Qu’est ce que ça signifie, être une femme accomplie ? Faut-il réellement chercher à s’accomplir à tout prix ou peut-on vivre dans l’imperfection ? Voici de grandes interrogations pour finir le week-end.
Depuis quelques temps je repais mon esprit par des lectures analogues traitant toujours de femmes et d’hommes tourmentés par les aléas de la fortune, du bonheur sentimental et du malheur social, la routine quoi. Ces livres possèdent comme principale qualité celle de dépeindre mieux que n’importe quelle gazette les moeurs d’une époque donnée.
Une thématique revient toujours en boucle chez les personnages féminins : la notion d’accomplissement. Toutes les héroïnes s’emploient à être, à rester ou à devenir des « femmes accomplies ».
Les 10 commandements de la femme accomplie
Cela passe par diverses préoccupations; tout d’abord il est question d’accomplissement social au travers des talents aussi précieux que vains. Si j’étais une femme accomplie du XVIIème siècle je devrais employer mon temps libre à perfectionner quelques dispositions peu naturelles mais censées l’être.
Ainsi je devrais jouer agréablement du piano, savoir chantonner avec justesse pour égayer les soirées d’été, je développerais un vif penchant pour le gribouillage de natures mortes et j’apprendrais, à l’occasion, à monter un beau cheval blanc pour me promener en bonne compagnie parmi les domaines de mes châteaux espagnols.
Sans oublier que la femme accomplie se doit de conserver sa vertu au prix de n’importe quels sacrifices : la droiture morale qui confine à la frigidité, le sens de l’abnégation et la mortification sont autant de qualités appréciées par les « honnêtes hommes » (qui épousent et forment en général un riche ménage avec les « honnêtes femmes » mais aiment mieux celles dont les goûts et la morale sont plus frivoles.)
Tout cela était donc très en vogue pendant les derniers siècles, il n’y avait pas plus hype que de faire un beau mariage entre honnêtes gens aux honnêtes moeurs et à la probité intacte.
Et quatre siècles plus tard…
C’était une époque passionnante mais heureusement révolue pour les malhonnêtes de ma classe. Les gens sans noblesse, les sans-talents et les cancres, tous ceux qui n’ont pas le sang bleu et qui sont juste assez bons pour être des braves. J’ai beau aimer de tout mon coeur la Renaissance, l’époque moderne et l’Ancien Régime, il y a fort à parier que j’aurais appartenu au bas peuple vivotant loin des notions d’accomplissements.
Alors j’embrasse vivement la cause révolutionnaire et le basculement des moeurs qui nous ont permis à travers le progrès social, les droits des Hommes et la justice, de tous nous accomplir.
Car il est bien évidemment toujours question d’être une personne « accomplie » de nos jours. Toutefois la définition de cet accomplissement a considérablement évolué : il fut un temps, pas si lointain, où les qualités domestiques d’une femme définissaient sa respectabilité (il fallait bien que l’on s’épanouisse quelque part, qu’on se démarque des meubles du salon en prenant soin de les astiquer religieusement).
Il fallait assoir notre autorité dans un domaine particulier ; une femme accomplie était donc une bonne maîtresse de maison, une mère aimante et une épouse prévenante. Plus besoin d’éducation particulière, de précepteurs sévères, d’heures occupées à diversifier les talents artistiques pour être une femme accomplie : une bonne demi-heure de vaisselle nous valait autant d’éloges.
Je ne crois pas que cette évolution soit fondamentalement positive : mesurer l’accomplissement d’une vie dans l’art de danser la volte ou dans notre talent à astiquer les cuivres n’éveille en moi que peu d’enthousiasme.
Être une femme accomplie tu sais c’est pas si facile…
Maintenant que nous travaillons toutes (ou presque) et que les femmes se sont émancipées, maintenant qu’il est absurde d’être une femme sans se définir par l’adjectif féministe, maintenant que nous possédons le pouvoir de diriger notre vie, nous ne nous sommes pourtant toujours pas débarrassées de cet idéal d’accomplissement.
Plus que jamais j’ai l’impression que l’accomplissement passe par la réussite totale, il ne suffit plus de posséder des qualités morales ou sociales, il faut maîtriser chaque domaine de compétences et être la meilleure en tout.
La dictature de l’accomplissement
Il n’y a qu’à voir le nombre d’émissions télévisées racoleuses qui nous poussent à nous perfectionner, à nettoyer notre maison avec des produits biologiques, à améliorer notre décoration en construisant nos propres meubles, à manger sainement mais avec plaisir, à communiquer mais à garder notre jardin secret, à être la plus belle mais en restant naturelle ou à prendre confiance en nous. Je ne compte plus l’éclosion des « coaches » : coach de vie, coach professionnel, coach sportif, coach familial, coach shopping.
Tout ces gens si dévoués à notre épanouissement sont là pour nous permettre d’accéder à
l’idéal publicitaire de l’Être accompli : pleinement lui-même tout en restant dans la tendance, un original qui se connaît (car les femmes accomplies aiment à dire que maintenant « Elles se connaissent, elles savent qui elles sont vraiment« ) et qui reste dans l’air du temps.
Quelle évolution terrible; l’accomplissement est désormais devenu le but ultime de toute une vie. Autant mourir maintenant que de vivre sans ne rien accomplir : ne pas aller au bout de soi-même, dans une réalisation totale de ses potentialités, est un crime de lèse-majesté envers l’humanité.
Évidemment en surface rien ne m’oblige d’obéir à cette règle, pourtant officieusement tout me pousse à suivre la voie de l’épanouissement entier, de la jouissance extatique, il faut impérativement partir à la recherche des désirs de mon Moi profond.
Tout me pousse à être un archétype de clichés complexes, un subtil mélange de frivolité apparente et de morale sous-jacente, une collègue au sérieux exemplaire, une maîtresse qui serait chienne juste comme il faut, une militante mais sans l’obstination casse-couilles, une employée qui réussit sa carrière tout en restant middle class.
Il faut être la meilleure en demeurant dans la moyenne, en restant acceptable vis-à-vis de son sexe et de son genre, et cette idée est un peu dérangeante. Je crois que l’idéal d’accomplissement est vain, on ne peut baser sa vie sur la recherche éternelle d’une plénitude entière et chimérique.
La résignation
J’ai abandonné l’idée d’être accomplie en tout, je ne crois pas être capable de briller et de réussir dans tous les domaines auxquels je touche et je crois que cette perte d’illusions est fondamentale et constructive.
Dans les romans de Jane Austen que j’aime lire, on rencontre toute une galerie de personnages forts et accomplis, parmi lesquels résident des Lizzy Bennet, des femmes de qualité qui reconnaissent qu’elles ne brillent pas du même éclat partout, des femmes qui cultivent certains talents mais qui affirment leurs préférences moins nobles. Qui préfèrent se promener dans les champs boueux plutôt que de parader sur des chevaux blancs.
J’ai décidé de ne pas chercher à être une femme accomplie, moi aussi je préfère marcher tranquillement dans la boue pour profiter du paysage plutôt que de courir à travers mon destin sur un cheval sauvage (référence cinématographique de premier ordre).
Je me trompe peut être, mais je crois que derrière cette notion d’accomplissement se cache une aliénation terrible à laquelle il faut savoir résister et qu’il est nécessaire d’accepter notre imperfection, c’est peut être cela, le seul pas à faire vers l’accomplissement.
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