Je suis fille unique. Je sais pas à quel point ça définit la personne que je suis devenue, mais j’imagine que la réponse se situe quelque part entre « beaucoup » et « à balle ». Comme à peu près tout ce qui fait la vie d’un être humain, d’autant plus quand c’est une caractéristique dès la naissance : être enfant unique contribue à forger la personnalité… Au même titre que tant d’autres choses.
Je suis fille unique, donc, et souvent, quand je l’annonce à des gens, j’ai droit à une question : « mais ça te manque pas, de pas avoir de frère ou de soeur ? ».
Ce à quoi je ne peux pas vraiment répondre, puisque je n’ai jamais connu la vie autrement que comme une fille unique. Un truc que t’as jamais connu ne peut pas vraiment te manquer, surtout pas un truc qui modifie à ce point toute ton enfance. C’est comme manger des salsifis, ça va pas manquer à la personne qui n’en a jamais mangé et ça ne va pas manquer aux autres non plus d’ailleurs PARDON UN TRAUMATISME ! Bien sûr, quand des potes me racontent de grands moments de complicité avec leur fratrie, j’ai un peu envie de pouvoir faire de même, mais je ne peux décemment pas me projeter dans l’inconnu.
Depuis que je suis née, je suis fille unique ; ça fait totalement partie de moi, mais ça ne fait pas de moi un cliché ambulant, contrairement aux quelques trucs un peu bêtes que j’entends régulièrement. Ça fait partie de moi parce que j’ai été élevée en l’étant, parce que c’est dans l’ADN de ma socialisation. C’est d’ailleurs très probablement ce qui fait que je lutte contre ma bien violente timidité.
Tout comme Rory Gilmore, une fille unique célèbre, je suis forcée de péter sur des nains de jardin faute de pouvoir péter sur une petite soeur.
Enfant unique ne rime pas avec égoïsme
Le truc qui revient le plus souvent, c’est l’égoïsme. Soit on s’étonne (« bah dis donc, t’as l’air sympa, pour une fille unique »), soit on s’imagine que je suis forcément égoïste, que je ne pense qu’à moi, que je manipule autrui pour arriver à mes fins parce qu’on ne m’a jamais appris la frustration quand j’étais petite et que mes parents ne m’ont jamais rien refusé. C’est pas très sympa, parce que c’est drôlement insultant pour l’éducation que m’ont donné mes parents… Et c’est gonflant, parce que je crois que je suis justement tout l’inverse !
Je suis pas Gandhi, Franklin la tortue ou autre personne qui ne pense qu’à son prochain et n’oeuvre que pour le bien. En revanche, ce qui est sûr, c’est que je fais de mon mieux pour ne pas être en accord avec l’image « cliché » des enfants uniques.
On (enfin, surtout des inconnu•e•s) m’a tellement sorti cette idée reçue toute ma vie que je me suis dit qu’il fallait absolument que je prouve le contraire, un peu comme quand je suis à l’étranger et que j’essaie d’être absolument irréprochable pour montrer que les Français peuvent être gentils, polis et propres.
T’imagines pas à quel point c’est pénible ! Parce que du coup, je tombe totalement dans le pendant inverse : je m’écrase. Je fais passer les sentiments des autres avant les miens, je galère à dire non à quelqu’un qui me demande un service même quand c’est physiquement impossible pour moi. J’ai tellement intériorisé le fait d’aller contre ce cliché que si je fais pas super gaffe, je peux facilement m’oublier (quand je dis que je m’oublie, j’utilise pas le terme dans le sens synonyme de « faire caca sous soi sans s’en rendre compte », hein, je dis dans le sens « oublier ses propres envies et émotions »). Je te raconte pas le boulot et le malaise pour arrêter de paniquer chaque fois que je dois faire comprendre à quelqu’un que « oui alors je sais que potentiellement, hein, bon, mais voilà je moi, non ».
Ça vient peut-être du fait qu’être enfant unique met une semi-lourde responsabilité sur les épaules des concerné-e-s. Certains enfants uniques sont pourris-gâtés par leurs parents. J’ai personnellement été gâtée, toute ma vie, mais mon père et ma mère ont su ne pas trop en faire, pour me faire comprendre la notion de frustration.
