Le 4 mai 2015, Libération a publié une tribune dénonçant le sexisme dans le journalisme politique. Sous forme d’un texte manifeste, plus de quarante femmes journalistes se sont associées pour parler du machisme ambiant dont elles sont les victimes dans l’exercice de leurs fonctions.
La tribune qui dénonce le sexisme dans le journalisme politique
Le texte commence par un état des lieux : l’univers du journalisme dans lequel de nombreuses femmes évoluent professionnellement est teinté d’ambiguïté. Cette ambiguïté a été instaurée dans les années 1970 lorsque bien des femmes journalistes étaient engagées non pour leurs compétences, mais pour leur physique avantageux :
« Nous ne sommes pas la Génération Giroud. Au tournant des années 70, la cofondatrice et rédactrice en chef de L’Express, première femme à diriger un grand hebdomadaire généraliste, avait mis le pied à l’étrier d’une flopée de ses jeunes et belles congénères. Entre cliché machiste et efficacité éditoriale, Françoise Giroud était alors persuadée que les hommes politiques se dévoileraient plus facilement face à des femmes. »
Ces femmes journalistes parlent des actes et des commentaires sexistes venant de la part d’hommes politiques qui n’hésitent pas à faire des comparaisons douteuses :
« […] C’est un député qui nous accueille par un sonore : « Ah mais vous faites le tapin, vous attendez le client ». »
Elles dénoncent également les avances faites par certains politiques, qui se permettent ce qu’ils n’auraient jamais osé avec des hommes — des « avances » qui peuvent aller jusqu’au harcèlement.
« C’est aussi l’étoile montante d’un parti qui insiste pour nous voir le soir, hors des lieux et des horaires du pouvoir. Dans le huis-clos d’un bureau de député, c’est un élu dont les avances ne s’arrêteront qu’avec la menace d’une main courante pour harcèlement. »
Dans ce texte, on sent le ras-le-bol, la fatigue et la colère de ces femmes journalistes qui évoluent dans le milieu de la politique, où les hommes sont majoritaires. Le sexisme est présent au sein des deux domaines, qui agissent comme des vases communicants. De nombreux hommes réduisent ces femmes à de simples objets de consommation, certains que leur position d’homme politique respecté les rend intouchables et légitimes.
« C’est un ancien conseiller de l’Elysée qui offre de nous entretenir, faisant miroiter grands hôtels, practices de golf et conférences internationales, au nom de notre « collaboration » passée. À table, c’est un ministre qui plaisante avec nos collègues hommes sur les ambitions des uns et des autres « le matin en se rasant », avant de se tourner vers nous : « Et vous, vous rêvez de moi la nuit ? ». C’est un ami du Président qui juge les journalistes « d’autant plus intéressantes qu’elles ont un bon tour de poitrine », ou un ministre qui, nous voyant penchée pour ramasser un stylo, ne peut retenir sa main en murmurant : « Ah mais qu’est-ce que vous me montrez là ? ».
Au delà des attitudes déplacées, les femmes journalistes ne sont pas prises au sérieux dans cet univers politique considéré comme masculin. Les remarques rabaissantes font partie de leur quotidien.
« Il y a aussi les soupirs condescendants qui accompagnent nos interrogations en conférence de presse : « Ça, c’est bien une question de fille »… »
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Elles se forcent alors à intégrer des codes de conduites qu’elles n’auraient peut-être pas envisagés si elles avaient été des hommes :
« Ni naïves ni caricaturales, nous savons que notre métier implique de construire une proximité et un lien de confiance avec nos sources. Mais force est de constater que nous ne le faisons pas tout à fait comme nos camarades masculins, intégrant les contraintes du sexisme ambiant : pas de tête-à-tête ou le moins possible, des tenues passe-partout et une vigilance permanente pour conserver le vouvoiement afin de maintenir ainsi la bonne distance entre un journaliste et son sujet. »
Ce texte nécessaire et juste rappelle que les femmes sont encore jugées sur leur genre et non pas leurs compétences dans certains milieux professionnels. Sur Facebook, Najat Vallaud-Belkacem a d’ailleurs tenu à saluer le courage de ces journalistes qui dénoncent et qui veulent faire évoluer les choses :
De nombreuses femmes ressentent à quel point il est difficile de faire ses preuves dans un milieu où beaucoup d’hommes considèrent qu’elles n’ont pas leur place. Lors d’une interview pour Le Monde, Hélène Bekmezian, l’une des signataires du manifeste, expliquait pourquoi cette prise de parole était nécessaire :
Le texte rappelle à quel point il peut paraître tristement irréaliste, pour certaines, d’être encore victime de ce qu’elles appellent des « manifestations de paternalisme lubrique
» en 2015.
À quand un texte féministe pour toutes les femmes ?
Ce texte est légitime et prend tout son sens lorsqu’on est conscient•e de la difficulté pour de nombreuses femmes de s’imposer là où les hommes pensent avoir les pleins pouvoirs. D’ailleurs, il se termine par un état des lieux de la situation politique d’aujourd’hui et explique pourquoi cette situation n’évolue pas :
« Tant que la politique sera très majoritairement aux mains d’hommes hétérosexuels plutôt sexagénaires, rien ne changera. »
Ce manifeste se penche largement sur la difficulté d’être journaliste dans un milieu d’hommes âgés. Il est signé par une majorité de femmes, officiant pour des journaux, magazines, radios ou chaînes de télé tels que Libération, France 3, France Inter ou Le Monde.
Dans House of Cards, deux femmes journalistes politiques tentent de tirer le meilleur d’un système sexiste
Je me permets de répondre à ce texte, qui m’a émue et dans lequel j’ai pu me reconnaître en tant que femme ayant évolué dans le milieu journalistique. J’ai moi-même été la victime d’actes déplacés de la part d’hommes qui se pensaient tout permis. L’opposition que représente ma situation de jeune femme noire dans un milieu dirigé par de vieux hommes blancs a souvent représenté une difficulté que j’ai malgré tout pu surmonter.
Même si ce manifeste ne se penche pas sur la question de la couleur de peau dans le milieu journalistique ou politique, je pense qu’il en représente l’occasion rêvée. Le féminisme est toujours un sujet délicat dans notre société contemporaine. Des textes comme celui-ci révèlent avec brio les mécanismes du système de hiérarchisation des genres dans certains milieux.
Il faut que vous sachiez que lorsqu’on est une jeune femme noire comme moi, les attaques sexistes se focalisent souvent sur l’appartenance ethnique. Ainsi vous n’entendrez pas « Joli petit cul ! » mais plutôt « joli petit cul exotique ! » sortir de la bouche d’un patron ou d’un homme qu’on tente d’interviewer.
À chaque fois que je suis amenée à lire quelques tribunes qui dénoncent le sexisme ambiant dans le cadre professionnel, je voudrais aussi qu’on parle de moi. Je me retrouve souvent face à des tribunes ou des discours venant de l’initiative de femmes blanches qui dénoncent le milieu machiste dans lequel elles évoluent.
Le très faible nombre de femmes noires travaillant pour des journaux généralistes est sans doute la cause d’absence de discours dénonçant l’intersectionnalité dont sont victimes de nombreuses femmes non-blanches…
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Le féminisme est souvent « blanc » dans la majorité des pays occidentaux, et peu de femmes noires ont accès à des discours qui se penchent sur la double difficulté d’être noire et femme. Ce constat conduit à ce que des filles comme moi se raccrochent à la médiatisation des quelques discours féministes destinés aux femmes blanches avec lesquelles on partage le fait d’être femme… mais pas tout à fait de la même manière.
On se raccroche aussi parallèlement aux quelques discours qui dénoncent le racisme dans le milieu professionnel et la difficulté de trouver un travail en étant Noir… Mais là aussi, on se reconnaît à moitié, puisqu’il ne traitent pas de la difficulté d’être femme.
Ces dernières années, des femmes comme Audrey Pulvar ou Rokhaya Diallo osent parler à la fois du sexisme et du racisme, dans un tout qui représente la situation difficile dans laquelle évoluent de nombreuses femmes noires. Dans une interview pour Télésud, la comédienne et réalisatrice Amandine Gay expliquait ce constat qui a finit par la pousser à se définir avec le terme « afro-féministe » :
Je ne peux que saluer l’initiative de ces quarante journalistes qui ont, je l’espère, participé à l’amélioration des conditions professionnelles des femmes dans les médias. Et j’espère entendre, de plus en plus souvent, l’expression de femmes noires, bien présentes mais trop souvent réduites au silence.
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Les Commentaires
Alors "mettons" plus de femmes, plus de jeunes et plus de personnes issues de diverses cultures et couleurs de peau (un peu utopiste je sais) en politique mais aussi ds les medias et ailleurs