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Vie quotidienne

Pourquoi ma mère médecin est une héroïne, et pas seulement pendant le coronavirus

Cette madmoiZelle est fille de médecin généraliste mobilisée pendant l’épidémie de coronavirus. Elle témoigne de son admiration pour sa mère, héroïne du quotidien.

Ce soir, à 20h, quand j’ai entendu des personnes applaudir à leur fenêtre, je me suis jointe à eux et les mots sont sortis d’un coup.

Je suis fille de médecin, et ma mère est à la retraite mais mobilisée pour le covid. Je ne suis pas près d’elle, j’ai peur à en crever qu’il lui arrive quelque chose, comme j’ai eu peur toute ma vie.

Et ce soir, j’ai entendu des gens applaudir, pour elle et pour les autres, alors tout est sorti d’un coup.

Ma mère médecin généraliste, mon héroïne

Ma mère est médecin généraliste. Depuis petite sa fonction m’emplit de fierté mais également de peur, de tristesse et d’agacement.

Depuis le 1er janvier, ma mère, du haut de ses 65 ans et après plus de 38 ans de carrière et un nombre incalculable de patients soignés, est retraitée.

Depuis le 12 mars 2020, ma mère est médecin généraliste retraitée mais mobilisée, pour endiguer la crise du coronavirus qui touche actuellement la France.

Ma mère, c’est ma fierté, d’une part parce que sa profession et sa dévotion sont admirables, mais aussi parce qu’elle était médecin et qu’elle a élevé seule quatre enfants et ça, ça en fait une héroïne.

Son côté héroïque a toujours été là à mes yeux, même quand elle ne luttait pas contre une épidémie quelconque, mais simplement en la voyant soigner ses patients sans relâche.

En la sachant faire des kilomètres le soir passé 20h pour aller soigner au plus vite une personne âgée dans la campagne qu’elle n’avait pas pu voir avant mais qui risque de bientôt se coucher si elle n’arrive pas à temps.

En rentrant bien trop tard le soir pour pouvoir nous embrasser avant que nous tombions de sommeil mes frères, ma sœur et moi.

Elle a toujours été une héroïne aux yeux de ses patients, qui eux aussi l’ont vue travailler d’arrache-pied. Eux, qui ont vu ma mère arriver chez eux, au 9ème étage d’un HLM, enceinte de mon frère jusqu’au cou, à deux jours de son terme et sous 30°C.

Ma mère a toujours été là, à soigner, panser les plaies physiques mais aussi psychologiques de ses patients et pour ça je n’ai toujours eu que de la fierté.

Plus grande, j’ai entendu des amis dire :

« Médecin généraliste, c’est nul, ça soigne les rhumes et ça prescrit du Doliprane, super… »

Et je ressentais une haine immense. Ils font tellement plus que cela. Ce n’est pas qu’aider à faire passer un rhume, c’est prendre le temps de discuter avec ses patients, d’y déceler l’indice qui permettra au diagnostic d’aller plus loin.

J’ai vu ma mère déceler des maladies cardiaques à des patients qu’aucun spécialiste n’avait su voir, parce que ça n’était pas voir qu’il fallait, mais écouter.

Ma mère est une héroïne. Je l’ai vue sauver des enfants des griffes de parents abusifs, aider des femmes à quitter leur mari avec des paroles douces et réconfortantes, ou même de façon offensive en remplissant des constats de coups et blessures réalisés par un conjoint qui se croyait tout permis.

Je l’ai vue aller devant la justice pour plaider la cause d’un patient innocent. Et je l’ai vue aussi simplement devenir un membre à part entière dans la vie de nombreuses familles.

Des personnes qui étaient heureuses de lui présenter leur petit dernier comme si elle était une tante ou une marraine. Qui étaient fières qu’elle le pèse, qu’elle le mesure, qu’elle vérifie si tout allait bien.

Ma mère était aussi le témoin de leur vie à eux.

