Dans cet article, nous utiliserons les termes « non-binaire lesbienne ». Bien que l’expérience lesbienne soit souvent définie comme « une femme avec une femme », la réalité est plus complexe : pour de multiples raisons, certaines personnes ne s’identifient pas à la binarité du genre, mais se reconnaissent dans l’orientation sexuelle lesbienne !
Pour en savoir plus : Les lesbiennes non binaires ont toujours existé, un article passionnant.
Nous utiliserons aussi le pronom neutre « iel » pour désigner Mae Martin, la personne non-binaire en question.
En tant que lesbienne, il y a des moments où j’en ai ma claque des séries censées parler de moi.
Je sais, je ne devrais pas dire ça, on nous voit tellement peu qu’une représentation de temps en temps, ça peut faire du bien. Mais ça ne vise pas toujours juste, et souvent je m’ennuie devant !
Ma réticence face aux séries lesbiennes vient essentiellement de mon expérience avec The L Word. J’y suis pourtant attachée, c’est ma madeleine de Proust à moi… mais je n’ai de cesse de critiquer cette représentation de femmes riches, toutes très belles qui habitent à Los Angeles et dont les (pré)occupations sont souvent loin des miennes.
Bien que nous ayons eu droit depuis à quelques très beaux essais et exploits représentatifs (le couple de femmes dans Sense8, les adolescentes dans Sex Education, la lesbienne âgée dans Work In Progress ou le très tordu, mais délectable Killing Eve pour ne citer que celles-ci), mon impression générale reste mitigée face à des personnages lesbiens soit très sexualisés, soit très lisses, et qui ne font pas de vagues.
Feel Good, la « série lesbienne » qui a su me convaincre
Je reste donc toujours sur mes gardes lorsque je lance une série estampillée « lesbienne » (ou plus largement LGBTI+). Alors quand j’ai vu les images promo de Feel Good, j’ai soupiré et roulé des yeux…
Ni l’affiche ni le pitch ne m’enchantaient, mais finalement ce qui me décide à presser le bouton play, c’est l’apparence de Mae Martin, qui a créé la série et y joue presque son propre rôle. C’est une petite butch (« une femme qui utilise l’espace et l’occupe d’une façon que l’on pourrait qualifier de masculine », comme le définit une femme butch dans un documentaire), certes blanche et normée… mais sur Netflix, il est vrai que des butches je n’en croise que trop rarement, voire jamais, alors je me laisse tenter !
Très bien reçue par les critiques de façon générale pour ses qualités d’humour noir et grinçant, Feel Good fait cependant débat dans mon entourage majoritairement lesbien. Effectivement, tout n’est pas parfait dans cette série, mais elle laisse poindre quelque chose d’intéressant dans les modes de représentations lesbiennes : une personne non-binaire et masculine, en couple lesbien, se battant pour sa sobriété tout en naviguant entre ses problèmes familiaux et l’homophobie quotidienne.
Sponsorisé
« Le poids de la normativité sur les corps et les vies lesbiennes »
Ici, pas de misérabilisme ou de personnage tronqué : Mae est multi-traumatisé.e, mais iel navigue comme iel peut.
À la manière de la dernière et sublime saison de Master of None (entièrement centrée sur un couple butch/fem formé par deux Afro-Américaines qui n’arrivent plus à vivre dans le mariage) la série de Mae Martin recentre son sujet lesbien autour de la question du poids de la normativité sur les corps et les vies lesbiennes.
J’ai été frappée — d’abord négativement — par la présence romantique des hommes dans la vie de Mae. Dans son rapport aux mecs, pour lesquels iel admet encore une forme d’attirance, Mae cherche avant tout une façon de prouver sa valeur. Sous cet angle, les références récurrentes à ses relations passées avec des hommes transparaissent non plus comme de simples relations amoureuses, mais bien comme une éducation coercitive à la validation masculine.
S’installe alors une forme de compétition : dans la société patriarcale, les couples lesbiens sont soumis non seulement au regard fétichisant des hommes cishétéro, mais également à une comparaison incessante avec eux. Mae n’y échappe pas. L’auteur.e en parle d’ailleurs à demi-mots, de ce sentiment d’infériorité :
« C’est une oeuvre de fiction, mais qui porte en elle une vérité émotionnelle basée sur des expériences vécues. Je suis sorti.e avec beaucoup de filles qui n’avaient jamais été avec une autre femme avant. C’est une dynamique romantique, mais aussi douloureuse. »
C’est cette complexité qui permet de lire Feel Good non pas comme une simple série montrant une vie romantique lesbienne, mais une création permettant de voir les côtés un peu plus sombres de nos parcours. Car la réussite de la série réside essentiellement dans le fait de parler de sexualité, non pas de façon triviale ou comme d’une « préférence », mais comme le produit d’une série de conditionnements, de rapport de pouvoir ainsi que des multiples obligations à l’hétéronormativité.
Même si elle s’avère imparfaite par moments, Feel Good s’éloigne des séries « à thème homosexuel » souvent superficielles, en incluant enfin le lesbianisme dans une construction diégétique plus complexe et finalement plus politique que le pitch ne le laisse imaginer. Et c’est, en soi, une petite prouesse.
À lire aussi : Yann Gonzalez : « Quand on crée un personnage de cinéma, il est pansexuel »
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Ah bien sûr Après, ça ne serait pas la première fois que les traducteurs français passent à la trappe une non-binarité (Coucou She-ra et Double Trouble), pour ça que je préférais savoir si ses pronoms sont respectés tout le long