Je ne suis pas mariée à un homme qui me violente tous les jours. Je suis jeune, et je suis restée presque sept ans avec lui.
Mais un soir, il m’a frappée. J’avais 22 ans, c’était la veille de notre départ en vacances, et je ne l’ai quitté que trois mois plus tard.
J’essaie aujourd’hui de rassembler les pièces du puzzle pour tenter d’expliquer l’inexplicable, même si je n’arriverai sûrement pas à raconter toutes les facettes de cette histoire.
La première fois que mon copain m’a frappée
Un soir, on repartait en voiture d’un bar où on avait passé un moment avec ses amis et amies. Tout est parti d’une bête dispute : je me sentais invisible dans son groupe et à ses yeux lorsqu’on était en public.
Le ton est monté. Il s’est garé en ville car je devais aller chercher mon salaire dans un bar. Dans la voiture, on a continué à crier. Et là, je n’ai rien vu venir.
Avec le dos de la main, il m’a frappée, fort, au visage.
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Je suis tout de suite sortie de la voiture. Je suis allée dans une petite ruelle pour pleurer. Pas parce que j’ai eu mal. Mais parce que mon copain, avec qui je m’étais jurée de tout réparer pour toujours avancer, avait fait l’irréparable.
Comme s’il avait eu le pouvoir sur ce que notre relation allait devenir et que je ne pouvais plus rien y faire. Je savais qu’on ne pourrait pas réparer ça.
Il m’a rejointe. Je lui en voulais. Il a regardé mon visage, je saignais beaucoup de la bouche. Il s’est évidemment calmé d’un coup. Il était vraiment mal, il était tellement désolé. Il en avait les larmes aux yeux.
Il a essuyé le sang, et je suis vite allée chercher mon salaire comme si de rien n’était, avec un grand sourire. Je suis rentrée en voiture avec lui.
Je ne sais même pas pourquoi.
Je me suis dit que j’étais loin de chez moi, je n’avais plus de transports, autant aller chez lui comme prévu même si je lui en voulais…
Si j’appelais mes parents, si je le leur racontais, je ne pourrai pas revenir en arrière et j’avais du mal à l’assumer à ce moment-là.
Je savais que notre relation était morte à la seconde ou il m’avait frappée, mais il fallait que j’accepte d’y mettre fin. C’était deux choses distinctes.
La deuxième fois que mon copain m’a frappée
En rentrant en voiture, après un moment de silence, la dispute a repris. Puis on est arrivés au parking chez lui, il a pété un plomb tout seul hors de la voiture. Il hurlait. Je suis venue vers lui, énervée aussi.
Et il m’a mis un coup de poing dans la mâchoire, tellement vite que je ne l’ai pas vraiment vu. Il m’avait tapée deux fois dans la même soirée.
Juste après avoir été tellement triste et désolé de m’avoir frappée une première fois.
Aujourd’hui, avec le recul, je peine à y croire et à comprendre cette dualité. J’ai réalisé qu’on partait en vacances le lendemain. J’avais mis des mois à le convaincre de faire ce voyage, et d’autres mois à l’organiser.
Hors de question de ne pas y aller. Ça aurait impliqué de dire ce qui se passait à mes parents, la difficulté de la rupture additionnée au fait que tout le monde sache et ne comprenne pas pourquoi j’aurais du mal à l’oublier.
Avec le recul, je me dis que c’est dingue, l’endroit où étaient mes priorités… Mais je raconte les choses comme elles sont arrivées.
Je suis partie en vacances avec lui en cachant mes bleus
Je me suis dit que j’allais dormir chez lui pour que mes parents ne se rendent pas compte du problème.
Tant pis, j’allais être distante avec lui. Faire ces vacances, mettre tout ça dans un coin de ma tête, et le quitter en revenant.
On est rentrés chez lui. J’ai pleuré au moins une heure dans la salle de bain en voyant ma tête. La moitié de ma bouche avait triplé de volume et j’étais enflée sur un côté de la mâchoire.
Il m’a apportée de la glace et m’a laissée tranquille après s’être excusé platement. J’ai pleuré presque toute la nuit.
Le lendemain, j’ai mis une tonne de maquillage pour que mes parents ne voient rien en arrivant à l’aéroport.
Le premier soir de vacances, on ne trouvait pas la chambre d’hôtes. Quand on a finalement trouvé, mon copain a pété un câble d’avoir dû attendre. Il me faisait peur.
En dehors de ça, j’avais tellement envie de profiter de ces vacances que j’ai vite mis ça dans un coin de ma tête.
