— Article initialement publié le 9 juin 2013
Tim Burton est un cinéaste que j’aime d’un amour passionné et contradictoire : les déceptions sont à la hauteur des coups de cœurs, intenses. Mais il faut reconnaître qu’il offre une véritable alternative à l’hégémonie hollywoodienne tout en demeurant un réalisateur de blockbusters à la chaîne.
Laissons cependant de côté toute considération qualitative et mettons-nous à la place d’un de ses personnages féminins.
Quel rôle pourrions-nous jouer chez Tim Burton ? Et par où commencer pour nous glisser dans la peau d’une de ses héroïnes ? Tout d’abord, il faudrait cerner nos yeux et les exorbiter un peu, arborer rayures et spirales, peut-être un jupon de poupée… C’est fait ? D’accord, et après ? Plusieurs alternatives s’offriraient à nous.
Potiche éthérée ou femme fatale tarée
Nous aurions sans doute à choisir entre le rôle d’une douce potiche blonde et d’une femme fatale sexy, un peu dingue mais surtout dangereuse.
L’opposition n’est cependant pas si évidente dans les premiers long-métrages de Tim Burton où les personnages féminins sont nettement plus nuancés : Lydia Deetz et Barbara Maitland de Beetlejuice, Selina Kyle et Vicky Vale de ses Batman et Sally dans L’étrange Noël de Mr Jack sont en effet à la fois étranges et quotidiennes, douces et excentriques, capable d’agresser comme de rassurer.
Lydia est une adolescente avant d’être une âme torturée, Barbara une épouse aimante et un fantôme, Selina une secrétaire modèle et une redoutable voleuse, etc.
D’abord dotées d’une nature double, ces personnages se divisent par la suite en des héroïnes moins complexes. Tim Burton oppose souvent les femmes blondes (mais pas toujours) et virginales :
- Kim dans Edward aux mains d’argent
- Josette dans Dark Shadows
- Victoria dans Les Noces Funèbres
- Sandra dans Big Fish
- Katerina Von Tassel dans Sleepy Hollow…
…aux plus étranges et inquiétantes sorcières brunes (mais pas toujours) :
- Emily des Noces Funèbres
- Angélique Bouchard de Dark Shadows
- Mrs Lovett dans Sweeney Todd
- Ari dans La planète des singes…
Si un duel les oppose pour le garçon de l’histoire (hélas, tout tourne souvent autour de l’intérêt amoureux), ce sont les premières qui l’emportent : Victoria finit avec Victor dans Les Noces Funèbres, Josette avec Barnaby dans Dark Shadows, etc.
Mais dans le cœur des spectateurs, ce sont souvent les secondes qui marquent le plus. Car Tim Burton donne toujours une bonne raisons aux monstrueuses d’être monstrueuses. Ce sont donc elles qui nous fascinent et c’est vers elle que va notre affection.
Ceci dit, même les plus lumineux et virginaux idéaux ne sont pas dénués de quelques excentricités savoureuses. Josette vit avec un fantôme et la reine blanche, opposée à la reine de cœur dans Alice au pays des Merveilles, bouge comme une marionnette et parle aux arbres.
Une sexualité monstrueuse, dangereuse
À noter aussi que les héros Burtoniens ayant souvent autant de libido que des mollusques (même Batman n’est pas un tombeur, seuls les méchants comme Beetlejuice, le Pingouin ou plus tardivement, le valet de Cœur semblent apprécier les joies du sexe… et ils sont répugnants), ce sont les femmes qui mènent la danse : non pas les vierges consolatrices, lesquelles ne sont pas beaucoup plus éveillées que les héros à ce niveau, mais les femmes les plus machiavéliques et décomplexées.
Même Willy Wonka en fait les frais lorsqu’il a le malheur de glisser à la mère de Violet Beauregard que le chocolat est un aphrodisiaque et se voit rentrer dedans assez peu subtilement par ce tyran en jogging — à son grand désarroi.
Le sexe peut être en effet très inquiétant chez Tim Burton et, dans son univers, ce sont toujours les femmes les plus dangereuses qui sont les plus sexys.
Dans Mars Attacks, une bande de Martiens déguisés en mannequins aux courbes plantureuses peut amener la quasi extermination de l’espèce humaine.
Alors, pour quel choix opterions-nous ? La beauté blonde et évanescente qui gagne le garçon mais ne s’amuse pas beaucoup ou la décoincée au passé tragique qui se lâche et laisse exprimer même ses désirs les plus destructeurs ?
Burton est le cinéaste des monstres, des outsiders, des laissés pour comptes, qui aurait envie de jouer le gentil dans son univers ?
Et les petites filles alors ?
Nous jouerions donc la mauvaise fille, c’est décidé ? Et si nous rajeunissions un coup pour voir ?
Après tout, Tim Burton est resté très proche de son enfance et de ses amours de l’époque.
