C’est le week-end, moment parfait pour parfaire sa culture ciné ! Voici donc une nouvelle fournée de films qui mériteraient vraiment d’être plus connus. Derien.
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Stuart: A Life Backwards, la plus déchirante des bromances
Toi-même tu sais qu’on commence avec le film qui réunit Benedict Cumberbatch et Tom Hardy, tu me connais bien maintenant.
Stuart: A Life Backwards est un téléfilm BBC/HBO, l’adaptation de la biographie du même titre par Alexander Masters, auteur et dramaturge, de son ami Stuart Shorter, ancien détenu et sans-domicile fixe. Alexander l’a rencontré dans le cadre de son travail pour aider des sans-abri, et en lui faisant raconter sa vie peu à peu, il a développé une solide affection pour Stuart, qui s’est révélée être réciproque. Le titre, qu’on pourrait traduire par Stuart, une vie à rebours, fait référence au fait que la biographie commence par Stuart à l’âge adulte et remonte le temps jusqu’à son enfance.
Stuart: A Life Backwards est très simple sur la forme, avec peu d’effets de cadrage ou de lumière, ce qui lui donne quasiment des airs de documentaire — logique si on prend en compte le fait qu’il s’agit d’une histoire vraie. Benedict Cumberbatch, dans le rôle d’Alexander Masters, est un savant équilibre entre un personnage sympathique ayant à cœur les intérêts de son ami Stuart, et un irrémédiable bobo qui n’arrivera jamais à se défaire d’une certaine distance très « scientifique », comme si la vie désastreuse de ce pauvre hère était un objet d’études et non l’histoire d’un être humain complet. On oscille, du coup, entre une affection sincère envers son personnage et un certain dégoût, voire une révolte lorsqu’il pousse Stuart dans ses retranchements uniquement pour avoir « de la matière ».
Mais c’est véritablement Tom Hardy qui crève l’écran, et le cœur, tant il arrive à incarner justement Stuart — pas forcément étonnant sachant qu’il a combattu dans sa vie personnelle des problèmes d’addiction et de violence. Dans ce personnage de sans-abri souffrant d’une maladie mentale et d’un handicap physique, il est à la fois inquiétant et irrémédiablement touchant. Sa diction traînante qui avale la moitié des syllabes, sa façon de se mouvoir comme si chaque geste était une douleur, ses étranges sautes d’humeur font de Stuart un héros tragique à la vie pourtant tristement banale, et force à réfléchir sur tous ces « invisibles » qui existent à nos côtés, dans une dimension parallèle que les chanceu•x•ses que nous sommes ne connaîtront jamais vraiment.
My Blueberry Nights, un road-movie empreint de délicatesse
My Blueberry Nights est le premier film anglophone (et tourné en-dehors de l’Asie) de Wong Kar-wai, célèbre réalisateur hong-kongais notamment connu pour son fabuleux diptyque In the mood for love/2046. Il marque également les débuts au cinéma de la chanteuse Norah Jones.
L’œuvre s’ouvre sur le café new-yorkais tenu par Jeremy (Jude Law), et fréquenté par Elizabeth (Norah Jones), qui s’y réfugie après avoir appris que son compagnon la trompait. Après avoir passé une nuit à discuter avec Jeremy, Elizabeth lui laisse ses clés, qu’il ajoute à un bocal plein de trousseaux abandonnés par divers•es client•e•s, et se lance dans un road-trip sans but précis afin de redonner un sens à sa vie et de digérer les évènements récents.
De Memphis, Tennessee, à Las Vegas, Nevada, Elizabeth (qui se fait désormais appeler Lizzie) s’abîme peu à peu dans les remous d’une Amérique à la fois moderne et intemporelle, sans jamais oublier Jeremy à qui elle envoie régulièrement des cartes postales. Elle nouera également des liens forts avec divers personnages : Sue Lynn et son ex-mari Arnie, puis Leslie, joueuse de poker invétérée.
My Blueberry Nights
est un road-movie subtil et poétique, qui oscille entre la quête de liberté et le besoin de trouver un endroit où planter ses racines. Malgré ses errances, Lizzie conserve un lien ferme, bien qu’unilatéral, en communiquant avec Jeremy, et tous les personnages qu’elle sera amenée à côtoyer lutteront comme elle entre l’envie de se libérer de leurs vies respectives et le besoin de trouver un point d’ancrage pour ne pas dériver.
