Dans notre toute nouvelle rubrique, Débats de parc, on fait le point sur les grands débats de la petite enfance, si clivants !
Comme souvent en ce qui concerne l’éducation, d’anciennes manières de faire côtoient de nouvelles pratiques. Et quand on est jeunes parents, on hésite à reproduire ce qu’on a connu ou prendre en compte les recommandations toutes récentes… On peut être un peu paumées et finir avec un gloubi-boulga un peu étrange et pas très cohérent.
Quand on pense qu’à l’école, il n’y a pas si longtemps, les enfants devaient présenter leurs doigts pour recevoir un coup de règle dessus en guise de punition ! Les châtiments corporels font partie d’une époque bien cruelle envers les enfants. Dans la génération de nos parents, les mises au coin et autres fessées faisaient souvent partie du quotidien et n’étaient pas remises en question.
Heureusement, de nos jours, des voix s’élèvent contre les violences éducatives ordinaires (VEO) et c’est une très bonne chose !
Selon la définition donnée par l’association Stop VEO, il s’agit de :
« La violence (physique, psychologique ou verbale) utilisée envers les enfants au prétexte de leur éducation (corrections, punitions), communément admise et tolérée (“ordinaire”). Plus simplement : claque, fessée, tape, mais aussi menace, humiliation, chantage affectif… »
On comprend depuis peu, en France, qu’un autoritarisme triomphant est une conception éducative qui a fait son temps. L’enfant doit être considéré avec bienveillance et non comme un animal à dresser ou comme un sous-fifre à qui l’on peut donner des ordres.
Mais une fois de plus, beaucoup d’idées contradictoires nous sont proposées… et on est un peu perdues ! C’est, de plus, un débat très sensible car beaucoup de personnes considèrent que la punition est par essence maltraitante. Les parents peuvent être pris entre deux feux, entre une éducation classique et une éducation dite positive. Ces deux conceptions ne sont pas antithétiques : il existe un éventail de pratiques.
On a donc invoqué deux spécialistes de l’éducation pour nous aider à y voir un peu plus clair, à savoir Marie Chetrit, docteure en sciences, qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante et Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques.
Quelles punitions ?
Pour commencer : de quoi s’agit-il lorsqu’on parle de punition ?
Soyons claires, certaines punitions ne sont, à nos yeux, plus une débat. On ne frappe pas un enfant — c’est maintenant même inscrit dans la loi. Les gifles, les claques, les fessées… ce ne sont pas des méthodes d’éducation mais bien de la violence. Et ce n’est pas anodin, ça a une incidence sur le psychisme en construction de l’enfant !
De la même manière, il est clair qu’il est néfaste d’humilier son môme par des paroles et de lui hurler dessus pour passer ses nerfs.
Avant d’en arriver à ces extrémités, mieux vaut passer le relai à quelqu’un ou tenter de mettre un terme à la crise d’une autre manière. Évidemment, quand les esprits commencent à s’échauffer, que les enfants deviennent ingérables, il est tentant de s’énerver… Mais ce ne serait pas le plus efficace : le mieux serait d’essayer de garder son calme, d’expliquer pourquoi il ne faut pas faire telle ou telle chose.
Et si rien ne fonctionne, sanctionner, oui, mais de manière appropriée.
Expliquer ou punir ?
On peut essayer d’aider l’enfant à exprimer ses émotions, comme la colère, par exemple. Ou chercher à susciter son empathie !
Le média Slate nous décrivait un processus en 4 étapes pour réussir à susciter de l’empathie chez un gosse qui en frappe un autre par exemple :
- Amener l’enfant à comprendre ses émotions…
- …et à réfléchir ce que ressent l’autre enfant,
- Questionner l’enfant qui a mal agi sur la réaction de l’autre
- L’inviter à trouver comment soulager la peine de l’autre.
Pour Marie Chetrit, lors de crises, ou lorsque l’enfant ne respecte pas une consigne après plusieurs avertissements, il est nécessaire de sanctionner. Elle utilise notamment la méthode du « time-out », soit l’exclusion temporaire, utilisable à partir de deux ans, lorsque le fautif est apte à comprendre le principe de la transgression. Elle nous explique :
« Je leur demande d’aller dans leur chambre ou dans la nôtre, avec un livre, pour qu’ils se calment, quelques minutes ou plus, et après ils reprennent leurs activités. »
Pour elle, la sanction doit être adaptée au caractère et à la personnalité de l’enfant. Elle propose une autre méthode « à l’ancienne », qui consiste à leur faire faire des lignes :
« Le but, ce n’est pas vraiment de punir, mais de les obliger à se concentrer sur des gestes assez précis et de casser l’excitation. Il le font avec plaisir et au bout de 10 lignes, ils recommencer à aller jouer. »
Notez que si l’on prive un môme de quelque chose « trop tard », ça n’a pas de sens. Pour Marie Chetrit, la sanction doit être faite dans l’instant car autrement, « ça devient injuste pour lui : l’enfant n’a pas la capacité à se projeter dans le temps ».
