« Casa93 est une formation de mode libre et engagée d’un nouveau genre, gratuite et sans condition de diplôme pour des jeunes créatifs en difficulté scolaire », revendique l’association désormais basée à Montreuil (après avoir d’abord été à Saint-Ouen), et fondée en 2017. Et dans le secteur très parisien, élitiste, et endogame de la mode, c’est une petite révolution pouvant avoir de grands effets, comme nous l’explique sa directrice, Nadine Gonzalez.
Interview de Nadine Gonzalez, directrice de la la Casa93
Quand et pourquoi avez-vous eu l’idée de fonder la Casa93 ? Quel était le paysage des écoles de mode françaises à l’époque ?
Après avoir fondé en 2005 l’association ModaFusion qui portait au Brésil la Casa Geração Vidigal, première école de mode gratuite installée dans une favela de Rio de Janeiro, j’ai pris la décision, en 2016, de revenir en France pour fonder la Casa93 en Seine-Saint-Denis où le taux de jeunes de 18-25 ans déscolarisés ainsi que le taux de chômage pour cette même tranche d’âge sont les plus élevés de France.
Notre formation professionnelle est destinée à des jeunes talents qui n’auraient jamais pensé pouvoir entrer dans l’univers de la mode, par manque de confiance, manque de légitimité, manque de financement et manque de réseaux professionnels. Le paysage des écoles de mode françaises à l’époque est encore celui d’aujourd’hui à savoir que les établissements délivrant des formations dans le secteur de la mode sont pour la plupart privés et les frais s’élèvent globalement entre 10.000 et 15.000€ par an. Ou alors il s’agit de formations / écoles très sélectives lorsqu’elles sont publiques.
À ce jour, il n’existe aucune école de mode (privée ou publique) dans les favelas de Rio, en Seine-Saint Denis, ou même dans le Grand Mirail où nous nous installons en septembre 2022, ni de classes préparatoires spécialisées dans les métiers de la mode en Île-de-France et encore moins spécialisées dans l’upcycling. Notre formation est de 12 mois donc courte car nos jeunes ne pourraient pas s’offrir le luxe de ne pas travailler pendant 3 ou 4 ans en faisant des écoles de mode.
Quelles sont les spécificités de la Casa93 qui favorisent davantage de diversité et d’inclusion en formation mode ?
L’objectif de notre formation est de redonner confiance à des jeunes qui sont sans diplômes et sans qualifications et qui traversent des situations sociales et psychologiques très complexes. En leur proposant de nouvelles perspectives d’insertion professionnelle, nous souhaitons les inciter à réintégrer les filières et les métiers de la mode et de la création où les jeunes issus de classes sociales favorisées restent surreprésentés. De plus, à travers notre pédagogie basée sur l’upcycling, nous voulons les sensibiliser à une mode plus éthique et responsable qui ne nécessite pas beaucoup d’argent d’investissement mais plutôt une méthode de collecte et/ou glanage.
La Casa93 arbore une pédagogie particulière qui, au-delà d’apporter les outils techniques pour travailler dans le milieu de la mode, accompagne les jeunes talents à prendre confiance en eux, à découvrir leur univers créatif et surtout à s’épanouir ! De ce fait, les stagiaires qui sont sélectionnés pour participer à la Casa93 ne sont sélectionnés que grâce à leur créativité. Par ailleurs nous dispensons des modules d’histoire de la mode non occidentale se basant chaque année sur la créativités de continents différents en fonction des origines des promos de nos jeunes talents.
Aussi, Casa93 étant une action sociale, les jeunes les plus éloignés du système scolaire, du système professionnel et n’ayant pas de moyens financiers sont privilégiés pour intégrer notre formation. La diversité et l’inclusion dans le milieu de la mode permettent à cette dernière d’élargir les champs de la création, d’y apporter de nouvelles visions et surtout de la rendre moins élitiste.
Pourquoi revendiquer l’emplacement d’une école de mode en banlieue parisienne populaire est-il important, et même un acte politique ?
Il est primordial pour nous de permettre à tous et à toutes d’avoir accès à la formation professionnelle, c’est pourquoi nous pensons qu’il est important qu’il y ait une décentralisation des centres de formations vers les banlieues et les régions, et non pas seulement au sein de Paris.
Notre mission première est d’accompagner nos jeunes talents à l’épanouissement créatif et à l’apprentissage. Mais nous savons aussi la richesse du département qu’est le 93. La valorisation ou revalorisation de ces espaces ne peut se faire seul.
C’est pourquoi nous collaborons avec de nombreuses associations et instituts du département. Par nos actions, nous participons à la richesse et à la vie du 93. Tout comme nos jeunes talents, nous sommes très attachés à ces banlieues populaires car malgré l’image négative qui leur ont été collées injustement, ce sont des espaces riches culturellement et créativement qui ont toujours inspiré la mode sans que celle-ci ne mette en lumière ces talents en retour.
Constatez-vous un écart autour de la vision de la mode, entre Paris, ses banlieues et le reste de la France ?
Aujourd’hui, les visions de la mode sont plurielles. Qu’elles soient autour de l’upcycling, du streetwear, de l’artisanat ou encore de la haute couture, toutes ces modes se croisent et se retrouvent aussi bien à Paris qu’en banlieues et partout ailleurs.
À la Casa93 nous prônons la singularité de chaque talent ! La confrontation entre différents territoires et donc différentes cultures nous semble contre-productive.
Pensez-vous que la phrase « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde » de Médine dans la chanson Grand Paris se vérifie, surtout aujourd’hui, à votre avis ?
Paris, les maisons de couture et les entreprises du milieux de la mode, s’ouvrent de plus en plus au profil de tout horizons, et donc aussi de jeunes talents venant des banlieues. Il semble que ce dicton se vérifie effectivement avec notamment le développement du Grand Paris ! Cela fait plusieurs décennies que les créateurs de mode s’inspirent de la rue et des banlieues mais la société et encore moins le secteur de la mode trop élitiste n’ont cherché à mettre en avant ces jeunes ni pour autant chercher à entendre ni comprendre leurs revendications via leur façon vestimentaire de s’exprimer.
Avez-vous des talents sortis de votre école que vous nous recommandez particulièrement de suivre ?
Nous recommandons de suivre chacun de nos talents ! Ils sont tous différents ! Ils ont chacun des compétences différentes et des univers créatifs très variés.
Rubi Pigeon, de la Promo 1, aujourd’hui connue pour sa marque Rusmin a fait la couverture du magazine Causette comme la Reine de l’upcycling en septembre 2021.
Gloria Despioch est en CDI dans le bureau de tendance REC.
Olga Pham de la promo 2 (puis major de promo de IFM entreprendre) développe une approche pédagogique innovante autour du glanage et vient de co-créer avec nous une nouvelle formation en ligne PRECASA.
Sarah Mohssni, de la promo 3, fait un magnifique travail de street up-cycling.
Ou encore Florian Dalat, de la promo 4, travaille la mode et les sneakers grâce aux logiciels 3D, en stage aujourd’hui au siège de Nike Europe à Amsterdam.
Les profils de nos jeunes talents de chaque promo sont à retrouver sur notre site internet casa93.org dans la page « Les promos ».
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