Il y a quelques temps, nous vous parlions de l’émergence d’un mouvement de « femmes contre le féminisme », des Américaines se revendiquant ouvertement « contre le féminisme ». Un mouvement a priori paradoxal, dès lors que les raisons qu’elles invoquent sont pour beaucoup… des idées féministes.
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La page Facebook des Women Against Feminism (WAF) avoisine aujourd’hui les 19 000 Likes. Signe s’il en fallait que cette tendance n’est pas tout à fait anecdotique.
Beaucoup d’incompréhension et de mépris
Cette page et ces femmes ont suscité beaucoup d’incompréhension de la part de celles et ceux qui se revendiquent ouvertement féministes. Parmi les réactions, il y a surtout eu énormément de mépris à l’encontre de ces personnes, ce que nous déplorions déjà dans notre précédent article.
Un Tumblr « Je n’ai pas besoin du féminisme… (quoique) » tournait en dérision les témoignages des WAF, un autre article les prenait à partie directement en répondant de façon sarcastique à certains messages. Plus récemment, un autre Tumblr de « chats confus contre le féminisme » parodie également leur initiative.
« Je n’ai pas besoin du féminisme car j’ai un corps de rêve et j’ai choisi de l’exhiber ! » Extrait de confused cats against feminism
Ces détournements ne sont pas humoristiques mais moqueurs : les WAF en sont la cible.
En y regardant de plus près, il s’avérait que les WAF avaient moins un problème avec le féminisme qu’avec certaines militantes féministes, et plus précisément avec leurs méthodes, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Les WAF dénonçaient (pour certaines) le mépris et la condescendance qu’elles subissaient de la part de certaines militantes féministes, lorsqu’elles exprimaient leur désaccord avec elles.
Plusieurs femmes témoignent en citant des injonctions reçues, de type « éduquez-vous ! », et rétorquent ne pas apprécier d’être traitées d’ignorantes juste parce qu’elles ont un point de vue différent.
Même si leurs « désaccords » peuvent être parfois uniquement dus à une information insuffisante sur certains sujets, est-il nécessaire de traiter ces femmes d’ignorantes ?
Qu’accomplissons-nous en les méprisant, en leur répondant avec une condescendance qui n’est pas sans rappeler un certain paternalisme ?
Et surtout, à quoi bon se moquer d’elles ? Quitte à investir du temps et de l’énergie dans une réponse, pourquoi ne pas choisir de faire une réponse constructive ?
Nous avions conclu notre décryptage sur cette question :
« Le féminisme a-t-il tellement d’allié•e•s qu’on puisse se permettre de cracher avec mépris sur celles qui en ignorent l’intérêt ou qui n’en ont pas encore compris les enjeux ? »
Les limites de l’intransigeance
La réponse est non, bien sûr. Le féminisme a besoin d’allié•e•s, besoin de convaincre davantage de personnes chaque jour.
Convaincre pour provoquer l’adhésion, cela nécessite d’expliquer les enjeux à celles et ceux qui ne les ont pas encore assimilés, ce qui est loin d’être une chose facile lorsque, toute sa vie durant, on a grandi et évolué « comme une fille » ou « comme un garçon » dans une société patriarcale, c’est à dire une société dans laquelle les rôles sont stéréotypés selon le genre.
Comprendre ces enjeux est un processus d’apprentissage permanent, car ils sont complexes, et tout le monde n’a pas l’expérience de la discrimination, ni des mêmes discriminations. C’est pour cette raison qu’il existe une multitude de mouvements féministes, une multitude de combats féministes qui ne sont pas hiérarchisables.
De fait, certains slogans sont réducteurs, certains combats devraient inclure d’autres oppressions, tout en allant pourtant dans le bon sens : vers l’égalité. S’il ne faut pas cesser d’affiner sans cesse notre sens critique et notre analyse, il ne faut pas pour autant censurer tous les propos imparfaits, tout simplement parce que « le propos parfait » n’est pas nécessairement accessible à tou•te•s.
