Dans notre rubrique Débats de parc on fait le point sur les grands débats de la petite enfance, parfois si clivants.
À lire aussi : Les enfants passent (beaucoup) trop de temps devant les écrans, selon une étude alarmante
Beaucoup d’adultes aujourd’hui disent avoir été élevés en partie par la télévision. Et ils ne sont maintenant pas totalement décérébrés… J’ai personnellement vu tout dans leur intégralité beaucoup de série des années 1990 en étant enfant, comme Docteur Quinn, femme médecin et La Petite Maison dans la prairie à la pause déjeuner ou Les Dessous de Palm Beach et Berverly Hills en sortant de l’école (que de la qualité, qui plus est !). Et je ne suis pas accro à la télévision aujourd’hui. Enfin, si peu…
Maintenant mère, je suis, par contre, tout à fait effrayée par les dangers que peuvent causer les écrans sur les cerveaux frais et malléables de mes jeunes enfants — et je suis loin d’être la seule !
Alors que certains argueront que les enfants savent ce qui est bon pour eux et qu’ils sont capables de s’auto-réguler, d’autres expliqueront que les écrans quels qu’ils soient ne constituent pas un loisir comme les autres et qu’il fondamental d’en réguler la consommation.
De plus en plus de spécialistes de l’enfance tirent la sonnette d’alarme ; la surexposition des enfants a été décrite dans une récente tribune de députés et de personnalités publiée sur Le Monde comme le mal du siècle. Les chiffres sont en effet inquiétants. Par exemple, un tiers des enfants de 0 à 3 ans prend ses repas devant un écran. Entre 3 et 10 ans, un enfant sur quatre passe chaque jour plus de 3 heures sur un écran.
Laisser ses enfants regarder la télévision ou des programmes sur un iPad, est-ce vraiment dangereux ? On fait le point !
On a invoqué deux spécialistes de l’éducation pour nous aider à y voir un peu plus clair, à savoir Marie Chetrit, docteure en sciences qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante et Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques.
Une surexposition dangereuse
Une trop grande exposition aux écrans dès le plus jeune pose des problèmes. L’enfant aurait du mal à conserver son attention sur d’autres objets.
S’il est surexposé, il aura tendance à avoir des difficultés à s’intéresser à des activités qui le stimulent moins, comme l’explique Héloïse Junier à Madmoizelle :
« Ce qu’on voit dans la recherche scientifique, c’est que les écrans surstimulent l’enfant et peuvent freiner le système attentionnel focalisé, c’est-à-dire la capacité d’attention de l’enfant.
Plus l’enfant est exposé à un écran, moins il a la possibilité de muscler son attention volontaire, le fait de se concentrer sur un stimulus qui ne brille pas, qui ne pétille pas, qui ne scintille pas. Ça freine la capacité d’attention. »
La surexposition freine aussi les interactions avec les autres êtres humains, or l’on sait que ce sont ses interactions qui permettent le développement du langage. Héloïse Junier poursuit :
« La qualité du langage de l’enfant s’évalue à la lumière de son environnement humain. Plus il parle à ses parents, plus il parlera bien. Les écrans peuvent être du temps volé à des interactions qui sont précieuses. »
Marie Chetrit abonde dans ce sens. En effet le visionnage d’écran se fait bien souvent au détriment d’autres activités — « de jeux vraiment éducatifs, de la manipulation d’objets, de l’imagination. »
Ce n’est donc pas un loisir comme un autre ! Comment éviter la surexposition et adapter la consommation à l’âge et au moment ?
Une régulation selon l’âge et le moment
À chaque âge, ses utilisations
Pour Marie Chetrit, c’est clair : « Il faut absolument réguler les écrans ! » Les enfants ne vont pas le faire eux-mêmes et cela n’est pas une violence que de les limiter à un épisode ou à une partie de dessin animé.
Héloïse Junier l’affirme également, la surexposition constitue un vrai danger. Il faut donc adapter les règles, le cadre que l’on établit :
« C’est la surexposition le souci. À partir de 6 ans, si on a un environnement stimulant, des activités variées et adaptées, pourquoi ne pas autoriser les écrans une fois par semaine ? Ça ne fera rien du tout. »
Ce qui est dangereux est aussi l’exposition pour les touts-petits, comme la psychologue l’affirme :
« De 0 à 2 ans, l’enfant pose les jalons de son développement cognitif. C’est un âge ultra plastique et vulnérable où il faut les préserver au maximum des écrans.
