Ce mois de mai fut lourd en festivités diverses : des célébrations chrétiennes dont nous avons profité en bons païens opportunistes, un hommage rendu aux victoires historiques et un autre pour l’honneur des travailleurs.
Nous avons tout célébré dans la joie et l’allégresse, nous avons arraché le muguet, dépecé le veau, certains ont même eu une pensée pour la journée de l’Europe (qui s’est déroulée le 9 mai), d’autres ont commémoré pour la journée de la mémoire de l’esclavage (le 10 mai). Des skinheads musclés et des fanatiques scalpés ont célébré la fête de Jeanne d’Arc le 13 mai, sans oublier la semaine de la Nature dont les festivités ont culminé le 22 mai lors de la journée pour la biodiversité.
Je ne mentionnerai que très brièvement les élections présidentielles qui ont embarqué une partie du peuple français dans les urnes, dans les rues, dans les bars ainsi qu’aux urinoirs et je passerai sous silence le festival de Cannes dont la plupart des gens ne partagent l’enthousiasme cinéphile que depuis leur écran plat, entre deux publicités à la gloire de Chanel, Dior et Coca-Cola.
Ce mois de mai fut lourd en festivités diverses ; conséquemment, ce mois de mai fut riche en amusements et en opportunités de bitures sans cesse renouvelées.
Alors c’est encore saoul à cause du pont de la veille (qui s’est éternisé en congé maladie pour cause de foie à l’envers) que je vous entends supplier pour un peu de repos, quémander des vacances, un répit festif, un séjour spirituel chez les Trappistes, un plan de rigueur en matière de distractions.
Mais c’est déjà juin qui arrive, l’été et ses journées à rallonge. Pensez donc à tout ce qu’on peut encore fêter en cette occasion : fête des mères, fête des pères, fête de la musique et fête de la St Jean, n’est-ce pas un beau programme ?
Ça va swinguer sévère sous les flonflons des bals musettes, on va s’envoyer de la Kronenbourg tiède au visage en prenant soin de garder la bouteille pour la consigne (c’est toujours un euro de gagné après tout). Sortez vos colliers de nouilles dorés à l’acrylique, vos presses-papier en pâte à sel, recopiez les plus touchants poèmes de vos auteurs favoris pour vos parents bien-aimés (à défaut – de les aimer – un aspirateur ou un tournevis feront tout aussi bien l’affaire) (maman je profite de cette chronique pour t’envoyer des baisers) (plutôt qu’une centrale-vapeur – les baisers sont plus utiles) (j’arrête après cette parenthèse, c’est promis).
Source https://chersvoisins.tumblr.com/
Mais s’il y a une festivité qui triomphe dans mon coeur par-dessus toutes les autres, c’est bien celle dont je n’ai encore point parlé : la fête des voisins que vous aurez, je l’espère, célébré ce vendredi 1er juin.
Dans mon immeuble des affiches ont fleuri depuis un mois, des boîtes aux lettres jusqu’à l’ascenseur, pour soutenir notre mémoire chancelante et bloquer nos agendas : vendredi 1er juin, fête des voisins – faire un cake aux lardons.
Si nous devions ne célébrer qu’un seul événement, c’est celui-ci qu’il faudrait honorer, car la fête des voisins est une fête française et je suis éminemment fière de constater que ma patrie est encore capable d’être le berceau de si glorieuses idées après l’avénement de la très connue fête de la musique.
La génèse d’une idée exceptionnelle
Comme toutes les plus grandes festivités cette dernière est née par un drame : un jour, Atanase Périfan a découvert le cadavre d’une femme âgée qui était apparemment décédée dans son appartement depuis deux mois : horreur, stupeur, malheur et putréfaction ! Atanase, qui était adjoint au maire du 17ème arrondissement parisien, eut alors une noble idée : il voulut rompre la solitude et l’isolement dans lesquelles les grandes villes nous confinent en recréant du lien social. Il décida d’organiser une fête entre voisins pour apprendre à se connaître dans une atmosphère conviviale et décontractée, car quoi de mieux qu’une soirée passée à s’enivrer et à ripailler pour partir à la rencontre de l’Autre ?
L’idée d’Atanase Périfan était tellement géniale qu’elle s’est généralisée à travers toute la France, puis l’Europe (et demain, le Monde) : nous étions douze millions l’an dernier à trinquer sur le parking de nos résidences.
Personnellement je fais partie d’une résidence avant-gardiste; nous sommes les pionniers de la proximité sociale, nous oeuvrons chaque jour pour le bien-être général et le mieux- vivre-ensemble est un principe fondateur de notre morale citoyenne. (Nous aimons abuser des mots composés car nous aimons la mixité et les formules à rallonge)
Effectivement : nous possédons un groupe Facebook commun sur lequel nous centralisons les informations relatives à notre résidence. Ainsi nous pouvons partager sans jamais avoir à traverser le couloir pour emprunter du sucre ou une place de parking à notre voisin de palier – voyez comme le lien social est à son comble.
En 2012, Atanase Périfan n’aurait eu qu’à poker Germaine via son compte Facebook pour s’apercevoir de son absence et de son possible décès ; un pareil drame ne se serait jamais produit ; nous ne sommes plus des sauvages, désormais nous sommes des modernes.