Ces derniers jours, une bande-dessinée de Muriel Dorou reprise par le Huffington Post a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. C’est une réaction à la tendance des « femmes contre le féminisme » qui explique plutôt bien pourquoi nous avons toujours besoin du féminisme :
Clair, concis, ludique.
Problème : cette bande-dessinée en contient plusieurs. Certains raccourcis glissent vers des écueils déjà dénoncés par ailleurs.
Par exemple, le fait d’associer excision à femme noire et égalité salariale à femme blanche contribue à réduire les femmes noires aux seules problèmes des mutilations génitales, et les femmes blanches aux « problèmes de riches ». La réalité est beaucoup plus complexe.
Mais il s’agit d’une bande-dessinée de vulgarisation d’un mouvement complexe et multiple – le féminisme – il n’est pas surprenant qu’elle comporte des raccourcis. C’est dommage, mais ce n’est pas surprenant.
À partir de ce constat, que faire ? En tant que militante en possession du savoir qui me permet de voir et de dénoncer les écueils, je condamne ou je partage ?
Anne-Charlotte Husson s’est confrontée à ce dilemme. Elle a fait part de ses propres réserves sur la BD, tout en reconnaissant ses vertus pédagogiques. Elle conclut en retournant la question à ses lecteurs/rices :
« Je suis complètement d’accord avec toutes ces critiques. Je n’ai pourtant pas forcément envie de les soulever auprès de toutes les personnes qui connaissent mal le féminisme et partagent cette BD.
Cela nécessiterait une discussion patiente, des références, un vrai dialogue, qu’il n’est pas toujours facile d’avoir via internet. Donc je m’abstiens; c’est peut-être de la lâcheté.
Qu’en pensez-vous? »
La discussion qui s’est engagée dans les commentaires est des plus intéressantes : plusieurs personnes font part de leurs réserves vis-à-vis de certains points de la BD, mais reconnaissent néanmoins que son message est facilement accessible, y compris par les « novices », tou•te•s celles et ceux qui ne sont pas ou peu sensibilisés au féminisme. En voici quelques extraits :
« J’ai justement partagé ce post ce matin, après m’être posé les mêmes questions. […] j’ai partagé quand même l’article sur Facenook, car comme tu le dis dans l’article, certains de mes contacts ne sont pas vraiment versés dans le féminisme, ou le sont un peu mais ont étrangement succombé à ce mouvement étrange « on n’a pas besoin du féminisme ».
Et il faut dire qu’une BD parlant un peu féminisme sera toujours plus lue qu’un article très fouillé sur le sujet, malheureusement. J’ai dans l’idée que ça peut au minimum susciter une première réflexion, et éventuellement un échange ensuite. Et cet article a au moins l’avantage de rappeler que non, tout n’est pas réglé en terme de droit des femmes, si ça peut faire réagir… »
« Pour ma part je n’ai pas eu envie de partager la BD parce que j’étais effectivement assez dérangée par les mêmes choses que toi. Cependant, après moult hésitations, j’ai quand même « liké » quand des personnes de mon entourage, habituellement peu intéressées par les questions féministes, l’ont diffusée.
J’avais plus envie de les encourager pour la direction générale du truc, pour oser s’afficher publiquement comme féministe, que d’être dans la critique. Il ne faut pas oublier que certaines personnes partent de très loin et que c’est déjà un premier pas non négligeable que de s’interroger sur le féminisme.
Ce que je trouve vraiment important c’est que cette BD, malgré ses défauts, s’emploie avec ardeur à redorer le mot « féminisme » auprès d’un large public, et, vraiment, on en a besoin, il faut que ça devienne quelques chose de plus facile à dire, de plus commun.
