La virilité façon gros beauf
Il y a près d’un mois, des masculinistes américains ont décidé de jouer avec leur propre étron : ils ont eu l’initiative de lancer la Fatshamingweek, autrement dit, la semaine d’humiliation des gros et plus particulièrement des grosses.
L’initiative, passée plutôt inaperçue jusqu’à ce week-end en France, a été lancée par le site Return of Kings qui prône un retour à une idée ma foi bien archaïque de la virilité :
« Return of Kings est un blog pour les hommes hétérosexuels et virils. Il est à destination d’une communauté petite mais affirmée d’hommes américains qui pensent que les hommes doivent être masculins et que les femmes doivent être féminines.
ROK a pour but de conduire au retour de l’homme viril dans un monde où la masculinité est de plus en plus punie et montrée du doigt, afin de créer une société androgyne et politiquement correcte qui permet aux femmes d’affirmer leur supériorité et leur contrôle sur les hommes. Malheureusement, ce qui était hier de la virilité est aujourd’hui de la misogynie. Le site a pour volonté d’être un endroit sécurisé sur Internet pour ces hommes qui n’approuvent pas la direction que prend la culture occidentale. »
Tout un programme, déjà. Le plus chatoyant reste pourtant à venir : Return of Kings rappelle les croyances de la communauté, parmi lesquelles…
- La valeur d’une femme se détermine principalement par sa fertilité et sa beauté. La valeur d’un homme par ses revenus, son intellect et sa personnalité.
- Les hommes ne s’engageront pas dans la monogamie et la reproduction s’ils ne sont pas motivés à le faire.
- Les femmes sont des salopes si elles couchent à droite à gauche, mais pas les hommes. Ces faits sont dus aux différences biologiques entre les hommes et les femmes.
À ce stade, on est tellement en plein dans la caricature qu’il devient difficile de ne pas croire que ce site est une parodie visant à se moquer des masculinistes les plus extrêmes.
Grossophobie et conseils débiles
Quoiqu’il en soit, ces personnes ont semble-t-il très à coeur d’humilier les grosses. En mai dernier, une lettre ouverte aux femmes en surcharge pondérale était ainsi publiée. Et en terme de débilité, ça se place plutôt là (imagine-moi en train de lever mon bras très haut pour bien comprendre ce que je veux dire par là) : grosso modo, Law Dogger, son auteur, s’affaire à nier l’idée que le surpoids n’est pas lié qu’à l’alimentation, puisqu’il déclare après deux longs paragraphes de bave que la seule solution pour ne plus être grosse est de « Cesse[r] de manger autant putain ! ».
Après quoi il s’évertue à donner des « conseils » sur un ton condescendant, prenant l’exemple des Italiennes et Ukrainiennes que l’auteur a rencontrées et de la mannequin avec qui il a vécu : elles étaient minces et se faisaient plaisir en mangeant ce qu’elles aimaient, mais en petites quantités. L’auteur veut donc bien faire rentrer dans la tête de tout le monde qu’il s’agit là du vrai secret minceur. Ok. Soit.
Il parle également de sa copine, qui a un joli corps (selon ses critères) bien qu’elle ne fasse que peu de sport. Son astuce ? « Elle oublie simplement de manger parfois », parce que la nourriture n’est pas une priorité pour elle. Merci, captain obvious : en effet, quand on oublie de se nourrir, on peut avoir tendance à être plus mince que les autres.
Soyons clairs : manger est une priorité pour moi, presque un hobby, ainsi que pour pas mal de personnes de mon entourage et du monde entier. Ça ne veut pas dire qu’on va pour autant s’amuser à juger les gens qui ne sont pas amateurs de mets divers !
Tout ce que ce paragraphe m’a donné envie de faire, c’est de me filmer en train de m’enfiler un burger maison pour envoyer la vidéo à l’auteur. Mais après, j’ai oublié : j’étais trop occupée à rire grassement quand j’ai vu qu’il concluait son papier par la citation de Kate Moss qui dit « Nothing tastes as good as skinny feels ».
Mais, surtout, ce que ces gens n’ont pas l’air de comprendre, c’est… qu’est-ce qu’on peut bien en avoir à foutre, de leurs conseils ? Tout le monde n’a pas forcément envie d’être mince, et tout le monde n’est pas en mesure de l’être. C’est parfois bien plus complexe que ça : il y a les pathologies, ou les troubles du comportement alimentaire, ou que sais-je encore.