Après, faire des selfies avec son enfant d’un an et demi, pourquoi pas ! Ce qui est dangereux, c’est l’écran animé où l’enfant est seul devant, ou une appli mobile de laquelle l’enfant a du mal à décrocher. »
Pour Marie Chetrit, il faut également prendre en compte la personnalité de l’enfant :
« Tous les enfants n’ont pas la même attirance pour les écrans. Tous ne sont pas égaux, certains peuvent se détacher alors que c’est beaucoup plus difficile pour d’autres. »
Il faut donc prendre en compte la capacité de l’enfant à se réguler lui-même. Pour ceux qui n’y parviennent pas, des règles sont nécessaires.
Serge Tisseron, psychiatre, dans son livre Apprendre les écrans et grandir, explique la règle 3-6-9-12, qu’il a mise au point : pas de télévision avant 3 ans, pas de console de jeux avant 6 ans, accès à Internet à partir de 9 ans, pas de réseaux sociaux avant 12 ans. Ces étapes nécessitent bien sûr un accompagnement.
Des moments de la journée à proscrire
Il faut aussi prendre en compte les moments de la journée. Le soir n’est pas un moment recommandé pour le visionnage d’écran, comme nous l’explique Héloïse Junier :
« Si l’exposition aux écrans se fait avant de dormir, on sait que cela va venir freiner la production de mélatonine — l’hormone qui favorise l’endormissement. »
Le matin, avant d’aller à l’école, non plus :
« Et le matin, si l’enfant regarde un écran avant d’aller à l’école, il va vider sa batterie d’attention, de concentration donc il a plus de risque d’être agité. À l’école, il faut se concentrer sur l’apprentissage, sinon on patine. »
Les repas ne sont pas du tout des moments adaptés non plus. Marie Chetrit nous l’explique :
« Quand le visionnage des écrans se fait pendant les repas, ça prend la place de la conversation avec les parents. Du coup, ça a un impact sur le langage des enfants. »
Il y a donc pas mal de moments où les écrans sont déconseillés pour les enfants et l’on comprend maintenant pourquoi. Il nous reste tout de même le week-end !
Si cela est possible, le visionnage doit toujours être accompagné par un adulte. Marie Chetrit le confirme :
« Regarder un film en famille, ce n’est pas du tout la même chose que mettre son enfant devant une série. On est ensemble, on peut échanger ! »
Ce sont de plus des moments agréables pour tout le monde.
Quels types de contenus favoriser ?
En fonction du contenu, les effets ne sont pas les mêmes sur les enfants. Marie Chetrit nous le dit :
« Il y a beaucoup de contenus médiocres. Il y a une évolution dans les dessins animés. Dans Blanche-Neige par exemple, il y a cinq plans. Quand on compare avec les dessins animés actuels, c’est un enchaînement de séquences hyper rapides, très rythmées.
Il n’y a plus de contemplation. C’est assez rare. Même si c’est moins ennuyeux pour les enfants, ça pose des questions sur le fait d’alimenter toujours le cerveau avec des péripéties, des rebondissements, des changements. C’est en général saccadé mais il n’y a pas vraiment de scénario. Ça ne raconte pas d’histoire. La qualité du contenu compte beaucoup. »
Et ça ne date pas d’hier : le pourtant pas si récent Télétubbies et ses chansons épileptiques semblent assez bof pour les plus jeunes.
Beaucoup de créations actuelles sont en effet très rythmées, comme le dernier Disney, Encanto, où on voit des explosions de couleurs toutes les cinq minutes — mais il y a au moins une histoire, des personnages variés et de belles valeurs… ce qui n’était pas toujours le cas des Disney d’autant et de leurs histoires de princes charmants sauveurs de princesses !
Bon. C’est bien beau tout ça. Toute cette théorie. Sauf que je vous vois venir, et je vous rejoins : quand on est parents, on a parfois besoin d’un peu de répit. Alors comment faire ?
Les bonnes pratiques pour éloigner les enfants des écrans, et souffler
On comprend bien que laisser ses enfants regarder des dessins animés de temps en temps est assez tentant, car ça laisse aussi aux parents un petit moment de tranquillité, souvent pour faire des choses qu’ils ont du mal à faire avec eux, comme la cuisine ou le ménage. Ou juste éclater un jeu vidéo au calme.
Mais Héloïse Junier nous explique que cela peut être un cercle vertueux. Moins l’enfant regarde d’écran, plus il peut s’habituer aussi à jouer seul. À nous les petits déjeuners ou les apéros tranquilles !
« Plus on va muscler l’attention de l’enfant, sa capacité d’attention et de concentration, plus il va pouvoir jouer seul longtemps. Idéalement, il faudrait que les parents puissent laisser jouer leur enfant seul, c’est super important pour lui aussi, dans le silence, sans musique de fond. Le laisser muscler son attention volontaire à ce moment-là. Après, il y aura des plages horaires de plus en plus longues où il pourra jouer seul. »
C’est un argument fort pertinent ! D’autant qu’il est de plus en plus fréquent que des parents télétravaillent en devant garder leurs enfants, lorsque l’école est fermée, quand les enfants ont le Covid ou sont en isolement… C’est plus que compliqué de les occuper dans ces situations où il faut être à la fois au four et au moulin.
Par ailleurs, les parents peuvent aussi montrer l’exemple. Si l’on est toujours accroché à son smartphone, il est compliqué de demander à ses petits de réguler leur consommation d’écran. Les enfants ont une faculté d’imitation très forte : c’est ainsi que se font la plupart des apprentissages. Alors autant montrer le chemin à suivre !
Pour résumer : les écrans et les enfants…
Plus l’enfant est jeune, plus il faut le tenir éloigné des écrans. Le plus grand danger est la surexposition. Il est possible de regarder des œuvres à partir de 5-6 ans, le mieux étant de regarder à plusieurs et de commenter ce que l’on voit, d’interagir.
Si cela est possible, il faut éviter que les enfants regardent des écrans avant d’aller à l’école, le soir avant de dormir et pendant les repas. Plus on apprend à un enfant à jouer seul, plus longtemps il pourra le faire, et meilleure sera son attention de façon globale.
Alors oui, vous n’allez pas casser votre enfant si vous lui permettez de regarder la télévision, ça peut même être des moments de gros kif ensemble, mais comme toutes les bonnes choses malheureusement, les écrans sont à consommer avec modération !
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Les Commentaires
Comme l'indique l'article, on ne peut pas comparer les écrans d'hier et d'aujourd'hui:
- les dessins animés ne sont pas de la même qualité
- la télé n'est plus le seul écran. Les jeux vidéos / téléphones / réseaux sociaux impliquent d'autres problèmes d'addiction, de risques de cyberharcèlement également
- les connaissances en la matière ont évolué.
Si je puis me permettre, les remarques du genre "moi j'ai regardé la télé le matin avant l'école étant petite et ça m'a pas tué", me semble relever de la même logique que le "not all men"...
Alors certes, il ne faut pas juger, mais quand je vois une gamine de la crèche à 2 ans, arriver le matin avec le portable de sa mère dans la poussette regarder un clip de Aya Nakamura, ça me fait mal au cœur pour elle... Je ne connais pas leur vie, mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est superflu (dans la poussette dans la rue, elle peut pas juste regarder autour d'elle la petite ?).
Notre fille de 3 ans et demi n'a jamais regardé la télé (nous n'avons pas la télé), ni vu de dessin animé sur l'ordinateur chez nous. Je dis bien "chez nous", car elle a déjà regardé la télé chez ses grands-parents (mais récemment et à très petite dose, et plutôt des émissions par ci par là), et j'ai découvert qu'elle avait vu des dessins animés au périscolaire. Elle a été au cinéma deux fois voir des courts-métrages pour les petits. Ca l'a beaucoup impressionnée.
Elle ne sait clairement pas jouer seule, malgré nos efforts, elle a l'impression que c'est une punition qu'on lui inflige... mais ça tient au fait qu'on l'a jamais tellement habituée à le faire. Alors c'est clair que c'est chiant et que parfois on aimerait juste la coller devant Pat Patrouille et c'est bon. D'autant qu'elle a plutôt une tendance hyperactive, donc on essaie un max de sortir au square plusieurs fois par jour pour ne pas devenir chèvres.