: à réfléchir ?