La haine décomplexée… qui file des complexes
Quoiqu’il arrive, que ce soit sur le poids, sur le mode de vie, ou autres, ce ne sont pas des inconnus au ton agressif qui réussiront à convaincre du bien-fondé de leurs conseils. Des professionnels, à la limite ; les proches, pourquoi pas. Mais un tel mépris peut rarement avoir d’autres conséquences que de complexer les personnes concernées en les pointant du doigt de la sorte avec autant de mépris.
Cette lettre ouverte tout à fait dispensable n’a apparemment pas suffi aux auteurs du blog Return of Kings : le 10 octobre, Christian McQueen publiait 5 raisons pour lesquelles les grosses ne méritent pas l’amour. Avec des termes et un humour tellement putrides que je m’en épargne la traduction : le simple fait de savoir que, quelque part dans le monde, un homme qui se pose en grand défenseur de la virilité prend le temps d’écrire un torchon pareil et qu’un site le publie suffisent à prouver la gerbance de la chose.
On y trouve aussi de bien bons conseils pour contrôler le régime de sa copine ou 5 façons d’humilier les grosses à un rendez-vous.
Le ton du site est à mon sens trop haineux pour rassembler, ce qui explique le faible nombre de fans Facebook et de followers sur Twitter qu’il cumule. Les réseaux sociaux, en revanche, ont cette capacité à motiver l’humour discriminant. Alors quand ROK a lancé la #FatShamingWeek, le hashtag a eu un succès retentissant sur Twitter. Le site, par le biais de Roosh, avait par ailleurs présenté l’initiative comme un acte presque militant :
« J’ai déjà écrit sur la façon dont le concept de beauté dans le monde occidental était attaqué. Des efforts coordonnés sont faits pour redéfinir la beauté et encourager le poids croissant des femmes américaines fortes et indépendantes. Ces efforts ont du succès, puisque de nombreuses femmes grosses sont en effet fières de leur gras, sans plan pour perdre du poids dans l’immédiat. À part une poignée de sites aux idées divergentes comme 4chan ou Misc, personne ne tente de faire reculer l’acceptation du gras. »
C’est vrai, pardon. On plaide coupable de promouvoir l’idée que tout le monde devrait s’aimer. Et alors clairement, ils ont raison : si tout le monde sauf eux et quelques sites se permettent de pointer du doigt les personnes en surpoids, c’est que le reste du monde est dans le faux. La minorité l’emporte toujours face au bon sens. Et puis alors surtout, n’ouvrez pas les yeux pour voir comme la discrimination est partout dès qu’on s’éloigne un peu trop des canons de beauté actuels…
Longue vie à la #BodyConfidenceWeek !
Évitons de reprendre quelques exemples de tweets estampillés #FatShamingWeek : ils sont puérils, insultants, ridicules de stupidité et donc, inutiles. Si vous voulez en trouver, vous en trouverez.
Préférons donc nous concentrer sur la réponse qui a été lancée, selon Clutchmagonline, par la mannequin body positive britannique Sarah Martindale : le hashtag #BodyConfidenceWeek a été très populaire sur Twitter pendant quelques jours. Les hommes et les femmes de toute silhouette y étaient invités à expliquer pourquoi ils aiment leur corps, balançant en contrepartie de la haine du FatShamingWeek avec une bonne dose d’incitations à l’estime de soi :
Aime la peau dans laquelle tu es — ignore tous les haters. Tu es beau/belle ! Tu n’as qu’un seul corps — chéris le !
Tout ce qui relève de la confiance en soi commence dans sa propre tête. Ne laisse JAMAIS PERSONNE te dire que tu n’es pas assez bien. TU L’ES !
Toutes les semaines devraient être dédiées à la confiance en son corps — prends le temps d’apprendre à connaître et à admirer ton corps. C’est le tien, et il est spécial.
Tu ne gagneras jamais à te comparer aux autres.
Et vous savez quoi ? Je propose qu’on se focalise vraiment là-dessus. C’est mille fois plus inspirant et riche en enseignements que les réflexions grossophobes d’une minorité.
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