Ma mère, héroïne qui m’a souvent manquée

J’ai été jalouse de ça, petite. De la place qu’elle avait dans leur vie et de celle qu’ils prenaient dans la sienne, dans la nôtre.

À l’école, quand on organisait le cross annuel, ma mère devait soigner les genoux écorchés, les chevilles tordues, les poignets cassés et tous les autres bobos que peuvent contracter une centaine d’enfants qui s’élancent en même temps sur une piste de course.

Je me rappelle être tombée volontairement par terre pour qu’elle s’occupe de moi aussi, je me rappelle la douceur incroyable dont elle avait fait preuve avec les autres enfants tombés comme moi et de la rapidité avec laquelle elle avait traité mon cas.

C’est ça aussi, être enfant de médecin. On n’est pas des patients comme les autres, on doit être plus forts, supporter la douleur pour soulager la charge de son parent médecin, ne pas trop lui en rajouter.

Une amie au collège dont le père était restaurateur me disait qu’à la maison, éreinté, il ne cuisinait que des pâtes au gruyère.

Maintenant je me dis que c’était un peu pareil pour ma mère. Avec une semaine de plus de 65 heures dans les pattes, ma mère, elle ne savait plus trop quoi faire face à nos maux à nous.

Nos symptômes, elle avait du mal à les voir ou à les prédire, par manque d’objectivité du fait de son statut de mère.

Ma mère, réquisitionnée pendant la crise épidémique du coronavirus

Aujourd’hui ma mère, après deux mois de retraite, est mobilisée sur le front. Je lui ai bien suggéré la mutinerie ou encore de déserter, mais non,

il n’en était même pas question.

J’ai l’impression qu’elle a juste repris sa trousse de médecin, vérifié que son tensiomètre était toujours efficace, et son thermomètre chargé, et elle est montée dans sa voiture, comme depuis 38 ans.

Ce n’était même pas envisageable : ma mère est médecin, elle a toujours su qu’elle le serait et surtout qu’elle le serait jusqu’à sa mort. Mais sa mort, ça arrive comment en cas de pandémie ? Mourir au combat, mourir sur scène, c’est ça, la tragédie du corps médical ?

Ma mère, j’ai toujours cru que c’était une super héroïne. C’est simple, elle était sans cesse au contact des virus et elle n’attrapait jamais rien.Elle pouvait serrer fort mon petit corps brulant et trempé de sueur, toute grippée que j’étais, elle n’attrapait rien.

Mais aujourd’hui elle a 65 ans, elle a eu des problèmes de santé comme toutes les personnes de son âge et elle a la fatigue des années sur le dos, qu’elle traine tous les jours en plus du poids de sa trousse de médecin.

Ma mère n’est pas en première ligne, elle gère une EHPAD dans laquelle elle travaille depuis longtemps et dans laquelle elle avait gardé des fonctions quelques jours par semaine.

Ma mère, c’est le visage souriant derrière son masque que voient vos grands parents, avec celui des aides-soignants, infirmiers, ASH (agents des services hospitaliers)…

Ma mère, c’est celle qui peut encore donner le sourire à vos grands-parents, par une caresse, un mot doux, une phrase rassurante.

Ma mère, c’est celle qui, dans quelques jours, laissera apparaître ses jolies dents sous son sourire sans masque, parce que des masques ils n’en ont plus.

Ma mère, je ne l’ai pas avec moi. Il a fallu prendre la douloureuse décision de rester loin, dans mon appartement à Bruxelles, plutôt que de partir la rejoindre dans le Grand-Est, foyer du virus en France, où elle pouvait potentiellement me contaminer.

Pendant la pandémie du coronavirus, j’ai peur pour ma mère

Ma mère est une super héroïne, elle ne l’attrapera pas, du moins, c’est ce que la petite fille fiévreuse de 6 ans veut se dire. Mais si elle venait à l’attraper je ne serai pas là, après qu’elle ait été si souvent là pour moi et pour tous les autres.

