Tout ça, c’est un peu de votre faute : nous avions commencé par un article qui recensait les différences de traitement entre les personnes « belles » (ou du moins estimées belles) et les moins belles, et nous avions dit que c’était drôlement dommage de s’arrêter aux constats statistiques.
Nous avions alors fouillé du côté des explications de sociologues, pour comprendre pourquoi notre regard sur nous-mêmes n’était pas toujours bienveillant). Aujourd’hui, penchons-nous ensemble sur les travaux d’Estelle Masson, maître de conférences en psychologie sociale (et si vous trouvez que je radote, arrêtez-moi :))
Dans le cadre de l’OCHA, la chercheuse s’est intéressées aux femmes françaises et à leur rapport au corps et au poids.
WARNING : dans cet article, le mot « normal » sera parfois utilisé – uniquement de façon statistique, « ce qui est statistiquement dans les normes ».
On le sait, l’ambiance sociale est à la minceur, au contrôle de soi, à la maîtrise du corps (et si d’aventure vous aviez quelques vaguelettes sur le ventre, M6 vous apprendra à les camoufler – ou enverra une journaliste de compèt’ vivre votre vie d’obèse)(ce sera un peu difficile pour elle, elle devra souvent s’asseoir pour gérer ses émotions).
Pourquoi cette injonction de minceur a-t-elle une telle prise sur nous ? Pourquoi souhaitons-nous être toujours plus minces ?
Pour Estelle Masson, la réponse est double : non seulement parce que nous voudrions être parfaitement dans les normes, mais aussi parce que contrôler son poids serait l’un des nouveaux devoirs de l’individu moderne. Avoir, obtenir et maintenir un poids « normal » serait une question de responsabilité individuelle – du moins selon les perceptions des femmes.Ce qui est marquant, c’est ce désir irrépressible de légèreté exprimé par les femmes : si dans l’étude concernée, 61% des françaises ont un poids « normal », seulement 14% se sentent à l’aise avec leur corps et ne souhaitent pas particulièrement maigrir. Statistiquement, la française « moyenne » va toujours vouloir être plus légère que ce qu’elle n’est, a déjà fait un régime, qu’elle a eu une chance sur deux d’abandonner. Tout ceci n’est pas juste une lubie, une volonté d’être plus jolie, les femmes semblent également percevoir une « injonction médicale à peser moins » : il y aurait un bon poids pour la santé, un poids qui permettrait d’accéder au bien-être physique. Selon la chercheuse, le fameux « IMC » nous situe sur un continuum et nous fout dans des catégories arbitraires et artificielles – 100g en trop ou en moins et vous pourrez faire partie des « sous-poids » ou des « surpoids ». Ces catégories pourraient bien traduire un jugement sur ces différences, on parle de « trop » ou de « pas assez » et le nom de la catégorie peut devenir un stigmate.
Dans la société actuelle, le surplus est considéré comme un stigmate négatif – pour les femmes interrogées par E. Masson, il sera d’ailleurs beaucoup plus souhaitable d’appartenir à la catégorie des « maigres » qu’à celle des « gros » (même si, soyons clairs : être maigre et essayer de prendre du poids est tout aussi complexe qu’être en surpoids et essayer d’en perdre*). Les stéréotypes en vigueur à propos des gros ne sont probablement pas étrangers à ce phénomène : c’est bien connu, les dodus mangent toujours plus (Zita s’en souvient encore), sont plus gourmands, n’ont pas de volonté, se laissent aller (ils font « la patate sur le canapé » – que nous dit Zita).
Finalement, nous aurions un désir de minceur mais aussi une volonté d’éviter la grosseur et ses stigmates, de ne pas faire partie de ces personnes qui ne savent pas se contrôler. L’insatisfaction que l’on ressentirait à l’égard de nos corps traduirait une insatisfaction plus profonde – celle de pas parvenir à se maîtriser soi. Dans l’étude qui nous intéresse, 78% des femmes jugent qu’avoir un beau corps est important dans la relation aux autres
et ce taux s’élève encore plus lorsque l’on s’intéresse aux jeunes femmes (18-24 ans) : être bienveillant envers son propre corps serait bien plus facile lorsque celui-ci ne sort pas des clous normés.
