Cet article a été organisé en partenariat avec Mars Films. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
Les Anarchistes, c’est le titre d’une célèbre chanson de Léo Ferré. C’est aussi celui d’un film d’Elie Wajeman, qui sort le 11 novembre 2015, dans lequel Tahar Rahim incarne le brigadier Jean Albertini, qui infiltre un groupe d’anarchistes du XIXème siècle dont fait partie Judith Lorillard, jouée par Adèle Exarchopoulos. Une femme anarchiste ? Et oui ! À cause du sociologue Proudhon, précurseur de l’anarchisme et grand misogyne, on croit souvent à tort que les femmes n’étaient pas intégrées à ce mouvement.
Mais l’anarchisme, ça correspond à quoi exactement ? Un « A » dessiné avec trois traits et entouré d’un cercle ? Si on se fie à la définition du Larousse (une source sûre à priori), l’anarchisme, c’est :
« Une conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l’initiative individuelles. »
Au sein même de l’anarchisme, il existe plusieurs courants : l’anarchisme socialiste, l’anarchisme proudhonien (où le travail est à la base de la société), l’anarchisme individualiste (qui ne croit pas au pouvoir des masses), l’anarchisme spontanéiste (pour le rétablissement naturel de l’ordre établi)… Et bien d’autres !
Voici donc trois femmes anarchistes, qui chacune à leur façon ont défendu des idées et se sont battues farouchement.
Rirette Maîtrejean, l’anarchiste-individualiste
Pour son rôle dans Les Anarchistes, Adèle Exarchopoulos dit avoir beaucoup lu les écrits de Rirette Maîtrejean. Cette future militante est née en 1887 en Corrèze, et s’appelle en réalité Anna Henriette Estorges. Elle rêve de devenir institutrice, mais lorsque son père décède, les priorités de sa famille se modifient, et ils décident de la marier. Ce plan ne plaît pas tellement à Anna, qui monte à Paris en 1904, alors qu’elle n’a que 16 ans, avec l’intention de s’émanciper.
Pour gagner sa vie, Rirette travaille comme couturière. Elle se marie rapidement avec un ouvrier, Louis Maîtrejean, avec lequel elle a deux enfants, et prend son nom de famille. Mais elle veut continuer à s’instruire, et fréquente la Sorbonne et les universités populaires, qui proposent, contre une cotisation modique, l’accès à une bibliothèque de prêt, à des conférences tenues par des intellectuels bénévoles venus aborder tout un tas de sujets, mais aussi des cours de langue et des consultations juridiques.
Rirette Maîtrejean s’ennuie, et quitte son mari pour un théoricien anarchiste. En allant aux cours, elle fait la connaissance de militants, qui l’emmènent découvrir les causeries, c’est-à-dire des lieux de conférences et de débats ouverts à tous, où intervient notamment Albert Libertad, le fondateur de la revue L’Anarchie. Lorsqu’il décède, Rirette et son compagnon prennent un moment la direction du journal.
Rirette Maîtrejean est rattachée à ce qu’on appelle l’anarchisme individualiste, c’est-à-dire une doctrine qui ne croit pas à la révolte des masses, préconise le repli sur soi, et de réfuter tout ce qui ressemble à une loi ou vient du gouvernement. Bref, elle privilégie l’émancipation individuelle plutôt que celle du groupe.
Avec son compagnon, elle part en voyage. À son retour, elle est en couple avec le révolutionnaire Victor Kibaltchiche, un militant révolutionnaire belge, et il reprennent ensemble la tête de L’Anarchie, tout en continuant à fréquenter la communauté… anarchiste (tu t’en doutais). C’est comme ça qu’ils se retrouvent perquisitionnés en 1912, après un casse effectué par la bande à Bonnot, un groupe d’anarchistes mené par Jules Joseph Bonnot, qui enchaîne les meurtres et les attaques de banque entre 1910 et 1912. On retrouve chez Rirette et Victor deux armes à feu volées dans un casse. Elle fait une année de détention préventive avant d’être acquittée.