Dans Frankenweenie, nous incarnerions une Lydia Deetz, plus jeune (mais doublée par une Winona Ryder plus vieille) ou bien cette créature fascinante aux yeux fixes : The Weird Girl. Encore une fois, les deux sont opposées puisque c’est le chat de la seconde qui menace le chien de la première et amène au climax final, mais comme elles sont plus jeunes, les limites se troublent.
Laquelle est la plus bizarre ? Laquelle est la plus douce ? Peut-être aussi est-ce le fait qu’elles n’ont aucun lien amoureux avec le héros qui les rend moins agressives et leur permet d’exister pour elles-mêmes. Ou alors leur jeune âge qui, en annihilant leur sexualité, autorise Tim Burton à s’y identifier.
Il y a beaucoup de lui dans Lydia Deetz également et c’est une de ses plus jeunes héroïnes.
Dans Charlie et la Chocolaterie, Veruca Salt et Violette Beauregard sont abominables. On prend un plaisir jouissif à observer ces deux gamines abjectes et aussi cyniques que des adultes mais elles ne se révèlent pas si intéressantes que ça. Leurs alter-egos masculins subissent d’ailleurs le même traitement.
Ces enfants possèdent les vices des adultes : Burton ne les idéalise pas mais il ne prend pas la peine d’approfondir ceux pour qui il n’a aucune empathie.
Chez lui, les obsédés de la norme, de la performance et des apparences, à l’exemple du microcosme de commères et de maris décérébrés d’Edward aux mains d’argent, ne bénéficient pas d’un second niveau. Sa critique s’adresse toujours aux deux sexes dans ces cas-là : les femmes n’ont pas le monopole de la superficialité.
Des défauts typiquement « féminins »
Elles possèdent cependant des défauts qui leur sont propres : libidineuses, elles sont aussi très bavardes et médisantes.
Dans Edward aux mains d’argent, les commères du voisinage s’occupent avec les potins, dans un court-métrage de jeunesse, Luau, des jeunes filles énervées chantent pour reprocher à leurs petits amis de mentir et empêchent de s’exprimer Tim Burton lui-même (qui incarne une tête extraterrestre arrivée sur terre dans une essoreuse à salade et qui finira par jouer le sort de l’humanité dans un concours de surf).
Par leur bavardage, les femmes peuvent donc s’avérer très étouffantes. Épouses frustrées et dénuée de compréhension, elles noient la créativité de leurs compagnons à l’exemple de la femme du héros du moyen-métrage The Jar, tiré de l’émission Alfred Hitchcock présente. Dans ce court métrage, le héros, un artiste, alter-ego de Burton, est incompris par sa compagne qui méprise ce qu’il fait.
Mais les femmes peuvent aussi à leur tour être étouffées par leur compagnon. Il faut bien la douceur de la seconde femme d’Ed Wood, véritable blonde éthérée et serviables, pour supporter son mari. Et qui pourrait blâmer sa première épouse de quitter son volubile conjoint qu’elle ne comprend plus alors qu’il s’épanouit dans ses excentricités ?
Des mères empoisonnées ou parfaites, sans entre-deux
Il n’y a pas que les compagnes qui sont étouffantes : les mères autoritaires sont d’abominables tyrans, à l’exemple des deux matriarches des Noces Funèbres ou encore de la belle-mère sorcière (jouée par un homme) dans le moyen-métrage Hansel et Gretel.
Notre réalisateur ayant plus de problèmes à régler avec Papa qu’avec Maman, les mères sont souvent des saintes : parfaite femme au foyer des années 50 dans une époque où l’on parle pourtant d’informatique, la mère du héros de Frankenweenie semble enchaînée à son intérieur.
Cependant, les mères sont parfois moteurs de l’action et leurs rôles de femmes au foyer ne sont jamais dénigrés : dans Edward aux Mains d’argent, Peggy prend l’initiative d’accueillir le héros chez elle et le traite avec tolérance malgré les dires des voisins ; dans Big Fish, la femme d’Edward Bloom maintient le lien entre le père et le fils ; dans Sleepy Hollow, la fascinante mère d’Ichabod Crane lui offre, par son exemple, une vision moins manichéenne de la sorcellerie.
Sorcière, pâle trophée ou bombe ultra-sexualisée ?
Au fond, ce ne serait pas si mal, n’est-ce pas, d’être une femme chez Tim Burton. La mort nous environnerait mais nous saurions nous en défendre et l’apprivoiser.
Coincées dans des rôles de mégères superficielles, nous pourrions être sûres de trouver des alter-egos masculins à nos côtés car nous ne servirions pas la critique de notre sexe mais une satire de la société toute entière. L’initiative sexuelle viendrait de nous et de grands pouvoirs seraient à notre portée.
Parfois, nous pourrions n’être qu’un trophée pâle, une récompense pour le héros, mais même moins actives que les fascinantes sorcières, troublantes femmes fatales pour lesquelles Burton permet l’empathie, nous demeurerions plus intéressantes que bien des bombasses hollywoodiennes…
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