Il y a eu un soir où j’ai refusé de faire l’amour. Il s’est plaint que ça faisait cinq jours qu’on n’avait rien fait : depuis qu’il m’avait frappée.
Avec le recul, je ne sais pas dans quel état j’étais pour faire ça, mais je me suis excusée en disant que depuis ces évènements, j’avais du mal.
On n’en parlait pas souvent. Il avait honte. Et ce soir-là, on a quand même fait l’amour.
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Ce qui est fou, c’est que j’ai globalement un bon souvenir de ces vacances. Malgré les grosses disputes, les insultes…
Aujourd’hui je regarde les photos, il y en a des magnifiques sur lesquelles je cache les bleus avec du maquillage ou des retouches. J’en ai même posté certaines sur Instagram.
Malgré la violence, j’ai eu beaucoup de mal à le quitter
En rentrant de ces vacances, je n’ai pas réussi à le quitter. Je savais que notre relation était morte, je ne me faisais pas d’illusions. Mais c’était au-dessus de mes forces.
Pourtant j’ai un fort caractère, quand quelque chose ne va pas je le dis tout de suite !
J’ai remis la rupture à plus tard en me disant que dans un mois, je partais en Angleterre pour un semestre. Que je m’habituerai à être détachée de lui, et que je parviendrai à le quitter.
Mais là encore, je rentrais le voir, il est venu me voir lui aussi… et je m’accrochais. Cela dit, il n’avait jamais de temps pour moi au téléphone ou par message, il était toujours avec du monde. Ça m’a attristée.
On se disputait beaucoup à distance.
J’ai finalement réussi à le quitter. J’ai eu mal dans tout mon corps, je ne mangeais plus mais je continuais à faire mon sport habituel, alors j’ai failli tomber deux ou trois fois dans les pommes…
Je devais lutter contre moi-même pour ne pas revenir vers lui, car je savais que c’était ce qu’il y avait de mieux pour moi, que cette relation n’était pas réparable.
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Après un ou deux mois de rupture il m’écrivait, me demandait de revenir, me faisait douter au point que je demande à ma mère ce que je devais faire.
Elle ne savait toujours pas qu’il m’avait frappée mais elle m’a avouée s’être rendue compte avec mon père que j’étais « éteinte » ces dernières années de relation.
Je n’étais plus moi, même quand il n’était pas là.
Je n’ai pas réussi à voir les signes de la violence conjugale
Aujourd’hui, je vois à quel point cette relation m’affectait, même avant les coups.
Les insultes et les dévalorisations quotidiennes et anodines, au point que je croyais toujours que les choses étaient de ma faute même quand tout le monde me disait que non…
Il ne m’insultait pas forcément au cours de disputes, c’était un peu pour tout et rien.
C’était les insultes qui causaient des disputes car je réagissais, en disant qu’il n’avait pas le droit de me parler comme ça, que c’était tous les jours, que c’était grave (même si sur le moment je ne réalisais pas à quel point).
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Des fois je ne disais plus rien pour ne pas qu’on s’engueule une fois de plus. Quand on sortait, c’était pour faire son programme et voir ses potes. Il ne voulait pas sortir avec mes proches.
Les fois où il a fait l’effort, je le remerciais mille fois au début, mais il ne parlait à personne ou critiquait les gens. Alors qu’il est connu pour être un mec hyper sociable, que les gens remarquent, qui fait des blagues à tout le monde…
Tout le monde l’appelle par son surnom, le trouve gentil et à l’écoute.
On ne partageait pas nos vies, je vivais la sienne. Si je choisissais d’être chez moi, de voir mes amies ou de faire des choses qui me plaisaient à moi, il ne s’y opposait jamais, mais ne venait pas.
Le choix était simple : soit je le voyais en faisant ce qu’il veut, soit je faisais ce que je voulais mais sans lui.
Alors au bout de six ans, je ne voyais presque plus mes amis, je ne sortais plus avec eux, les gens ne m’invitaient presque plus car je disais toujours « peut-être » puis non.
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Je réapprends à prendre confiance dans une relation saine
Ça fait un an et demi qu’il m’a frappée, et le recul sur tout ça a mis du temps à venir.
Maintenant je suis dans une relation saine, et il y a des choses que je trouve vraiment géniales chez mon copain alors qu’il les trouve normales.
Comme le fait de s’organiser en fonction de ce que je fais pour qu’on se voit, par exemple. Je n’avais jamais connu ça avant et la sensation est incroyable.
