Le 9 septembre 2014
J’ai 22 ans et je suis bientôt diplômée, en couple et vaccinée.
Une autre chose me définit aussi, et j’en suis très fière : je suis une fille de militaire.
J’avais envie d’en parler, peut-être parce que je n’ai jamais lu d’article à ce sujet, ou peut-être parce que simplement, j’avais envie de rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui sont d’après moi trop peu mis en avant aujourd’hui.
Je ne veux surtout pas généraliser : je pense que chacun vit cette situation à sa manière, mais tous ceux que j’ai rencontrés et qui vivent la même chose que moi sont d’accord sur un principe : l’armée passe avant tout.
Être fille de militaire, c’est une vie stricte ?
Mon père est militaire dans l’Armée de Terre, plus précisément (parce que quand même, c’est classe !) pilote d’hélicoptère.
Depuis que je suis née, il est souvent parti en opération extérieure : en Côte d’Ivoire, au Kosovo, au Tchad, ou, plus récemment, en Afghanistan et au Mali.
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Avec un métier comme le sien, nous avons eu droit, à chaque rentrée scolaire ou durant beaucoup de discussions avec nos amis, à une flopée de phrases empreintes de préjugés mais surtout dénotant une certaine ignorance quant à l’armée.
Je pense qu’il est grand temps de clarifier tout cela !
Fille de militaire ? « Oula, ça doit être strict à la maison ! »
Premier préjugé, premier « NON ».
Il existe sûrement des familles dans lesquelles la loi militaire déborde du simple cadre professionnel pour entrer dans la vie de famille. Mais chez moi, ce n’est pas le cas !
Nous ne sommes pas tous des enfants élevés dans une discipline très stricte, à faire nos lits au carré tous les matins et à regarder religieusement le défilé du 14 juillet en connaissant tous les corps armés.
D’ailleurs quand cela nous arrive et que je lui demande : « Papa… c’est qui lui ? », mon père répond généralement « Aucune idée… ». Merci mon lieutenant !
Mon père a toujours séparé vie de famille et travail parce qu’il sait que nous vivons déjà avec l’armée et dans la crainte d’un futur départ en mission.
Pas besoin que ce soit le service militaire à la maison !
Même si j’aimerais bien qu’il m’apprenne à faire ça.
Fille de militaire : « Tu n’as pas peur quand il part ? »
Bien sûr que j’ai peur. Et c’est l’un des sentiments les plus compliqués et les plus cachés par les enfants de militaire.
Les missions extérieures (appelées OPEX) durent généralement six mois. Les départs en mission peuvent, d’après moi, être divisés en deux catégories.
Ils peuvent être prévus : on sait quand son père part et on organise toujours un gros repas pour revoir tout le monde (orgie de nourriture avant Noël… BONHEUR !).
Mais ils peuvent être aussi imprévus. Pour le Mali, le départ peut se résumer à cette phrase : « Un appel et moins de 24h plus tard, il était parti ».
Et là, c’est toute la famille qui doit assumer les peurs venues d’une guerre faisant rage dans un autre pays.
Être enfant de militaire, c’est savoir que, dans ta famille, même si ton père est très présent, même si ta mère fait tout pour rendre chaque moment plus joyeux, l’armée passe avant tout.
Et comme je vous le disais avec le Mali, on a beau organiser plein de choses, si l’armée veut qu’un de vos proches parte, il doit y aller.
Alors, au fond de nous, on leur en veut, à ces proches qui partent, dont les nouvelles sont difficiles à obtenir et dont l’absence se fait ressentir à chaque instant.
Par exemple, il a fallu attendre deux semaines avant d’avoir des nouvelles par téléphone quand il était au Mali…
Nous, les enfants de militaire, on le cache mais souvent, on souffre de ces absences.
J’ai une sœur et un frère, plus jeunes que moi. Nous avons toujours été très soudés. Il fallait bien se soutenir lorsque l’absence se faisait ressentir, car ce n’est pas comme dans les films.
Il n’y a pas de Skype en direct de l’Afghanistan ou de Facebook pour poster les dernières photos de missions au Tchad.
Eh oui, les lettres restent le meilleur moyen de communication ! Il a fallu qu’on apprenne à s’entraider dans ma famille, à se rassurer lorsque la télévision annonce des militaires décédés en missions.
Un journal télévisé m’a choquée une fois en préférant mettre la pluie en PREMIER TITRE, avant la mort d’un militaire… Vous avez dit « normal » ?
Fille de militaire : « tes parents sont divorcés ? »
Non, mes parents ne sont pas divorcés.
Avec le métier de mon père, nous avons souvent dû déménager. Les militaires restent entre quatre et six ans dans une base avant d’être « mutés » et là, c’est toute la petite famille qui déménage avec.
Se refaire des amis, parfois s’éloigner de la famille, perdre ses repères… Parfois, on a l’impression que ce mode de vie imposé ne nous conviendra jamais.
Comme le dit ma sœur, on se fait souvent des amis de « courte durée » dans nos têtes, et jamais de « longue durée » car on sait qu’on devra repartir.