Malgré un succès commercial raisonnable, le film a déçu de nombreux fans de Wong Kar-wai, qui l’attendaient au tournant pour cette première œuvre résolument américaine, mais My Blueberry Nights aura toujours une place dans le palmarès de mon petit cœur, grâce à sa beauté, à ses femmes fortes, fragiles, complexes et sublimes (notamment Sue Lynn, interprétée par Rachel Weisz), et à sa bande-originale toute douce, bien évidemment portée par la jolie voix de Norah Jones.
Primer, pour celles qui aiment avoir mal au crâne
https://youtu.be/4CC60HJvZRE
Primer, un étrange film indépendant monté avec un tout petit budget de 7000$ par un certain Shane Carruth en 2004, n’a été diffusé que de façon limitée mais a gagné au fil des années un statut d’œuvre culte dans certains milieux.
Il raconte l’histoire de quatre amis ingénieurs construisant sur leur temps libre une machine visant à réduire le poids d’un objet sans en altérer le volume. Deux d’entre eux, Aaron et Abe, se rendent compte que si l’engin fonctionne comme prévu, il a un effet secondaire très inattendu : l’objet placé à l’intérieur « traverse » plus de mille fois le volume de temps pendant lequel la machine était activée.
Sans pression, Aaron et Abe viennent d’inventer, par erreur, le voyage dans le temps.
Ils décident de taire l’information à leurs collègues et de se servir de la machine pour gagner du flouze en Bourse. Mais évidemment, rien ne se passe comme prévu, les deux ingénieurs prennent de plus en plus de risques avec ce mystérieux engin et se déchirent, de dimension temporelle en dimension temporelle, pendant que leur secret commence à fuiter…
Primer est absolument incompréhensible à la première vision… et probablement à la douzième aussi, pour une écrasante majorité de la population. Sur le Web fleurissent des diagrammes explicatifs, des schémas pour visualiser les différentes timelines et même un commentaire audio à lancer en même temps que le film, qui aide à en comprendre les mécanismes. Le concept de voyage temporel qu’on trouve ici est inspiré de théories scientifiques existant réellement, mais ce qui lui a donné sa réputation de « film le plus juste au sujet du voyage dans le temps » est plutôt l’attitude des deux héros, bien plus crédible que ce qu’on peut voir dans d’autres œuvres explorant ce thème.
L’essayiste américain Chuck Klosterman met le doigt sur le voyage temporel tel qu’il est présenté dans Primer :
« C’est bien trop important pour qu’on ne l’utilise que pour gagner de l’argent, mais trop dangereux pour qu’on l’utilise à toute autre fin. »
Si ça a piqué votre curiosité, alors avalez deux Doliprane et tentez l’aventure Primer !
Tetro, une fresque tragique superbement contrastée
Tetro est un film de 2009 réalisé par pas-tout-à-fait-n’importe-qui : Francis Ford Coppola, qui l’a également produit et scénarisé.
Situé en Argentine, il raconte l’histoire de deux frères se retrouvant après plusieurs années : Bennie, jeune et assez innocent, ne rêvant que de femmes dénudées et d’eau fraîche, et Tetro, le plus vieux, torturé, créatif, secret, lunatique. Cette réunion de famille va soulever la vase des années sous laquelle se planquait Tetro et dénuder de nombreuses blessures, rivalités et histoires oubliées, plongeant la fratrie dans un chaos toujours surplombé par l’ombre dantesque, énorme, de leur père qu’on ne voit pas mais qui sait se faire omniprésent.
Tetro est une œuvre superbe à bien des niveaux, tant sur le fond que sur la forme. C’est d’abord et surtout un film magnifique, au noir et blanc savamment contrasté, dans lequel chaque plan se fait tableau, chaque clair-obscur devient poésie. C’est une performance d’acteurs, surtout de la part de Vincent Gallo, l’écorché vif, l’ombrageux Tetro tiraillé entre sa fierté et sa peur de devoir se mesurer à son père. C’est un équilibre très juste entre des moments résolument légers, aussi pétillants que le jeune Bennie, et des passages sombres, douloureux.
Tetro est une sorte d’opéra tragique et fantasque, de tragédie grecque sous le soleil argentin, où les squelettes sortent des placards avec fracas, en bousculant tout sur leur passage. C’est une histoire de famille à l’ancienne, avec des secrets, des drames, de hauts cris et des assiettes qui volent, le tout dans l’ambiance feutrée de ceux qui ne voudraient pas que le reste du monde entende les disputes. C’est un grand film, fort et lyrique, sur un thème éternel : devenir adulte, en se détachant de ceux qui nous ont mis au monde.
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