Je me sens libre, avec des soucis et du stress en moins car je sais que même si j’ai énormément de travail, par exemple, on trouvera un moyen de se voir.
J’ai écrit ce témoignage parce qu’aujourd’hui ça me semble dingue de voir mon ex vivre sa vie tranquillement et que les gens le voient comme quelqu’un de bien sans savoir qu’il a fait ça.
Le soir où il m’a frappée, j’ai hésité à prendre des photos. Je ne l’ai pas fait. J’en ai parlé à quelques amies, mais j’ai peur que si ça sort de ce cercle on ne me croit pas.
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Aujourd’hui, quelques-uns de ses potes m’ont dit qu’ils ont trouvé, parfois, qu’il abusait avec moi. Mais ils ne disaient rien sur le moment, alors j’en venais à me demander si j’étais folle à être la seule à réagir à certains trucs.
Maintenant je sais que non, mais c’est un peu tard.
Je veux que les gens repèrent les couples comme ça parmi leurs connaissances. Je veux qu’ils réagissent, qu’ils osent l’ouvrir même quand c’est leur pote qui fait quelque chose de mal. Que la « victime » sache qu’elle a raison.
Quand ça arrive, on perd la notion de gravité. On ne sait plus qui a raison, qui a tort, s’il faut se croire soi-même. Je veux qu’un maximum de gens ouvrent les yeux.
Les gens disent que si quelqu’un frappe sa copine devant eux, ils réagiraient, mais ça n’arrive que rarement avec des témoins, et le couple fera tout pour cacher…
Mais il y a des signes qui ne trompent pas, et personne ne réagit à ces petites choses. Je veux tellement que ça change.
Comment aider une personne dans une relation toxique ?
Lorsqu’on est amie avec la « victime » (c’est étrange, on ne se sent jamais assez légitime pour se qualifier de victime, ou alors ça sonne péjoratif, et ça ne devrait pas), il faut aborder cela avec le plus de bienveillance et de patience possible.
Votre ami ou amie a la tête dans le sac, cela peut parfois être usant de répéter « cette relation est malsaine, tire-toi », mais plus vous allez contre elle ou contre lui, moins il ou elle va se confier à vous.
J’ai eu pas mal de conflits implicites, de froids avec mes amies car je ne les écoutais pas. Elles avaient raison et ont tenté le meilleur pour moi. Mais je ne voulais rien entendre, et elles en ont eu marre.
Il faut être prête à cela en tant que proche d’une victime.
Je n’osais tellement plus leur dire ce qui n’allait pas que je leur ai dit avoir été frappée un an après ma rupture…
Aussi, je dirais : ne jugez pas, ne soyez pas frontales, ne comparez pas, ça fait du mal. Je pense qu’il faut éviter les « quitte-le », « t’as vu comme il te traite ? », « moi, mon copain ne fait pas cela ».
Je vous conseillerais aussi d’éviter ce qui peut avoir l’air d’être un reproche.
Ne pas dire « tu as changé depuis que tu es avec lui » mais plutôt « tu as l’air triste, éteinte, toujours inquiète depuis un certain temps, est-ce que ça va ? ».
Donnez-les des outils sans forcément faire référence à sa situation : « j’ai lu cet article sur les violences, c’est intéressant, tu peux me dire ce que tu en penses ? ».
Rassurez la personne en lui disant qu’elle a bien agi, surtout si son compagnon ou sa compagne toxique lui reproche de résister, de ne pas se plier à sa volonté.
Mais si possible en évitant de juger ou d’insulter, car ça peut fermer la victime…
N’oubliez pas les signes : dévalorisations fréquentes (même si ce ne sont pas des insultes), insultes, la victime est en dépendance affective, semble éteinte, moins vive en général, a l’impression d’être fautive très fréquemment, peut aussi avoir des réflexes de protection face aux gestes brusques.
Ouvrez l’œil, soyez patientes et bienveillantes, valorisez la victime !
Le 3919 est le numéro le plus accessible et complet pour appeler à l’aide ou simplement discuter et poser des questions. Et il n’est pas « que » pour « les femmes battues ».
Il ne faut pas forcément habiter avec son compagnon, avoir des enfants, ou être fréquemment victime de violences conjugales pour pouvoir appeler ce numéro.
L’idée est juste de discuter, d’aider les personnes qui se posent des questions, puisque même les personnes qui n’ont pas vécu de violences peuvent appeler pour demander conseil pour un proche.
Si tu veux te renseigner en ligne, il existe aussi un site officiel : Stop Violences (sinon tape 3919 dans Google, ce sera le premier résultat).
Sache que le site a un bouton pour que tu puisses retourner sur Google en un clic, et qu’il t’explique aussi comment effacer les traces de ton passage sur le site (c’est facile, promis).
Les deux liens à droite de la bannière permettent de quitter le site sans laisser de traces.
Il existe aussi des sites qui répertorient les lieux d’hébergement si tu ne souhaites pas discuter :
- Le site du Centre Hubertine Auclert (qui est top) dispose d’une carte avec tous les différents lieux d’Île-de-France.
- Le site du gouvernement Stop Violences et sa cartographie (centres financés par l’État)
- La FNSF (Fédération nationale de la solidarité aux femmes) qui répertorie également ses centres (qui ne sont donc pas les mêmes que ceux de l’État)
- Et bien sûr, le FIT qui s’adresse d’abord aux jeunes femmes victimes de violences
Si tu ne trouves pas dans ta région, le 3919 a des pôles locaux qui sauront t’indiquer le meilleur endroit.
Si tu veux t’en aller, sache toutefois que ce sera plus facile pour les jours suivants si tu emmènes avec toi certains papiers et objets :
- Passeport et carte d’identité
- Permis de conduire (et si tu as ton propre véhicule, clés et papiers)
- Carte bancaire, contrat bancaire et informations bancaires personnelles (s’il y a des documents avec des codes par exemple)
- Carte vitale et carte de mutuelle
- Bulletins de salaire, diplômes, feuilles d’imposition
- Si tu as eu des antécédents et que tu as déjà déclaré une violence, prends les papiers juridiques de tes déclarations
Pour plus d’informations et de conseils, tu peux aussi aller lire l’article Mon mec vient de me frapper pour la première fois, que faire ? sur madmoiZelle.
À lire aussi : Pourquoi les femmes victimes de violences conjugales ne portent-elles pas plainte ?
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Les Commentaires
Moi, mes amis n'étaient pas dupe vu qu'il perdait les pédales devant eux. Tous m'ont dit de partir, certaines m'ont même aidées à faire mes valises pour quitter la maison, mais j'y revenais très vite ... 3 jours plus tard? J'ai fini par avoir le déclic un soir alors que je m'était rebellée et que j'étais allée manger avec des amies que je n'avais plus vu depuis plusieurs années au restaurant. Toute cette soirée, j'ai reçu des messages d'insultes et des menaces. Mais ce soir là, alors que je discutais avec mon amie, elle à vu un de ces messages "sale pute, quand tu vas rentrer tu vas manger d'être sortie sans moi un vendredi soir" , elle m'a regardé plein de compassion et m'a juste dit "Tu mérites mieux que de te retrouver seule car un homme t'aura coupé du monde, tu mérites mieux, tu es belle, drole et intelligente, tu n'as pas besoin de ça." je lui ai souris et je n'ai pas répondu. Mais ce soir la, en rentrant chez nous, sa voix résonnait dans ma tête, j'ai changé de direction et je suis rentrée au beau milieu de la nuit chez mes parents. Ils m'ont accueillit mort d'inquiétude, j'ai tout raconter, des le lendemain ma famille est allée récuperer mes affaires au domicile. Je n'ai plus jamais eu de nouvelle de lui, il s'est recasé très vite, il parait même qu'il va se marier avec sa nouvelle compagne.
Moi, je suis toujours seule, mais aujourd'hui, je me répare ; Je n'ai jamais imaginé tout le mal que la relation me faisait à ce moment la ; je n'imaginais pas que je fonderais en larme dès qu'un homme tentera de me toucher, que je fonderais en larme quand un ami me dira "arrete de rire aussi fort" pour plaisanter, n'y même a quel point j'ai blessé mes amis et ma famille d'avoir mis si longtemps à ouvrir les yeux. J'aimais cet homme, c'est moi que je n'aimais pas.
Aujourd'hui, après plusieurs thérapies et un gros travail d'introspection sur moi-même je réalise que la vie c'est d'être aimé, vraiment. Que je mérite le meilleur, l'amour, les rires, et que l'amour ne t'emprisonne pas. Il ne te détruit pas, il ne te rabaisse pas, il ne te frappe pas, il ne jouit mais de ton malheur.
Je vous souhaites à tous , si vous êtes dans la situation ou si vous sentez qu'elle commence à arriver, aimez vous. Lutter et aimez-vous. Vous méritez mieux. Vous êtes fortes et merveilleuses, on l'est toutes.