Aujourd’hui, si certains voisins, dans notre nouvelle ville, ont pu penser que mes parents était divorcés, c’est parce que mon père a décidé de devenir « célibataire géographique ».
Tout simplement, nous sommes maintenant installés dans notre maison « finale ». C’est désormais à lui d’habiter près de son travail.
Cela lui fait donc 500 km aller-retour pour venir nous voir, mais pour ma famille, c’est l’assurance d’avoir enfin un peu de stabilité, que ce soit pour ma mère avec son travail ou pour mon frère, ma sœur et moi avec nos amis.
Alors oui, la semaine, ma mère est seule. Et oui, dans un petit village de campagne, voir une femme se débrouiller seule la semaine et ne voir le mari que le week-end, cela fait jaser…
Fille de militaire : « Mais c’est comment chez toi quand ton père n’est pas là ? »
Malgré l’absence de mon père, ma WONDER MAMAN a su, tout au long de ma lente croissance, nous donner un cadre chaleureux !
Eh ouais, qui gère la maison quand ton père part six mois en mission ?
Qui est là pour organiser la rentrée, les anniversaires, les bobos, les papiers administratifs bien relous, les recherches de maison quand on déménage et que son mari est en exercice, les transports de gosses en vacances, la pelouse à tondre ?
Ma mère est un pilier dans cette famille ; on la surnomme souvent le vrai militaire de la maison, car c’est elle qui gère tout pendant les missions de mon père. Merci maman !
« Merci merci, je sais, je suis une super maman.»
Fille de militaire : « Tu es fière que ton père tue des gens à l’autre bout du monde ? »
Non, mon père n’a pas choisi son métier POUR TUER DES GENS.
Ces personnes doivent sortir de leurs jeux vidéo, arrêter Call of Duty et comprendre que ce n’est pas la réalité ! Mon père a choisi un métier qui lui offrait des responsabilités, qui lui permet de gérer des équipes, de piloter des hélicoptères…
Et oui, militaire, cela veut dire partir six mois en guerre, mais pour quoi ?
Pour protéger et aider des populations à s’organiser malgré les difficultés, et arrêter des conflits qui font trop de morts. Son objectif est simple : maintenir la paix.
Ma sœur, mon frère et moi, nous sommes angoissés par le fait que notre père puisse être blessé, ou pire, lors d’une mission.
Et oui, nous lui en voulons de partir à l’autre bout du monde pour sauver des gens pendant que nous restons là à l’attendre, mais vous savez, un deuxième sentiment prend souvent le dessus sur la peur et le manque : la fierté.
C’est peut-être idiot, mais écrire sur la feuille de renseignement en primaire que « métier du père : pilote d’hélicoptère », ça en jette, dans la tête d’une gosse de dix ans !
Et puis il a un uniforme (oui à 4 ou 22 ans, l’uniforme c’est classieux quand tu es née dans cet univers)…
Cette année, mon père a reçu la légion d’honneur. Et là, l’enfant de militaire que je suis a été plus que fière de son papa.
Ma vie de fille de militaire
J’aimerais qu’on arrête de croire que l’armée nous définit entièrement.
La plupart du temps, lorsque mon père rentre du boulot, il a eu une journée comme tout le monde, si je puis dire, avec de la paperasse à remplir, des pauses à la machine à café et des réunions interminables…
Bon, certes, dans un costume-cravate un peu particulier : rangers et treillis.
Et à la maison, il a décidé d’être présent pour que l’on ressente bien moins l’impact de son métier. Pour cela, je ne le remercierai jamais assez.
L’armée me suivra tout au long de ma vie.
En déménageant cinq fois, je pense que j’ai développé un sens de la sociabilité : j’arrive plus facilement à m’adapter aux changements, à discuter et à aller vers l’inconnu.
En voyant ma mère se débrouiller tranquillement lorsque mon père n’est pas là, j’ai eu envie d’être comme elle, indépendante.
Et pour l’absence, je pense qu’on ne s’y habitue jamais vraiment. Mais on apprend et on arrive à gérer ce sentiment.
J’aurais aimé vous donner le point de vue de mon père, sur ce qu’il ressent vis-à-vis de son métier et de ses absences répétées. L’armée l’oblige cependant à se taire sur son métier.
Mais personnellement, j’espère que cet article l’aidera à se sentir mis en avant, à comprendre que nous sommes fiers de ce que les militaires font à l’autre bout du monde.
Et pour son absence, je sais que mon père a toujours tout fait pour que nous en souffrions beaucoup moins, en étant très présent dès qu’il est à la maison.
Car même si l’armée prend souvent le dessus sur nos vies, mon père m’a toujours montré que la famille passait avant tout.
Alors si d’autres enfants de militaire lisent cet article, sachez que vous n’êtes pas seuls. Soyez fiers et surtout, partagez votre ressenti !
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Les Commentaires
C'est même pas une attaque personnelle, je trouve juste ça presque malhonnête de la part la rédac, qui a déjà fait plusieurs l'articles pour promouvoir l'engagement dans l'armée. Il serait aussi pertinent de parler du revers de la médaille.