Une fois libérée, Rirette Maîtrejean écrit ses Souvenirs d’anarchie, pour le journal Le Matin, dans lesquels elle fait une description un peu amère de ses anciens compagnons individualiste. Ses écrits sont assez mal reçus, et elle commence à s’éloigner de ce courant. Elle travaille ensuite comme correctrice, collabore avec quelques journaux, et devient peu à peu aveugle. Elle décède le 11 juin 1968.
Louise Michel, l’anarchiste révolutionnaire
Le nom de Louise Michel te dit peut-être quelque chose : on le trouve désormais au front de plusieurs lieux publics et établissements scolaires. Elle est née en 1830, au château de Vroncourt, de l’union d’un châtelain désargenté, adepte de Voltaire, et de sa servante. À cette époque, la petite fille pique déjà de la nourriture pour la donner aux miséreux. Louise Michel reçoit une bonne éducation, orientée vers l’idéologie libérale.
Devenue adulte, elle fait des études à Chaumont pour devenir institutrice et obtient son diplôme en 1853, mais refuse de prêter serment à l’Empire, une condition demandé aux enseignant•e•s à l’époque. Au lieu de cela, elle crée une école libre, c’est-à-dire qui n’a pas de lien avec le pouvoir, où elle enseigne selon des principes républicains. Elle est convoquée par le recteur de l’académie, devant qui elle réaffirme sa position républicaine.
Louise Michel part ensuite enseigner à Paris. Elle y démarre son activité politique, intègre les combats pour la défense de Paris et adhère aux idées d’Auguste Blanqui, qui fonde le mouvement républicain socialiste. Elle se bat au côté des militants de la Commune, ces ouvriers qui se révoltent à partir du 18 mars 1871
pour assurer la gestion des affaires publiques sans le concours de l’État. Louise Michel est aussi la présidente du Comité de vigilance des femmes de Montmartre.
Les idées de Louise Michel concernent essentiellement l’éducation : elle veut une école pour tous, une éducation à la sexualité (mais une éducation non-genrée), des orphelinats laïcs… Elle écrit des poèmes, parcourt la France pour donner des conférences. En 1871, Louise fait encore un coup d’éclat : habillée en garde nationale, la milice de citoyens, elle tire sur la police, place de l’Hôtel de ville à Paris, contre le gouvernement d’Adolphe Thiers.
Lors de la défaite de la Commune, elle se livre aux autorités pour sauver sa mère, prise en otage. En 1873, Louise Michel est condamnée à être déportée vers la Nouvelle-Calédonie avec d’autres communard•e•s. C’est pendant ce voyage qu’elle découvre plus en profondeur l’anarchie et adhère aux idées de ce mouvement. Une fois en Nouvelle-Calédonie, Louise Michel refuse d’être séparée de ses compagnons, alors que les autorités veulent la mettre dans un endroit moins rude parce qu’elle est une femme. Elle sympathise avec les Kanaks, les populations autochtones de Nouvelle-Calédonie, et lorsqu’ils décident de se révolter en 1878, elle leur apporte son soutien autant que possible.
Sylvie Testud en Louise Michel dans le film Louise Michel la rebelle (2010)
En 1880, l’amnistie, c’est-à-dire un acte permettant « l’oubli » des actions des participants à la Commune (au sens où elles ne peuvent plus être condamnées), est prononcée. Alors Louise Michel est de retour en France, où elle multiplie les passages en prison — pour outrage à agents, pour avoir pillé des boulangeries avec des chômeurs… D’après la légende, c’est elle qui aurait brandi le premier drapeau noir, l’un des symboles des anarchistes, pendant une manifestation en 1883.
En janvier 1888, elle se rend au Havre pour donner des conférences. C’est alors qu’elle est visée par deux coups de feux de Pierre Lucas, un chouan, et finit avec une balle dans la tête. Mais elle est prise de compassion pour son agresseur, et va jusqu’à se rendre en cour d’assises pour demander son acquittement !