Ma mère, comme tout le personnel soignant, donne aujourd’hui toutes ses heures à toutes ces personnes malades, à celles qui ne le sont pas encore et à celles qui ne le seront pas mais qui ont quand même toujours besoin de quelqu’un.

Ma mère et tout le personnel soignant sont aujourd’hui et pour une fois sous le feu des projecteurs, alors qu’ils pourraient et devraient y être à chaque minute de leur vie.

Il aura fallu un épisode aussi tragique que celui-ci pour qu’avec leurs petits yeux d’internes aux gardes de plus de 72h, leurs regards cernés de père infirmier dont la fatigue n’amadouera pas leur bébé colérique à l’heure du coucher, ils volent un peu la vedette au reste du monde et puissent nous montrer leur palette de supers pouvoirs.

Alors s’il a fallu tout ça pour que publiquement on les remercie, que l’on se dise :

« Pour rien au monde je ne serais à leur place, mais quelle dévotion ! »

Faisons-le ! Vous vous sentirez peut-être bêtes au début, d’applaudir seul, mais faîtes-le. Déjà parce que c’est beau, quand les gens s’unissent pour faire de petits actes qui font pourtant une si grande différence.

Mais surtout pour ma maman et pour tous les autres, pour toutes les nuits de gardes qu’ils ont passé à aller soigner les détenus de prison, à faire accoucher des femmes au beau milieu d’une ruelle faute de mieux et à vous écouter parler quand vous en aviez besoin.

Allez à votre fenêtre à 20h, prenez un bol d’air frais, c’est bon pour le système immunitaire, faites peut-être le seul exercice physique de votre journée et saluez toutes ces personnes qui ont fait le serment un jour dans leur vie de vous soigner coûte que coûte, parce que « coûte que coûte » c’est aujourd’hui.

Et si toi aussi tu penses qu’être médecin généraliste c’est soigner les rhumes et prescrire de la crème contre les ongles incarnés, profite donc du confinement forcé pour découvrir ce magnifique roman de Martin WincklerLa Maladie de Sachs.

Quelques conseils de ma mère, médecin généraliste :

« La mesure essentielle que chacun doit prendre c’est de respecter les gestes barrières et les règles de confinement qui ont été énoncées.

Le plus important est que si vous n’êtes pas malade, ni aucun membre de votre famille ne l’est et que vous avez des masques, appelez l’EHPAD ou l’hôpital le plus proche de chez vous pour proposer d’en faire don, même 5 masques, c’est énorme.

Le personnel a des règles très strictes et les masques sont très fréquemment changés, tout stock supplémentaire est un plus.

Si vous savez votre voisine ou voisin personnel soignant, proposez-lui de garder ses enfants, promener son chien, lui faire des courses, pour le ou la soulager.

Ce qui est certain c’est que plus les jours passent et plus le personnel est stressé, fatigué et plus facilement agacé.

Essayez au maximum de leur faciliter le quotidien, notamment en n’appelant pas le 15 pour des choses qui n’ont pas d’importance, ou ne pas saturer de coups de fils les EHPAD pour avoir de nouvelles de vos proches.

Attention, chaque appel en EHPAD est traité, en tout cas pour celui où je travaille, et le personnel donne avec joie des nouvelles des résidents.

Mais quand vous appelez essayez de faire court, concis, et d’être encore plus respectueux et polis avec la personne que vous avez au bout du fil, qui est très certainement éreintée.

Et enfin ne cédez pas à la panique, restez calme, essayez vraiment au maximum de ne pas sortir. »

À lire aussi : Lettre d’amour et de soutien au personnel soignant

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Les Commentaires

7
Avatar de MissMachine
31 mars 2020 à 13h03
MissMachine
@skippy01 : et t'as fait quoi, toi, pour les soignants, en fait ?
2
Voir les 7 commentaires

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