Les régimes : 666 ?
Selon l’étude de l’OCHA, une femme sur deux serait une habituée des régimes, et une sur deux n’en aurait jamais fait. Les femmes interrogées voudraient en moyenne perdre 8 kilos lorsqu’elles sont en surpoids et 6 kilos lorsqu’elles ont un IMC « normal » ; ce qui montre bien que l’envie de faire un régime n’est pas liée au poids réel que l’on a. Le truc qui chiffonne un peu, c’est qu’avoir ou ne pas avoir fait de régime témoignerait d’une relation au corps différente : celles qui ne font pas de régime déclarent plus aimer leurs corps et mieux maîtriser leurs lignes. Elles considèrent leurs corps comme un allié, sont moins obsédées par lui. En revanche, pour les femmes ayant subi l’expérience d’un régime, le corps est devenu une préoccupation permanente, elles l’abordent dans une logique de domination, de surveillance.
Pourquoi se met-on au régime ? Dans l’enquête, 83% des femmes expliquent leur régime par une insatisfaction de leur apparence physique : elles ne désirent pas maigrir parce qu’elles se sentent physiquement mal (à cause de la fatigue, des essoufflements et autres désagréments) mais parce qu’elles ne se plaisent pas. Les raisons de débuter un régime sont multi-factorielles, mais souvent, l’une des explications invoquées est la sacro-sainte préparation aux vacances. Et même si nous ne reconnaissons pas être sous l’influence des régimes médiatiques, nous serions 32% à en avoir déjà tenté un.
Malheureusement, effectuer un régime est quelque chose de complexe, qui a des répercussions sur nous, notre perception de nous-mêmes, sur nos vies sociales… Pire, pour E. Masson, si nous n’atteignons pas nos objectifs, nous risquerions de le vivre sur le mode des regrets, de la culpabilité et de l’échec (je m’en veux, je n’y arriverai jamais, j’ai honte de moi…) – rares seraient celles qui parviendraient à relativiser (ce n’était pas le bon moment). Vous connaissez la suite : après un échec – et plus généralement après un régime, nous serons plus obnubilées par nos corps, plus crispées, et plus à même d’entreprendre un énième régime, plus à même de l’échouer une nouvelle fois, plus à même de subir encore plus de dégâts psychologiques…
Cinq profils de femmes
De ses travaux, Estelle Masson tire cinq grands profils de femmes, cinq réalités de poids différentes, cinq manières d’appréhender les injonctions à l’auto-contrôle, cinq types d’attitudes à l’égard de soi.
#1 : les femmes « au corps complice » (14% des femmes de son échantillon)
On ne va pas tortiller** : c’est un peu la catégorie jack pot, les bien dans leurs bottes, les nanas saines aux jambes fuselées et au sourire ultra-bright, mais qui s’en tamponnent peu (pour elles, tout ça, c’est naturel)(un peu comme pour les actrices interviewées dans n’importe quel canard : « comment je fais pour garder la ligne ? HAHAHAHAHAHA – rire démoniaque – rien, je mange tout à fait normalement, un citron pressé le matin par exemple)(bref). Ces femmes ont une relation sereine avec leur corps et leur poids, elle sont majoritairement plus mince que la moyenne, n’ont jamais pratiqué de régime et si elles souhaitent perdre un peu de poids, il ne s’agit que d’un petit kilo. Elles n’ont pas la sensation de se contraindre pour maintenir leur poids et ont intégré une discipline « équilibrée ».
#2 : les femmes « au corps qui parle, reflet des états d’âme » (37% des femmes de l’échantillon)
Disons que c’est la catégorie Bridget Jones : des femmes qui peuvent aimer et détester leur corps selon leurs états d’âmes. Les jours de grâce, elles voient leur corps comme une force, leurs rondeurs comme des atouts… Autrement dit : elles déambulent dans les rues comme des reines (probablement sur une bande originale à la Nancy Sinatra). En revanche, dès lors qu’un nuage se pointe, qu’un problème affectif ou professionnel survient, elles prennent du poids – ce qui les déprime, ce qui crée la sensation de s’être laissée submerger, d’avoir perdu le contrôle de soi. Perdre du poids est perçu comme une question de volonté, et généralement, elles parviennent à en perdre, du moins jusqu’au prochain choc émotionnel.
#3 : les femmes « au corps résigné » (30% des femmes de l’échantillon)
Généralement plus âgées et parmi les poids « supérieurs » (mais pas systématiquement), ces femmes affichent une attitude résignée vis-à-vis de leur corps : elles le trouvent imparfait, mais le voient avec distance, ne l’envisagent ni comme une force ni comme une faiblesse. Elles attribuent ce poids (qui ne les satisfait pas) à une multitudes de facteurs explicatifs (génétique, ménopause, héritage, âge, etc) et déclarent ne pas « maîtriser leur ligne ». Elles n’acceptent pas leur apparence avec sérénité, mais oscillent entre culpabilité et déni.
#4 : les femmes « au corps en souffrance » (12% des femmes de l’échantillon)
En surpoids et mal dans leur corps, ces femmes-là sont en souffrance, n’aiment pas leur corps et sont dans un combat permanent pour perdre du poids. Elles ont effectué des régimes, qui ont échoué et leur ont foutu un bon vieil effet yo-yo dans la face… Elles pensent avoir tout tenté pour maigrir, en ayant conscience que cela a fortement affecté leur confiance en elles. Intransigeantes envers elles-mêmes, elle jugent négativement leur « incapacité à se contrôler ».
#5 : les femmes « au corps objet » (16% des femmes de l’échantillon)
Ici, c’est un peu l’inverse : ces femmes sont plus minces que la moyenne, mais souhaitent être plus minces encore. Pour elles, le corps est un capital beauté que l’on peut façonner, modeler… Tout est question de discipline : il faut suivre une hygiène de vie stricte, le corps est un objet que l’on maîtrise.
Personnellement, j’ai l’impression que toutes ces femmes se ressemblent et ce qui me marque, c’est leur point commun : quel que soit leur poids, quelle que soit leur attitude, elles souhaitent toutes maigrir. Comme si donner la preuve que l’on peut contrôler son corps permettrait d’atteindre un palier de bien-être, de bonheur, d’achèvement. Comme si le rapport que l’on entretient avec notre corps était quelque chose d’indépendant de sa réalité. Comme si nous étions bien toutes sujettes à l’injonction de l’auto-contrôle… Dans son article, la professeur de psychologie sociale parle de cette majorité de femmes qui souhaite être plus mince – mais nul doute qu’il existe d’autres femmes qui souhaitent être un peu plus épaisses, et qui n’échappent probablement pas non plus à toutes ces injonctions sociales : soyez autrement, ne soyez pas satisfaites, contrôlez vos apparences. C’est peut-être ça qui nous donne l’impression d’être des brouillons, des trucs pas achevés.
* Et cela va sans dire : être complexée par sa maigreur ou par son surpoids, ça reste peut-être deux facettes d’un même problème… ** Y en a qui ont ajouté « du cul pour chier droit » ? Non ?!
Pour aller plus loin
- La source, l’article d’Estelle Masson, qui est vraiment accessible
- Source qui fait partie d’un dossier plus global intitulé « Corps de femmes sous influence » (je vous jure : c’est drôlement intéressant)
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Pour le corps, tant que je me sens bien, que j'ai mal nulle part, je suis contente. En me regardant dans le miroir, je trouve toujours un détail qui me plaît, un regard, une expression, une position, une couleur. Je m'excite pas pour ce à quoi je ressemble mais comment je me sens.
Ce qui me mène à la nourriture. Je déteste trop trop manger. Pas à cause des calories, plus à cause de la lourdeur sur l'estomac, du mauvais sommeil, de l'incapacité à faire un triple saut arrière façon ninja (:cretin... J'aime bien manger bien, mais pas trop, manger de tout, des trucs qui passent bien, qui ont bon goût, pas trop gras (ça colle un mauvais goût dans le palais après). J'hésite pas à me faire plaisir, mais je rééquilibre après. L'équilibre se fait sur plusieurs jours.
Après, c'est sûr qu'avec toutes ces images à la con et ces médias, je sens les bourrelets imaginaires qui bourgeonnent. Mais je les coupe en me focalisant sur ma santé et mon bien-être.