Article initialement publié le 31 octobre 2011
Vous là, celles qui suivent assidûment le blog horreur, les commentaires éclairés de Jack Parker, celles qui se sont précipitées applaudir Scream 4 ou Paranormal activity 3, celles qui préfèrent du gore pour le gore, celles qui ont déjà parfaitement réfléchi à une stratégie de contre-attaque si d’aventure Freddy Krueger, Candyman ou Chucky venaient à croiser leur route : pourquoi apprécions-nous les films d’horreur ? Par goût immodéré pour la couleur rouge ?
Pour bien se rappeler que nous sommes en vie, nous, pas comme cette pauvre Tatum sciée par la chatière d’une porte de garage (Scream 1, puriste) ?
À celles qui se cachent les yeux, se bouchent les oreilles, sursautent en gémissant et cauchemardent des semaines durant : pourquoi continue-t-on à regarder des films d’horreur ?
Et à ceux qui serinent que la pauvre génération de fanatiques d’hémoglobine est vouée à reproduire les violences dont elle est spectatrice : regarder des films d’horreur fait-il vraiment de nous des serial killer en puissance, assoiffés de chair sanguinolente et de hurlements ? HEIN ?
Regarder des films d’horreur : pourquoi ? Serions-nous masochistes ? Insensibles ? Pervers ? Toutes les réponses précédentes ?
Certains vous diront qu’il y aurait là une sensation nous rappelant un comportement antique – BEN VOYONS (je ne ferais pas partie de ceux-là).
D’autres souligneront l’effet cathartique du film d’horreur : avoir peur nous rendrait plus vivant, permettrait de nous défouler et de nous décharger de nos mauvaises humeurs quotidiennes…
Pour d’autres encore, le cinéma horrifique permettrait une dérision et relativisation de la mort ; par cette trivialisation, notre angoisse de mourir deviendrait ridicule et insensée. Dans la même veine, le sociologue Luc Boltanski affirme qu’avoir « sous les yeux la triste preuve de l’extrême fragilité de l’existence rend soudain exaltant le sentiment d’être (encore) en vie ».
En revanche, Jeffrey Goldstein, professeur de psychologie sociale (et auteur de Why we watch, the attraction of violent entertainment), explique que nous serions friands de ce type de cinéma parce que nous voulons avoir peur, nous voulons que le film nous affecte… Comme les adeptes de comédies romantiques veulent vibrer devant le 6-pack de Ryan Gosling, nous voudrions frémir en voyant le pull rayé de Freddy Krueger, frissonner en répétant « Candyman » devant nos miroirs, croire aux fantômes le temps de l’Orphelinat…
Selon certains psychiatres, les films d’horreur seraient aux adolescents ce que les contes de fées sont aux enfants, du moins sous certains aspects. Pour Goldstein, les films d’horreur sont créés pour faire ressentir des émotions fortes, de la peur – parfois même de la terreur ; mais l’attrait envers ce genre de cinéma dépendrait à la fois du spectateur, du film et des circonstances de visionnage… Un système en interaction !
Ainsi, les motivations des spectateurs seraient le désir de l’excitation, le plaisir des réactions physiologiques (montées d’adrénaline – ce que les psychologues appelleraient le « sensation-seeking »), la recherche d’une distraction et d’une échappatoire au quotidien, l’envie de voir la destruction…
Et la satisfaction de voir tout ça résolu à la fin du film (du moins parfois).
Vous allez me dire que d’autres types de films pourraient remplir ces fonctions – effectivement, mais les films d’horreur ont ceci de différent qu’ils proposent également une violation des normes sociales (en visionner nous ferait alors indirectement sortir de ces mêmes normes…).
Dans une société qui condamne et prohibe la violence, le film d’horreur serait subversif et ses spectateurs auraient une volonté de transgression des codes établis.
Les circonstances de visionnage d’un film horrifique participent également à son attrait : généralement, Saw & consorts seraient plutôt regardés en groupe et deviendraient donc des sources d’expériences partagées…
Le film permettrait ainsi de contribuer à un lien social, à des interactions entre les individus et marquerait l’appartenance à un certain groupe (en l’occurrence une appartenance à un groupe « d’initiés » au genre horrifique, une subculture, avec tout ce que cela pourrait impliquer sur notre identité et la façon dont nous nous présentons).
Somme toute, lorsque nous regardons un film d’épouvante, nous serions heureux d’être malheureux… C’est-à-dire que nous aurions du plaisir (des émotions positives) à ressentir des émotions négatives.
Pour preuve : les moments les plus excitants et jouissifs d’un film d’horreur sont souvent les scènes les plus épouvantables. Pour peu que l’on soit confortablement installé dans son clic-clac en sirotant du Candy Up – donc dans un cadre protecteur, à une certaine distance de sécurité, nous pouvons éprouver du plaisir à avoir peur.
