Mercredi 27 décembre, la chronique de Nadia Daam sur Europe 1 commençait par l’énonciation de ce chiffre :
« 64% des Français interrogés par Harris Interactive affirment que les féministes en font trop, ce qui est surprenant vu que le mot « féminisme » a été sacré mot de l’année 2017 »
Personnellement, je n’ai pas été surprise, mais peut-être plutôt déçue, agacée, irritée. Et puis, c’est quoi « en faire trop » ? Nadia Daam explique cela en reprenant certains arguments, tellement réitérés que j’en suis lasse.
« Bientôt on ne va plus pouvoir draguer, c’est la culture française qu’on assassine »
Est-ce qu’on l’assassine de la même manière qu’on fait courir un péril mortel à la langue française avec l’écriture inclusive ?
Comment le féminisme a marqué 2017, la chronique de Nadia Daam
Les arguments repris par la chroniqueuse ne s’arrêtent pas là, et elle en vient rapidement à cette idée selon laquelle les féministes mènent de « faux combats ». La journaliste y répond avec une pédagogie teintée de sarcasme :
« Rassurez-vous, on peut être contre la lapidation des femmes adultères en Arabie Saoudite et contre les inégalités de salaire en même temps ; je suis par exemple pour l’écriture inclusive et contre les gens qui se déplacent en Segway […]. Les combats ne s’annulent pas. »
Elle s’empresse également de rappeler :
« Le féminisme n’est pas contre les hommes, ce n’est pas un gros mot, ce n’est pas une menace. »
À lire aussi : Messieurs, l’égalité hommes-femmes ne se fera pas sans vous
Guillaume Meurice revient sur #BalanceTonPorc dans sa chronique France Inter
C’est vrai qu’en cette fin 2017, le féminisme s’invite de plus en plus dans les médias. Entre #MyHarveyWeinstein, #BalanceTonPorc, #MeToo, les débats sur l’écriture inclusive, tout ceci peut donner l’impression qu’on ne parle que de ça.
Mais il ne faudrait pas confondre la popularité médiatique d’un sujet, avec sa progression dans les consciences. En d’autres termes, c’est pas parce qu’on entend parler d’égalité hommes-femmes dans les matinales des radios nationales que ça y est, c’est gagné.
J’en veux pour exemple cette chronique de Guillaume Meurice, diffusée le mois dernier sur France Inter. Le mois dernier, pas le siècle dernier, donc.
L’humoriste avait choisi pour sujet la libération de la parole des femmes.
Comme il en a l’habitude, il a tendu le micro aux Français et Françaises, et a compilé les meilleures (non) réactions.
Taquin, Guillaume Meurice a débattu avec un premier citoyen du hashtag #BalanceTonPorc, citoyen visiblement effrayé par les mots employés.
« Le Balance ton Porc je trouve que c’est un peu excessif […] j’aurais préféré quelque chose de plus soft… [Le mot balance] c’est ce qui me fait peur […], ça réveille des mauvais souvenirs, ça existait en France au cours de la dernière guerre. »
Après avoir proposé avec son habituel humour le hashtag #RévèleTonHommeQuiADeMauvaisComportements, le chroniqueur a demandé en toute ingénuité si l’on pouvait comparer des communistes, des juifs ou des résistants à des harceleurs.
Mais l’homme interviewé ne semble pas convaincu :
« En gros ça légalise la délation je trouve. »
Et Guillaume Meurice d’ajouter :
« Alors ça je respecte, mais alors s’il se fait mettre des mains au cul et rouler des pelles de force par un mec, j’espère qu’il prendra sur lui et qu’il dénoncera pas, pour pas légaliser la délation. »
Dans la suite de la chronique, une femme reprend l’argument évoqué par Nadia Daam :
« — Chaque fois qu’un homme fait un compliment, il risque de passer sa vie en prison […], bien sûr, si on vous met une grosse tape sur les fesses…
— Et une petite tape sur les fesses ?
— Une petite tape sur les fesses, ça peut être un clin d’œil amusant sans que ce soit agressif. »
Ah. On n’a donc pas la même définition du consentement, elle et moi
Je vous passe la suite, parce qu’elle fait un lien entre l’homosexualité des hommes et le respect du consentement des femmes, et là, je l’avoue, elle m’a perdue.
Ou peut-être que je préfère ne pas comprendre (c’est certainement ça).
Quand j’essaie de comprendre les liens faits par cette femme
Les féministes en font-elles trop ? Pas sûr !
Pas sûr que les féministes en fassent trop, tant il apparaît nécessaire de répéter les mêmes évidences. Elles ne sont visiblement pas encore ancrées dans toutes les consciences.
Alors oui, il reste du boulot pour l’année à venir.
Les mentalités n’évoluent pas en un an, même si des lois passent, même si des associations se mobilisent, même si la parole se libère.
Mais attends, t’as pas remarqué un truc ? Moi non plus, j’avais pas vu au début, tellement l’absurdité de certains propos me faisait rire jaune.
À lire aussi : Ma colère face au sexisme et moi, de la noyade à la délivrance
Voilà ce qui a changé : en moins d’un mois, deux médias à grande audience ont abordé des sujets liés au féminisme, et ce ne sont que deux chroniques parmi d’autres. Ces thèmes sont de plus en plus traités, mais sont surtout traités d’une autre manière.
Aujourd’hui dans les médias, une femme et un homme peuvent parler sexisme avec humour.
Ça faisait longtemps que c’était le cas, la différence, c’est qu’à présent, ce n’est plus de nous qu’on rit.
À lire aussi : Le rap de Vin’s sur #MeToo, sans pincettes et sans patience pour les relou
Si le terme féministe provoque encore des réactions parfois mitigées, dans de plus en plus des médias, on a cessé de se moquer des féministes et plus encore des femmes.
Aujourd’hui, ce sont les propos sexistes qui sont vus comme une aberration, comme absurdes et ridicules.
En 2018, ce ne seront plus les féministes qui en feront trop, mais les sexistes, et ça, c’est une belle manière de commencer l’année.
À lire aussi : #MyHarveyWeinstein, #balancetonporc : « le monde change », et il était temps
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires