L’histoire arrive par les mots très bien choisis de Pascale Robert-Diard : la journaliste au Monde relate ici une affaire judiciaire, triste, morne, à l’image de la misère sociale puis affective dans laquelle elle naît.
« Ce procès vous dépasse parce que derrière vous, il y a toutes ces femmes qui vivent la même chose que vous. Qui guettent les ombres de la nuit, le bruit des pas qui leur fait comprendre que c’est l’heure où le danger rentre à la maison. Les enfants qui filent dans la chambre et la mère qui va dans la cuisine, qui fait comme si tout était normal et qui sait que tout à l’heure, la violence explosera. » Les mots de l’avocat général Luc Frémiot se veulent le reflet d’une vérité générale. Car derrière le procès d’Alexandra Guillemin qui a lieu ce vendredi 23 mars, c’est l’honneur de toutes ces femmes battues qui se profile.
Légitime défense
Alexandra Guillemin, 32 ans, comparaissait la semaine dernière, pour le meurtre de son mari, Marcelino. « Un soir de juin 2009, dans la cuisine de leur appartement à Douai, cette mère de quatre enfants a dit à son mari qu’elle voulait le quitter. Il a explosé de fureur, a cherché à l’étrangler, elle a saisi un couteau de cuisine. La plaie dans le cou mesurait 13,5 cm de profondeur. Il est mort sur le coup, « dans une mare de sang », dit le procès-verbal des policiers. Voilà pour les faits. », résume Le Monde
.
L’histoire a des allures de faits divers comme on en recense des centaines chaque année. Mais derrière cette dispute de couple qui dégénère se cache une violence de la vie quotidienne :
« Alexandra avait 17 ans, elle était en première, au lycée, quand elle a rencontré Marcelino, un Gitan sédentarisé, de quatorze ans son aîné. Elle est tombée amoureuse, a claqué la porte de chez sa mère qui ne l’aimait guère et rompu avec son père qui était en colère. Quelques mois plus tard, elle s’est mariée, le premier des quatre enfants est né et Alexandra Guillemin a renoncé à passer son bac. Le reste est un long calvaire. Une épouse que l’on viole, frappe, insulte et humilie. Que l’on menace lorsqu’elle murmure des confidences à sa sœur au téléphone ou cherche à voir son père. Que l’on épie quand elle tente de se confier à l’assistante sociale. Que l’on écrase et engloutit. Au XXIe siècle, dans une ville française, une ombre dans une caverne. »
Alexandra est donc plus que cette femme qui a ôté la vie à son mari. Alexandra est, malgré elle, le symbole de toutes ces femmes humiliées chez elles, honteuses sur la place publique. Ces femmes à qui l’on a enlevé toute ombre de dignité. Celles qui vivent dans la terreur, dans le tremblement de leurs sanglots. Et dans la peur d’être incomprises, et encore plus en danger, si elles osaient lever la voix quand on lève la main sur elles.
« Papa est mort, on ne sera plus frappés »
Alors quand est venu le tour de Luc Frémiot de passer à la barre, l’avocat général a choisi de re-contextualiser le meurtre, de donner les clés pour comprendre la terreur dans laquelle Alexandra vivait :
« Mon devoir est de rappeler que l’on n’a pas le droit de tuer. Mais je ne peux pas parler de ce geste homicide sans évoquer ces mots des enfants : ‘Papa est mort, on ne sera plus frappés’. ‘Papa, il était méchant’. ‘Avec nous, il se comportait mal, mais c’était rien comparé à ce qu’il faisait à maman’. On n’a pas le droit de tuer, mais on n’a pas le droit de violer non plus. D’emprisonner une femme et des enfants dans un caveau de souffrances et de douleur.
Je sais la question que vous vous posez. ‘Mais pourquoi Alexandra Guillemin n’est-elle pas partie avec ses enfants sous le bras ?’ Cette question est celle d’hommes et de femmes de l’extérieur, qui regardent une situation qu’ils ne comprennent pas et qui se disent: ‘Mais moi, je serais parti !’ En êtes-vous si sûr ? Ce que vivent ces femmes, ce qu’a vécu Alexandra Guillemin, c’est la terreur, l’angoisse, le pouvoir de quelqu’un qui vous coupe le souffle, vous enlève tout courage. C’est sortir faire les courses pendant cinq minutes, parce que celui qui vous envoie a calculé exactement le temps qu’il vous faut pour aller lui acheter ses bouteilles de bière. Et c’est à cette femme-là que l’on voudrait demander pourquoi elle est restée ? Mais c’est la guerre que vous avez vécue, madame, la guerre dans votre corps, dans votre cœur. Et vous, les jurés, vous ne pouvez pas la juger sans savoir les blessures béantes qu’elle a en elle. »
Car, si chaque affaire judiciaire a ses particularités, toutes les histoires de femmes battues se ressemblent : la terreur empiète sur la colère, la souffrance sur la dignité. S’enfuir de la maison ou essayer de survivre au quotidien ? Et les enfants ? Et s’il était impossible de se défaire du joug d’un homme ? Autant de questions noyées dans la peur et la honte d’une maltraitance tellement ritualisée que presque normalisée. Ce jour-là, après le réquisitoire de Luc Frémiot, les jurés ont tranché : Alexandra a été relaxée. La justice s’est humanisée.
Défi pour l’avenir
De la même façon qu’on aimerait ne plus entendre qu’une femme violée « n’avait qu’à porter autre chose qu’une mini-jupe », il faudrait arrêter de laisser dire que si elle n’ose claquer la porte, c’est que la femme battue l’a bien cherché.
Remettre les choses dans leur contexte. Comprendre que dans des situations de faiblesse, réussir à être logique est un luxe. Admettre qu’il est bien plus facile de rationaliser, commenter , juger… à l’extérieur qu’à l’intérieur d’un domicile où le geste violent est le seul mot pour s’exprimer. Et surtout, ne manquer aucun appel au secours. Puisqu’à l’heure où les femmes battues sont une majorité silencieuse qui tait sa souffrance, une main courante posée dans la honte, c’est déjà un début de brèche vers plus de justice.
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Les Commentaires
j'ai un peu la même histoire que Nyl, rien de comparable à ta situation. Cela s'apparenterait certainement davantage à une brise au loin, qu'au déferlement que cela doit être pour toi, et ta mère. Et il arrive cependant que cela soit dur, alors je n'ose imaginer ce que tu vis.
Je voulais juste te souhaiter du courage, j'ai peur d'être maladroite. Essaye de ne pas te laisser détruire.. car je suis certaine que c'est destructeur. Sois forte et continue à l'être.