Le féminisme a besoin d’une réflexion pointue et éduquée et militante, mais il me semble qu’il a aussi besoin d’une bonne dose de vulgarisation et qu’on en manque cruellement. »
« On pourrait peut-être résoudre cette tension entre intransigeance et pédagogie en se disant que d’une certaine manière le féminisme c’est un peu comme n’importe quel autre domaine, mathématiques, programmation, sciences sociales, etc. : il y a des choses à apprendre dans un certain ordre car telle idée avancée se construit sur telle idée plus facile à saisir.
On pourrait dire que la BD c’est le niveau de base, on suppose que la personne en face ne connaît rien au féminisme et qu’il faut commencer par lui expliquer ce que ce n’est pas, et cette explication doit forcément s’appuyer sur les catégories et idées dont elle dispose déjà pour être comprise, d’où l’usage nécessaire de simplifications.
Si les quelques idées exprimées dans cette BD passent, c’est une base pour aller un peu plus loin et revenir sur ce qui passait avant pour des détails. »
– Poursuivre la lecture des commentaires.
Vers une approche pédagogique du militantisme
Certes, faire preuve de pédagogie, reprendre sans cesse « du début » à chaque fois qu’on se voit opposer un argument figurant au bingo du féminisme peut être éreintant, surtout quand on subit soi-même la discrimination au quotidien.
Et la tentation est grande de répondre à un argument « bingo » de type « mais tous les hommes ne sont pas mauvais ! » par un mème ou un gif qui roule des yeux.
Mais ces réactions ne font pas avancer la cause. Renvoyer une personne à son ignorance ou lui répondre avec mépris (comme si elle n’était pas capable de comprendre, comme si elle était nécessairement responsable de son ignorance, ce qui n’est pas le cas de tout le monde), ces comportements sont contre-productifs.
C’est pourquoi, dans les colonnes de madmoiZelle, nous nous efforçons de rester sur une ligne féministe « accessible à tou•te•s ». Cette démarche implique de toujours renvoyer vers les mêmes articles de synthèses et d’introduction à un concept, comme le harcèlement de rue, le slut shaming et la culture du viol.
Elle implique de décrypter les problématiques avec pédagogie, en restant près des expériences et des réalités des jeunes femmes françaises. Elle implique, souvent, de passer à côté de problématiques trop difficiles à vulgariser, ou trop délicates à traiter par notre équipe.
Elle implique, souvent, d’essuyer les critiques de certaines de ces militantes expérimentées, mieux informées, plus spécialistes, dont nous suivons les publications avec intérêt.
Mais si cette réflexion nouvelle autour des limites de l’intransigeance peut nous permettre à tou•te•s de continuer à rendre le féminisme accessible à davantage de personnes encore, et par conséquent de faire grossir les rangs des allié•e•s du féminisme, on ne peut que s’en réjouir.
Je suis entrée dans le féminisme par la lutte contre le harcèlement de rue et l’égalité professionnelle, j’y ai depuis découvert de nombreuses ramifications et ai pu élargir mon investissement, que je m’efforce de rendre accessible au plus grand nombre.
Lorsque je réponds à des « novices » sur les réseaux sociaux, je n’oublie pas que j’ai été un jour de celles qui se revendiquent aujourd’hui « pas féministe, mais pour l’égalité », et je m’arme de patience. Parce que le sceptique d’aujourd’hui peut être l’allié•e de demain.
Et toi, comment réagis-tu face à des « novices » ? As-tu déjà perdu patience avec un interlocuteur au sujet du féminisme ? As-tu déjà été prise à partie, ou reprise publiquement sur tes propos par d’autres militant•e•s ? Comment ton féminisme a-t-il évolué au fil de ces expériences ?
Nos articles d’introduction au féminisme :
- Déclic féministe : les madmoiZelles racontent
- Comment le féminisme a changé mon rapport à la pop culture
- Messieurs, l’égalité entre les femmes et les hommes ne se fera pas sans vous
- Je veux comprendre… le slut shaming
- Je veux comprendre… la culture du viol
- Le harcèlement de rue, cette épuisante banalité
- Le sexisme ordinaire dans la cour de récré – Témoignage
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