Depuis son adolescence, elle a aussi entretenu une correspondance avec Victor Hugo. Louise Michel décède en 1905, alors qu’elle fait un déplacement à Marseille. Ses funérailles sont aussi impressionnantes que sa vie : le peuple de Paris lui fait un cortège funèbre depuis la Gare de Lyon, dans le centre de Paris, jusqu’à la ville de Levallois, où elle est enterrée.
Voltairine de Cleyre, l’anarcho-féministe américaine
Voltairine De Cleyre est longtemps restée méconnue du grand public : alors qu’elle a énormément écrit pendant toute sa vie, elle n’a été que très peu mentionnée dans l’Histoire de l’anarchisme, jusqu’à ce que ses travaux soient redécouverts dans les années 2000.
Voltairine de Cleyre est née en 1866, dans le Michigan, aux États-Unis, dans une famille franco-américaine qui travaille dans le milieu ouvrier. Elle doit son prénom insolite à la passion de son papa pour Voltaire. Lui-même est un libre-penseur, c’est-à-dire qu’il s’affranchit « de toute sujétion religieuse, de toute croyance en quelque dogme que ce soit » et un abolitionniste.
Voltairine sort d’un milieu pauvre, et adolescente, alors que ses parents se séparent, elle est placée dans un couvent pour y suivre ses études — on suppose que son père aurait voulu lui éviter la misère. Elle vit plutôt mal cette expérience, dont elle sort avec un anticléricalisme nourri et en étant devenue athée. Elle aussi se tourne vers la libre-pensée, s’intéresse un peu au socialisme. Mais voilà, Voltairine n’aime pas tellement l’autorité…
En 1886, Chicago est en pleine grève. Le 4 mai, un rassemblement de protestation est organisé au Haymarket Square, lorsque la police charge. Quatre hommes sont ensuite pendus et jugés : on les appellera les martyrs de Haymarket, et cet événement marque beaucoup Voltairine. Vers 1887, elle décide d’adopter le nom de famille De Cleyre, et se plonge vite à fond dans l’anarchisme.
Pour gagner sa vie, la jeune femme travaille comme enseignante. Elle donne des cours particuliers de musique, de français, de calligraphie et d’écriture. À côté de ça, elle donne des conférences et gratte du papier tant qu’elle peu : elle écrit des poèmes, des essais, des histoires, réalise des croquis, le tout en quantité prolifique. Parmi ses oeuvres les plus connues, on trouve De l’action directe (1912) qui veut séparer l’action militante et la violence, c’est-à-dire expliquer qu’un•e anarchist•e n’est pas forcément quelqu’un qui pose des bombes à tout va, mais tout simplement quelqu’un qui a eu le courage de protester.
Voltairine de Cleyre est aussi une féministe ; cette idéologie ne va pas forcément de pair avec l’anarchisme, mais n’entre pas non plus en contradiction avec lui. Dans Le mariage est une mauvaise action (1907), elle interroge la soumission imposée aux femmes dans la sphère intime, les rapports sexuels sans consentement, et l’éducation genrée des enfants. Elle s’affirme violemment contre le mariage et le système de domination masculine.
Elle est aussi la cofondatrice, en 1892, de la Lady Liberal League, qui réunit des femmes libres-penseuses. Avec des amies anarchistes, elle ouvre une « bibliothèque révolutionnaire », qui permet aux ouvriers d’emprunter à un tarif raisonnable des livres sur l’idéologie radicale. Elle continue à donner des conférences un peu partout, bref, a un quotidien plus que chargé.
La vie de Voltairine de Cleyre est une suite d’événements dramatiques. Elle voit plusieurs de ses proches se suicider, vit des histoires d’amour qui finissent mal en général, et manque d’être assassinée par balles par un de ses anciens élèves. Pour rester fidèle à ses idées, elle refuse de porter plainte. Elle décède finalement de ses soucis de santé en 1912, alors qu’elle n’a que 45 ans.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires