Être une femme au Japon, à quoi ça ressemble ? En forçant le trait, ça consiste à être féminine, ne pas compter sur sa carrière et se résoudre au mariage. C’est en tout cas la trajectoire proposée par la norme sociale.
Objectif mariage
Coiffure parfaite, tenue soignée, talons : au Japon, la féminité est obligatoire. Être une femme, c’est prendre soin de soi, être vigilante sur ce qu’on donne à voir. Respecter l’autre en mettant du fond de teint. Il faut se donner du mal, c’est important ; sinon, on est une souillon. Plus grave encore, se délaisser, c’est le signe que l’on méprise les normes sociales. Et les normes sociales, c’est ce qui fait tenir 130 millions de Japonais-es sur un archipel bourré de montagnes inhabitables – c’est dire si c’est important.
À ces jeunes femmes jolies et bien éduquées (malgré ses tares, l’éducation japonaise est performante), la société propose un modèle de bonheur facile : la félicité conjugale. Le mariage est le modèle largement prévalent sur l’archipel. Le concubinage est encore peu répandu, et les naissances hors mariage, bien qu’en augmentation, sont encore marginales. Par contre, il y a un mot spécifique pour désigner les noces précipitées pour cause de grossesse !
Se marier et devenir mère au foyer est un souhait fréquent. Le mariage n’est pourtant pas la panacée : une femme mariée sur deux a déjà songé au divorce. Les hommes sont peu présents à la maison – un sondage de 2007 montre que 37% des hommes voient leurs enfants moins d’une demi-heure par jour. Une grande partie des couples mariés sont abstinents. J’ajoute qu’une femme sur quatre sera victime de violence conjugale dans sa vie (encore un tabou au Japon). Un portrait un peu gris… mais ici, le mariage n’est pas le lieu des débordements affectifs : c’est une construction familiale où chacun tient son rôle : l’homme travaille, rapporte de l’argent, la femme gère le budget et la maisonnée.
Ce schéma conservateur bouge : en 2002, 60% des foyers avaient un double revenu. Mais arrêter momentanément de travailler pour s’occuper de ses enfants reste une quasi-obligation morale… Il faut dire que l’alternative manque d’attractivité.
La tristitude de l’entreprise japonaise
Si les Japonaises souhaitent rester à la maison et veiller à l’éducation de leurs enfants, honnêtement, je ne vois pas ce qu’on irait leur reprocher : chacun fait comme il le sent. Le souci, c’est que le monde du travail ne leur offre pas de perspectives vraiment excitantes, et force un peu leur choix de vie.
« Les femmes doivent quitter l’entreprise après un mariage ou un bébé » : une affirmation renversante avec laquelle 53% des hommes et 58% des femmes (qui se tirent un peu une balle dans le pied !) sont d’accord. C’est vrai qu’avec cette manie des heures supplémentaires à gogo et des drinking parties
régulières, on voit mal comment maintenir une activité à plein temps et garder une vie de famille – puisqu’il est entendu que le mari, soumis aux mêmes contraintes, n’a pas non plus de temps pour la maison ou les enfants.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les entreprises japonaises ne sont pas très « mother-friendly ». Il y a deux rythmes de carrière, décidés à l’embauche : une voie pour ceux qui quitteront l’entreprise un jour (au hasard, les femmes), et une autre pour les « employés à vie », avec promotions, augmentation et tout le toutim. Une voie auxquelles les femmes ont théoriquement accès… mais la coutume de présenter sa démission en même temps que le certificat de grossesse est très ancrée. Si on ajoute que le système des crèches est très onéreux et maille faiblement le territoire, on comprend qu’en moyenne, les femmes arrêtent de lutter !
Bilan des courses, 5 ans après avoir accouché, 50% des femmes sont à la maison ; et la majorité de celles qui ont repris une activité salariée sont à temps partiel. Une position vraiment précaire au Japon, où le temps partiel, s’il est inférieur aux trois quarts d’un temps plein, n’est pas assorti des cotisations habituelles chômage, vieillesse ou maladie.
Entre machisme et pragmatisme
L’un dans l’autre, comment s’en tirer au mieux ? La stratégie consiste souvent à repousser le mariage et ses contraintes jusqu’à atteindre la trentaine. Au-delà, attention au syndrome des makeinu, les « chiens qui ont perdu », un surnom sympathique pour les vieilles filles, que personne n’a choisi d’épouser. Question statut social, mieux vaut être mal accompagnée que seule.
Quitte à épouser quelqu’un, autant qu’il soit en mesure de faire vivre la famille. On le préfère conciliant, avec des revenus confortables. Les femmes se consolent en prenant la tête de la famille : décisionnaires au quotidien, à la tête du budget familial (les hommes touchent de « l’argent de poche »), ce sont elles qui détiennent le pouvoir d’achat au Japon. Une consolation qu’on a le droit de trouver maigre !
Le Japon a un héritage plutôt machiste. Le shinto puis le bouddhisme ont mis de côté les femmes, impures puisque saignant chaque mois. Il y a plusieurs siècles, lorsque la misère sévissait dans les campagnes et que les enfants étaient trop nombreux, on ne réfléchissait pas longtemps sur le sexe à privilégier… À l’ère de l’industrie, les femmes étaient dans les usines, jusqu’à ce que l’enrichissement des ménages fasse de la présence de la femme à la maison un signe extérieur de richesse. Il faut attendre 1946 et sa Constitution pour que les femmes aient le droit à l’autodétermination en quelque sorte : droit de décider de son mariage, droit de divorcer, de voter, d’hériter.
Aujourd’hui, la sexualité est libre, les femmes ont la possibilité d’avorter – et y ont recours massivement (30% des grossesses se terminent par une IVG), dans un pays où la pilule contraceptive, autorisée en 1999, est peu utilisée. L’accès aux études est égalitaire. Mais le taux de natalité du pays est préoccupant, et le gouvernement se focalise plus sur l’utérus de ces dames que sur leurs CV…
Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
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Les Commentaires
Lola c'est vraiment un cas extrême, et la télévision japonaise n'est de toute façon pas réputée pour être d'une intelligence aggravée hein. J'ai d'ailleurs moi-même arrêté de la regarder, et vive internet, on a BFM et canal+ même au Japon ^^'
Sinon, j'ai vu que vous discutiez des mangas shôjo, donc je me permets de rebondir. Pour celles qui connaissent les mangas de Mayu Shinjô (Haou Airen, Love Celeb, Akuma no Eros), qu'en pensez-vous ? Une amie italienne m'a fait découvrir cette auteure, et je ne sais pas si je l'exècre ou l'adore en fait x) Je lui ai envoyé un email auquel je n'ai toujours pas eu de réponse, pour l'interroger un peu sur ses personnages féminins.
Mais bon, l'histoire suit toujours le même motif : une lycéenne au corps mature sexuellement, complètement stupide et vide intérieurement, devient la cible sexuelle, puis amoureuse, d'un homme, de plusieurs en fait, souvent riches, à la carrière aboutie et aux grands pouvoirs politiques et physiques. Le scénario est souvent déconstruit et on sent que la priorité ne lui ait pas donnée au détriment des scènes de sexe(viol en fait), omniprésentes.
Moi je les ai lu sur tenmanga, en anglais, si ça vous intéresse.
(et désolée si je fais de l'hors-sujet, ça part un peu dans les fantasmes sexuels féminins des japonaises mais bon)
EDIT : j'avais pas vu qu'il y avait trois pages, et je viens de lire les deux premières... Donc en fait, Mayu Shinjô et ses "oeuvres" ne sortent pas vraiment du lot... J'ai quand même peur pour la génération future des jeunes hommes et femmes d'ailleurs, japonais ou non, car le marché du manga est aussi développé ailleurs que sur l'archipel, abreuvée de ce genre de leitmotiv...
On est un peu dans la logique du plaisir masculin au-delà de celui féminin, l'inexistance de la vie de la fille au profit de celle de l'entité mâle, et l'absence totale d'un modèle différent du type "couple blanc hétérosexuel dont l'homme est plus vieux, plus expérimenté, plus riche, PLUS..."
C'est... Effrayant... Ah si je savais dessiner...