Pour Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives, qui s’exprimait dans le podcast The Parents Show, on peut en effet se contenter de punitions très peu sévères, qui sont tout aussi efficaces, comme un isolement court. Les punitions trop strictes peuvent « engendrer des effets pervers, du ressentiment, une rébellion : il faut amener l’enfant à faire les choses de manière volontaire, sans que ça fasse l’objet de brimades ».
Essayer de garder son calme et chercher à comprendre
Pour Héloïse Junier, la punition se fait dans une situation de colère de l’adulte, et cela entraîne des émotions aussi chez l’enfant, qui auraient un impact négatif. Cela susciterait chez lui « une émotion de colère, de peur, de honte. »
Franck Ramus préconise d’essayer de comprendre pourquoi le môme ne veut pas faire quelque chose et de trouver des astuces. Il conseille aussi de valoriser les bons comportements :
« Il faut l’aider, l’entraîner et le récompenser pour les nouveaux comportements à acquérir. »
Selon Héloïse Junier aussi, il faut essayer de voir l’enfant comme un partenaire, plutôt que de lui imposer un cadre de manière trop frontale.
Des cas pratiques : bagarre et dangers
Une bagarre entre enfants
Prenons un exemple très fréquent : une petite fille tape son frère, comment agir ?
Pour Héloïse Junier, si un enfant frappe un autre, c’est qu’il est déjà stressé, en état d’alerte.
« Si on ajoute du stress en lui criant dessus, ça va venir amplifier le stress de l’enfant et augmenter la probabilité qu’il tape à nouveau sur l’autre en se mettant en colère encore plus.
En lui apportant de l’empathie et de la tendresse, on diminue son niveau de stress et la probabilité qu’il recommence. »
Ce n’est pas toujours facile de garder son calme dans ce genre de situations, mais on comprend l’intention de cette démarche.
Un enfant traverse la rue sans regarder
Si l’enfant va sur la route et se met en danger, la réaction spontanée du parent, régie par la peur, sera de lui hurler dessus. Pour Héloïse Junier, il faut plutôt lui exprimer l’interdit et lui dire ce que l’on a ressenti. Il faut essayer de manifester sa peur plutôt que sa colère.
« La colère de l’adulte n’a pas de vertu psychologique. »
Cela peut paraître paradoxal et va plutôt à l’encontre de ce que l’on aurait tendance à faire, sans doute par habitude.
Mais il se peut que l’on ne parvienne pas du tout à gérer la situation… et que des dangers se présentent. On aura alors envie de marquer le coup ou de mettre fin à la situation par une punition. Quelle en est son efficacité ?
Quelle efficacité pour la punition ?
Pour Héloïse Junier et Marie Chetrit, les punitions n’ont pas de véritable valeur éducative. Selon la seconde, la sanction permet de gérer une situation, et sa nécessité dépend notamment du caractère de l’enfant et de son âge :
« Il y a des enfants qui vont être beaucoup dans la compréhension, dans l’empathie, réceptifs à ce qu’on leur explique et donc modifient leur comportement, et d’autres qui ne sont pas réceptifs au raisonnement. »
Pour elle, l’utilité de la sanction est de faire redescendre l’excitation :
« Quand un enfant est très énervé, c’est compliqué à gérer en tant que parent ; la sanction se justifie dans le but de faire retrouver son calme à l’enfant. »
Cela permet de gérer des débordements au quotidien et des comportements problématiques. Elle précise :
« La communication est importante mais parfois elle ne suffit pas, en particulier quand on a une fratrie ! »
On peut aussi être un parent seul avec plusieurs gosses ayant des besoins différents et dans ce cas des règles s’imposent.
Selon Franck Ramus, il faut entraîner l’enfant à avoir de bons comportements, lui accorder de l’attention. La question qu’il se pose est comment être bienveillant tout en étant efficace et arriver à contenir les comportements perturbateurs. Le « renforcement positif » fonctionne beaucoup mieux car on ancre des bons comportements durablement :
« Les nombreuses recherches scientifiques sur le sujet disent qu’utiliser les punitions en priorité n’est pas très efficace et a pas mal d’inconvénients. […] Ce qui fonctionne mieux est d’utiliser les récompenses.
On ne peut pas se passer complètement des punitions, ce serait une utopie mais on peut essayer de les limiter, en minimisant les effets pervers et en utilisant d’autres leviers. »
Sans agiter une carotte en permanence devant l’enfant, on peut donc l’encourager, le féliciter et le récompenser lors de réussites.
