Entre les féminismes et les réseaux sociaux, c’est « une histoire d’amour ouvrant tous les possibles, une histoire de vies sauvées, mais aussi une histoire de haine » qui s’écrit. C’est en tout cas ce que pense Elvire Duvelle-Charles, la créatrice du compte Instagram @clitrevolution, dans son livre Féminisme et réseaux sociaux paru cette année (Hors d’atteinte).
On se souvient des balbutiements du féminisme version réseaux sociaux, du compte Tumblr « Paye ta shneck » par exemple, qui rassemblait les témoignages de harcèlement de rue. Sur Instagram, où se sont depuis déplacées les cyber-féministes, de nombreux comptes liés à la sexualité et/ou à l’éducation sexuelle ont vu le jour : @jouissanceclub, @mercibeaucul_ ou encore @jemenbatsleclito.
Toutes ces cyber-activistes ont participé à la visibilisation des idées féministes, permettant à de nombreuses personnes de se reconnaître dans les témoignages d’autres femmes et rendant ainsi accessibles et ludiques des concepts parfois complexes.
Elvire Duvelle-Charles a été l’une des premières françaises à intégrer le mouvement Femen, au sein duquel elle a milité plusieurs années. À la fin de l’année 2017, elle a créé le compte Instagram @clitrevolution, suivi aujourd’hui par plus de 124 000 abonnés.
Niche féministe
Lors de l’entretien qu’elle nous a accordé, Elvire Duvelle-Charles nuance l’importance du féminisme sur les réseaux et son influence sur la société : « Ce sont des bulles algorithmiques, en tant que féministes, on est poussées vers des contenus similaires à ceux qu’on consomme déjà, ce qui donne l’impression que ces contenus sont partout, mais cela reste une niche ». Surtout, elle insiste sur les violences auxquelles sont souvent confrontées les créatrices.
Le constat est partagé par Josiane Jouët, chercheuse et professeure à Paris II, dans son livre Numérique, féminisme et société (Presses des Mines, 2022) :
« La visibilité des féministes sur la toile se heurte à la montée de la haine en ligne ; luttant contre toutes les dominations patriarcales, les féministes sont la cible des misogynes et des courants conservateurs. »
Josiane Jouët.
Et l’ensemble des créatrices de contenu se plaignent en effet du cyberharcèlement qu’elles subissent, des injures sexistes, menaces de viols et autres dickpics qu’elles reçoivent.
Mais la violence misogyne que sont susceptibles de subir les cyber-féministes n’émane pas seulement de quelques individus isolés. Elle peut aussi prendre la forme de censure – directement mise en place par les plateformes elles-mêmes. En 2019, une trentaine de comptes liés à l’éducation sexuelle ou au féminisme ont ainsi été censurés par Instagram. Elvire Duvelle-Charles prend alors conscience que « [son] travail et [ses] espaces de discussions ne tiennent qu’à un fil ».
Sur Internet, les conflits d’idées deviennent de véritables campagnes de harcèlement ciblé
Le féminisme 2.0 a aussi malheureusement donné naissance à un autre type de violence. Ce que constatent Josiane Jouët et Elvire Duvelle-Charles, c’est que les réseaux ont amplifié les conflits entre militantes, les ont rendus plus violents.
Pour comprendre ce phénomène, Elvire Duvelle-Charles explique :
« Il y a deux types de trajectoires possibles, sur les réseaux sociaux. Il y a des personnes comme moi, qui ont commencé par être activistes de rue et qui se sont emparées des réseaux comme un outil pour donner de la visibilité à leurs actions. Et il y a des personnes chez qui #MeToo et la vague d’investissement des réseaux par les féministes a fait naître une vocation, et qui ont commencé en ligne, sans passer par le terrain. C’est une différence notable, parce que les plus véhémentes sont souvent celles qui n’ont en fait pas l’expérience des collectifs hors ligne. »
Elvire Duvelle-Charles.
Car les conflits ont, bien sûr, toujours existé dans les milieux militants, mais ils étaient gérés et modérés par les collectifs. Sur Internet, les échanges sont plus facilement déshumanisés, et les conflits d’idées se changent alors parfois en véritables campagnes de harcèlement ciblé.
Malgré ces constats mitigés, Elvire Duvelle-Charles insiste : « mon propos n’est pas de dire qu’il faut arrêter de militer sur les réseaux, mais qu’il ne faut pas investir seulement ce terrain-là ; il faut investir aussi la culture, l’éducation, la recherche ».
Un peu de féminisme sur les réseaux, donc, pour la visibilité et la démocratisation qu’ils permettent, et beaucoup sur le terrain, dans les associations et dans les collectifs. Car dans ce domaine, comme dans d’autres, les réseaux sont certes utiles, mais la vie est ailleurs…
Photo de Une : Unsplash / Solen Feyissa
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