Pourquoi regarder un film d’horreur ne fera pas de moi une sociopathe assoiffée de sang risquant d’aller découper et faire rôtir mon voisin
Les images violentes n’incitent pas forcément les individus à devenir des cinglés sanguinaires et s’il est possible qu’existe un impact de ces images, celui-ci est modulé par le regard personnel de celui qui le regarde ainsi que son environnement social… Le spectateur n’est pas seulement une éponge passive sous le joug de son environnement, mais est en interaction constante avec lui – de sorte qu’il est parfaitement capable de relativisation… Pascal Marchand (cf. « pour aller plus loin ») classe les effets d’une potentielle influence médiatique en trois types :
>> Les impacts directs et immédiats
Effectivement, regarder un film violent serait susceptible d’augmenter notre désir de vengeance et notre agressivité ; mais cet impact n’est que de très courte durée et n’est présent significativement que chez les individus prédisposés à la violence (chez les autres, l’effet inverse s’observerait – diminution de l’agressivité)…
>> Les impacts directs et différés
Selon la théorie de l’apprentissage social de Bandura (pour faire court, nos conduites seraient acquises par l’observation et l’imitation de modèles), les enfants pourraient adopter des conduites antisociales lorsqu’ils les ont vues à la télévision… Mais ces effets sont immédiats, et pas forcément intégrés : si dans la minute qui suit le visionnage de Funny Games U.S. j’ai l’envie subite d’aller casser des genoux, est-ce que cette envie durera sur le long terme ?
Si ces réactions relèvent probablement d’une imitation ponctuelle, une exposition régulière à des images violentes pourrait toutefois entraîner deux effets : une désensibilisation à la violence (en ce sens, les férus de films horrifiques réagiraient moins à la violence que les autres… ce qui ne signifient pas qu’ils vont passer à l’acte) et une désinhibition normative (plus l’on regarde de films violents, moins nous sommes choqués et plus nous ressentons de plaisir).
Par ailleurs, il semblerait que les individus agressifs/en colère seraient plus enclins à choisir des films violents que les autres… Les comportements violents ne seraient donc pas forcément les conséquences du visionnage de la violence, mais pourraient en être les causes ?
>> Les impacts indirects
Si l’on récapitule, les films d’horreur – et les médias dans leur globalité, ne nous rendraient pas systématiquement violents. Reste qu’ils moduleraient nos perceptions et que les spectateurs habitués pourraient bien voir le monde comme plus dangereux et montrer un sentiment d’insécurité plus fort que les autres… Sans compter que les médias auraient également tendance à diffuser des représentations stéréotypes, mais nous nous éloignons de nos moutons.
Finalement, P. Marchand souligne que les films que nous décidons de regarder et les images qu’ils nous envoient ne se reçoivent pas dans un « vide social » mais dans tout un univers de normes et d’attentes…
En ce sens, des images qui seraient trop différentes de nos attentes normatives seraient soumises à une résistance de la part du spectateur (d’où peut-être cet impact modéré), à l’inverse des images socialement acceptables (qui auront probablement plus d’impact… Toute une histoire et Secret Story risquant ainsi d’avoir plus d’impact sur nos conduites qu’un bon vieux slasher des familles).
Moralité ? Transgressons gaiement les normes et délectons-nous de la montée d’adrénaline ce soir !
Personnellement, je ne sais pas ce que je regarderai pour célébrer cette fabuleuse nuit d’Halloween, mais vous savez quoi ? J’ai DÉJÀ peur. Et autant vous dire que l’épisode d’American Horror Story visionné ce week-end a mis en jambes mon imaginaire (BONJOUR les cauchemars à base de mec en cuir).
Pour aller plus loin
– Un article-interview de J. Goldstein et un article de P. Marchand sur l’influence des médias – Le site « Constructiong horror », avec une video feat J. Goldstein
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
La faute à mon père qui rejouait les scènes à la sauce humoristique à table des années avant que je le voie enfin pour la première fois... "Damy, pourrrquoi tu m'as fait ça Damy?"
Si je devais citer 3 films qui m'ont fait sursauter au minimum, je dirais Insidious récemment (mais j'ai plus accroché à l'histoire qu'à autre chose), un obscur film sur des "aliens qui violent une femme pour la mettre enceinte, et le mari chirurgien essaie de l'avorter mais finalement la tue parce que les aliens lui ont fait faire un black-out de 2h pendant l'opération" vu à 13 ans, et The Tunnel. Là j'ai carrément fait 3 cauchemars par nuit pendant 2 nuits, mais ils n'avaient rien à voir avec le film. J'sais pas pourquoi
Bref, moi le problème c'est pas de me remettre d'un film d'horreur, c'est plutôt qu'il me fasse de l'effet... Et puis, des fois, ça me fait de l'effet, mais pas ce qui est prévu: je rigole, je trouve le film hilarant. OMG j'suis psychopathe ????!!!!
Si vous avez des idées de films, j'suis preneuse !