Des injonctions assez culpabilisantes…
L’éducation doit être bienveillante pour les enfants mais aussi pour les parents. Ces derniers, qui ne veulent pas punir, peuvent être paralysés et se retrouver très vite dépassés par les comportements de leur progéniture ! Pour Marie Chetrit :
« Beaucoup de mamans et de papas ont l’impression qu’ils vont cramer le cerveau de leur enfant en les punissant, et compromettre leur avenir. Cela n’a pas de base scientifique. »
En effet, certaines personnes adeptes d’une éducation positive radicale avancent que le cerveau de l’enfant est abîmé par les punitions, mais selon Franck Ramus, « c’est tout à fait excessif de dire cela : il n’y a aucune preuve neuro-scientifique d’un impact durable et négatif sur le cerveau ».
Sanctions, VEO et maltraitances
Il faut donc faire la part des choses entre des sanctions minimes, expliquées, courtes et immédiates et des violences envers les enfants, encore trop banalisées. L’important semble de garder en tête les bonnes pratiques, en réfléchissant notamment à leur efficacité. On doit aussi garder en tête ce que l’enfant est en capacité de comprendre.
Dans cette campagne contre les VEO, un petit garçon qui dessine sur les murs aurait déclenché l’ire et la violence de son père s’il n’avait pas eu le physique d’un… viking ! Car les enfants constituent, rappelons-le, une population vulnérable que l’on ne traiterait sans doute pas de la même manière s’ils avaient plus de force physique.
Dans une chronique du Monde, le journaliste Nicolas Santolaria imagine une rébellion des enfants :
« N’ayant pas la force physique de se défendre, les enfants n’ont pas non plus la capacité de se constituer en groupe de pression contestataire. Imaginez pourtant la portée qu’aurait un #metoo des enfants. »
En dehors de la maltraitance physique, qui a fortement augmenté pendant le confinement, et dont il serait temps de se préoccuper plus sérieusement encore, des violences psychologiques sont aussi dénoncées, comme le fait d’humilier, de rabaisser, d’instaurer un climat de peur… Ces actes peuvent détruire la confiance en soi durablement.
En ayant conscience de toute cela, comment agir dans le cadre de sa famille ?
Que faire à titre individuel ?
Pour résumer, tentons de faire preuve de nuance et de discernement : l’explication et la discussion seront toujours mieux et plus bénéfiques qu’une sanction arbitraire, souvent incomprise pour l’enfant.
Le calme et la bienveillance sont préconisés chez les parents, mais en sanctionnant, on ne force pas non plus les enfants à nous obéir de manière injuste : on les invite à respecter des règles de vie en société (même dans le cadre de la famille) auxquelles tout le monde est également soumis ! Marie Chetrit l’écrit dans son livre :
« La famille n’est rien d’autre qu’une microsociété : on saisit mal pourquoi l’enfant ne serait pas sanctionné quand son comportement, dans le cadre familial, ne respecte pas les autres – dans la mesure où l’enfant est en âge de comprendre la notion de respect des autres, bien sûr. »
Certaines situations sont plus complexes que d’autres : il est parfois nécessaire d’éloigner un peu un petit de l’agitation pour qu’il retrouve son calme, en lui expliquant. Dans certains cas, il est très difficile de rester sereine et serein, de faire preuve de douceur, et il vaut mieux ne pas se flageller pour ça : une voix qui monte en puissance, cela montre aussi aux enfants que nous sommes humaines et humains, comme eux.
Si certains comportements sont inacceptables et condamnables, la plupart des autres relèvent des choix et des convictions personnelles. Faisons donc de notre mieux, sans jamais lever la main ni humilier volontairement !
Image en une : © Canva/Getty Images
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Les Commentaires
Il m'est arrivé de pratiquer des VEO, j'ai énormément culpabilisé et ressenti du chagrin pour mon petit garçon parce que je l'aime plus que tout.
Dans un contexte de stress intense et de bruit, ce genre de choses peut arriver.
Plutôt que de diaboliser les mères qui ont fait cette connerie une ou plusieurs fois, ce serait cool de libérer la parole à ce niveau.
Si on se contente de dire "beurk les VEO c'est caca" (ce qui est vrai) et de faire comme si personne n'en avait jamais fait, avant de passer au sujet suivant, ben peut-être qu'on parlerait des choses vraiment importantes.
Parce-que bon, punir or not punir, chacun.e fait ce qu'elle ou il peut en fonction de la personnalité de l'enfant, l'acte commis et notre état de fatigue. C'est moins grave.
À quand un article intitulé "j'ai été autrice de VEO, je m'en veux, I need some help"? Sans langue de bois et sans mêmes culpabilisants.