L’envers de la teuf
Sur
la page Wikipédia qui résume rapidement ce qu’est la fête des voisins, on peut lire ceci dès la première ligne : «La fêfete des voisinous, également nommée Immeuble en fête est une fête à l’origine française (…)». LA FÊFETE DES VOISINOUS ? Ceci prouve bien à quel point personne ne prend cet événement au sérieux, car il n’y a que dans Friends et deux ou trois autres séries humoristiques que les personnages aiment leurs voisins, se lient d’amitié avec eux et partagent davantage qu’un paquet de farine ou un mot collé dans l’ascenseur.
L’enfer, si ce n’est pas les autres, trouve tout de même écho dans le voisinage, c’est certain. Moi je n’ai aucune envie d’apprendre à mieux connaître ma voisine du dessous, qu’au demeurant je connais déjà fort bien puisqu’elle confond régulièrement son balcon avec une cabine téléphonique ou une terrasse de bistrot. Je n’ai aucune envie de boire un coup avec le jeune du septième qui est infoutu de donner correctement son numéro d’appartement et qui envoie très régulièrement ses amis périr devant le cri de ma sonnette et le jugement de mon oeil-de-boeuf.
De toute manière je serai incapable de discuter tranquillement avec le quadra du syndic’ que j’ai vu trop de fois en chemisette ouverte sur son torse bronzé et bedonnant qu’il se plaît à exhiber depuis son balcon dès que la température extérieure excède les 14 degrés.
La réalité du compte Facebook de ma résidence ? Ce sont des hystériques inquisiteurs qui commentent le quotidien des autres derrière leur lucarne encrassée, c’est le commérage qui existe depuis la nuit des temps dans chaque village de France à grande échelle – nous n’échangeons plus les indiscrétions entre deux portes et quatre oreilles mais devant 180 autres membres.
Ils se croient modernes, ils pensent oeuvrer pour le bien général alors qu’ils n’affichent que leur ridicule mesquinerie, leur besoin de sécurité sans cesse renforcé (« il faut mettre des caméras de surveillance dans les couloirs »), leurs dénonciations misérables (« les ouvriers ont commencé les travaux à 7h45 au lieu de 8h, c’est inacceptable, en plus ils ont mis de la terre sur la moquette du hall ! ») et ils se pensent légitime à régenter la vie d’autrui (« Je remercie la voisine nymphomane du septième pour cette nuit? d’insomnie !!!!! »).
Source https://chersvoisins.tumblr.com
Évidemment il y a des voisins parfaits, ceux qu’on n’entend pas chanter à deux heures du matin le samedi, ceux qui ne font pas de barbecue depuis la fenêtre de leur trois pièces, qui n’oublient pas d’éteindre leur réveil en partant à 8h du matin. Ceux qui sont discrets, polis, aimables lorsqu’on se rencontre dans les communs.
En général ce sont des vieux ; j’aime bien les vieux, je reconsidère la possibilité de déménager en maison de retraite autour des vingt-huit ans quand j’entends mieux la télévision de la voisine depuis mon salon que l’émission que je suis en train d’écouter moi-même. J’envisage même une location au cimetière d’à côté, un bail d’une centaine d’années renouvelable pour un confortable meublé d’un mètre cinquante loi carrez. J’envisage de me reconvertir en bailleur social pour mon encombrant voisinage.
J’aime vivre en ville mais pensez bien que si j’habitais à la campagne je serai capable de prendre en grippe le chant des oiseaux, le mugissement d’un animal lointain, et alors je serai bien désoeuvrée sur mon groupe Facebook solitaire, à n’avoir personne avec qui communiquer et pas le moindre membre à engueuler sournoisement.
D’après les retours que j’ai pu lire sur l’Internet 2.0 il paraîtrait que la soirée de vendredi s’est très bien passée. Je n’en doutais pas, entre personnes consentantes on ne fait jamais d’histoires ; ça n’empêche d’ailleurs pas l’accomplissement des pires déviances, mais c’est un autre problème.
Moi, je ne suis pas très mondaine, c’est mon grand défaut, j’éprouve des difficultés à me fêter moi-même un bon anniversaire une fois par an alors devant la multitude d’événements à saluer je suis un peu perdue, maintenant qu’il faut rendre hommage aux autres, aux souvenirs, aux idées, aux concepts, aux dates anniversaires de tout et de n’importe quoi. Chaque minorité, chaque majorité, chaque problème et chaque solution possèdent sa journée lors de laquelle il est vivement conseillé d’arborer des couleurs, des discours et des goûts particuliers.
Alors que moi, personnalité émérite dans mon univers quotidien, sainte exemplaire parmi les saints et les très sains, je ne suis même pas dans le calendrier. Je suis obligée de me démener chaque jour pour trouver une idée, une grande cause, une noble action qui me fera canoniser – c’est un travail titanesque.
Tout ça alors que d’autres, peinards, possèdent leur journée. Je vais m’en inventer une, de journée, vous allez voir. La journée de l’intranquillité, ce sera marrant, pas festif pour un sou mais on pourra créer des groupes de paroles pour échanger sur nos problèmes d’adaptation et notre trisomie sociale, on ne mangera pas de cake aux lardons – sauf si vous y tenez vraiment – et on aura l’impression de créer du lien social et de faire avancer le monde dans un sens qui semble être le bon.
Ce sera génial ; il faut que je me dépêche de trouver une date, le calendrier commence à être surchargé, peut-être qu’il ne reste même plus un seul jour de libre pour moi et mes idées…
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