Et quand ils me grondaient parce que j’avais fait quelque chose de pas très très bien, je n’avais pas de frère ou de soeur pour faire front avec moi, du coup j’avais tout à fait le temps de ruminer pour essayer de comprendre ce que j’avais fait de mal, et me promettre de ne jamais le reproduire.
Moi fuyant les gens à qui je dois dire non pour ne pas avoir à leur dire non.
« Tu sais ce qu’elle te dit, la fille à papa ? »
Pareil avec la fierté, de manière générale : j’ai, à presque 26 ans, toujours un peu peur que mes parents puissent ne pas être fiers de leur seule enfant. Ils ne me mettent pas la pression, c’est quelque chose que je me fous toute seule, comme une grande. Parce que je n’ai pas de petite soeur plus brillante pour venir leur remettre un peu de joie dans le coeur si un jour je me mets à vomir dans le plat à tajine devant toute la famille, ou si j’échoue dans ma vie de manière générale. (Et si j’avais eu une petite soeur plus brillante… j’imagine sans mal que j’aurais développé des complexes bien charpentés.)
Alors attention, prenons des pincettes. On pourrait facilement mettre le paragraphe précédent avec un autre cliché entourant le fait d’être un enfant unique : celui de la fille à papa/fille à maman.
Je vais te dire, je sais même pas vraiment ce que ça veut dire. Qu’à la moindre difficulté, je cours dans leurs jambes et je me cache des méchants ? J’aimerais à la limite être encore petite pour croire que la seule présence de mes parents me sauve de tous les dangers, mais c’est tout. Que quand je suis chez eux, je régresse totalement ? Pas plus que n’importe qui retrouvant son environnement natal. Que je suis proche d’eux, parce que je suis fille unique ? Bah, non : je suis proche d’eux parce que ce sont deux personnes vraiment très cool, bienveillantes, aimantes et drôles, pas parce que je suis fille unique. Je pense que les choses n’auraient pas été différentes à ce niveau si j’avais eu un frère, une soeur, ou plusieurs.
C’est pas parce que je n’avais ni frère, ni soeur, que j’ai passé mon enfance sur les genoux de mes parents !
« Mais tu t’ennuyais pas ? »
Un autre stéréotype qui me surprend toujours un peu, c’est les gens qui pensent que les enfants uniques s’ennuient. J’avais plein de livres, de trucs à regarder la télé, une imagination débordante et deux ou trois copines : ça suffisait largement à m’occuper ! Je suis pas persuadée qu’une grande soeur qui me fait voir l’adolescence avant que j’y sois ou un petit frère qui me vomit dessus m’auraient évité de m’ennuyer de temps à autres… Et puis de toute façon, c’est sain, de s’ennuyer un peu, parfois.
Effectivement, je ne sais pas à quoi ça ressemble, de prêter ses jouets à ses frères et soeurs, de partager sa chambre, de voir mes vieilles fringues portées par les plus jeunes. Effectivement, je n’arriverais jamais à la maternité en tremblant pour faire la connaissance de ma première nièce ou de mon premier neveu, comme on le voit dans les films. Effectivement, j’appelle mes potes ou mes parents, quand j’ai besoin de réconfort… Mais c’est plutôt pas mal, non ?
La vie c’est pas comme dans les films, et la mienne, en tant que fille unique, est vachement cool.
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Les Commentaires
Concernant les idées reçues sur les enfants uniques,je pense qu'elles viennent du fait que beaucoup de gens s'imaginent que les parents d'un seul enfant auront davantage envie de le gâter et donc auront tendance à céder à tous ses caprices mais c'est absurde. Cette description de l'enfant unique peut correspondre à des tas de gens qui ont des frères et soeurs. En ce qui me concerne,j'ai deux soeurs,je ne pense pas être particulièrement égoiste mais par contre,je suis extrêmement solitaire et indépendante,ce qui ne m'empêche pas d'être très proche de mes soeurs tout en n'étant pas fusionnelle avec elles du tout.