Les zombies sont omniprésents dans la culture populaire et jouissent d’un grand succès. Mais d’où vient notre fascination pour les morts-vivants ? Petites explications par Justine !
— Article initialement publié le 25 février 2013
En l’an 1995 (ou quelque chose comme ça), mes parents ont pris un air très sérieux pour m’expliquer que la cassette de La nuit des morts-vivants, c’était pas touche, film interdit et cauchemars assurés. Haute comme trois kiwis et doudou à la main, je m’étais dit « Qué, film interdit ? » et dès qu’ils ont eu le dos tourné, je me suis plantée devant la cassette de tous les dangers – c’était le début de l’amour du cinéma apocalyptique pour moi.
Aujourd’hui, les films « apocalyptiques » et tout spécialement les trucs centrés sur les zombies sont largement entrés dans la culture populaire – on peut même dire qu’ils la squattent : films sérieux, comédies horrifiques, séries, jeux vidéo, … Même les zombies walks ont la cote. Pis encore : en 2011, aux États-Unis, le très sérieux Center for Disease Control and Prevention a consacré un post aux conseils pour survivre à une apocalypse zombie (Preparedness 101 : zombie apocalypse)… Le site a eu tellement de visites que ses serveurs ont planté ! Autant dire que les zombies, c’est devenu du serious business.
Mais d’où vient cet engouement collectif ? Pourquoi les histoires de zombies nous fascinent-elles, alors même que, selon les mots de Macha Méry pour un article du Monde : « Nulle créature n’est plus répulsive, plus grotesque que le zombie. Plus méprisée non plus. Cet épouvantail ne possède ni la poésie du fantôme ni le magnétisme sexuel du vampire » ? Les spécialistes proposent un tas d’explications.
Des zombies cathartiques et reflets de l’espoir collectif ?
Par exemple, Angela Becerra Vidergar, doctorante à l’Université de Standford et auteure d’une thèse sur les fictions de destruction (Fictions of Destruction: Post-1945 Narrative and Disaster in the Collective Imaginar), a récemment proposé un angle original d’analyse : les fictions apocalyptiques seraient un moyen de faire face à certains moments de l’Histoire – aux conséquences de la seconde guerre mondiale, d’Hiroshima et Nagasaki, des attentats du 11 septembre, des guerres qui ont suivi… Vous pensez que c’est tiré par les cheveux ? Explications : selon Vidergar, après des évènements de destruction massive, notre vision collective de l’avenir se transforme de façon radicale – ces catastrophes sont devenues des réalités, organisées par des êtres humains… Nous nous prenons en pleine poire que l’être humain est bien capable de violence, que des cadres éthiques ont été brisés, que la société moderne n’a pas que de bons côtés et que le futur n’est pas forcément brillant et positif.
La doctorante s’interroge sur la manière dont l’Histoire a un impact sur nos vies quotidienne et sur la façon dont elle se manifeste dans notre culture. Pour elle, les films (et autres supports) apocalyptiques seraient des manifestations culturelles de l’horreur : on fictionnalise notre propre mort, la fin des temps, une horreur qui, avec certains évènements catastrophiques du XXème siècle, s’est déjà produite…
Pour elle, au travers de ces manifestations culturelles de l’horreur, nous montrons non seulement notre désir de survivre (puisque des personnages se battent pour rester en vie), mais aussi notre volonté d’améliorer le monde (puisque souvent, ces personnages souhaitent sauver l’humanité pour construire un monde meilleur) (genre) – même si ça semble impossible. Autrement dit, les films de zombies montrent aussi une dose d’espoir (même si nous ne croyons plus en un futur positif, « nous pensons toujours que nous sommes des survivants, nous voulons toujours croire que nous survivrons » – nous dit l’auteure) !
Des fictions comme Walking Dead nous aideraient aussi à réfléchir à la manière dont nous agirions dans des situations survivalistes, aux décisions éthiques que nous devrions prendre, et les actes qui suivront ces choix – dans ce cas, les zombies et les survivants sont des représentations, des reflets de nous-mêmes. Finalement, selon Vidergar, Walking Dead « permet à l’audience de gérer certains de ces dilemmes éthiques difficiles et menaçants, ou de réfléchir à leur propre capacité de survie. À quel personnage ressemblerais-je ? Qu’est-ce que je serais capable de faire pour survivre ? ».
La représentation d’un pessimisme contemporain ?
Sociologue, historien de l’art et auteur de l’ouvrage Petite philosophie du zombie, Maxime Coulombe analyse différemment le phénomène. Dans une interview pour le magazine 20 Minutes, il explique que les zombies seraient les reflets des craintes d’une époque. Aujourd’hui, les morts-vivants représenteraient notre difficulté à donner du sens à la mort : le zombie est littéralement le retour d’une mort vide de sens… Le mort revient, mais n’a aucune raison de revenir (par opposition au fantôme, qui peut revenir parce qu’il n’est pas « bien » mort, parce qu’il a des comptes à régler, etc.) – on n’est pas dans Ghost Whisperer, hé !
Dans la même veine, l’auteur souligne que ces fictions posent une réflexion sur l’humain et l’état de nature : les zombies sont des êtres humains monstrueux, mauvais, dont seule la partie primitive s’est réveillée… Ce qui sous-entendrait alors que l’Homme est par essence mauvais ? En parallèle, les survivant-e-s perdent aussi peu à peu leur civilisation, leurs normes, et font des choses qu’ils n’auraient pas fait en temps « normal » – ils retournent aussi à un état de nature.
Finalement, selon Coulombe, les films de zombies, et plus généralement les films d’apocalypse, seraient populaires parce que nous aurions le fantasme d’assister à la fin des temps – avant d’aller voir ce type de fiction, comme avant la date butoir d’une apocalypse (au hasard, comme avant le 21/12/2012), nous frémirions un peu d’excitation, de curiosité… À la différence de Vidergar, qui voyant dans ces fictions la représentation d’un espoir collectif, Coulombe perçoit quant à lui le cinéma de zombie comme une forme de pessimisme contemporain.
Évidemment, nous n’avons pas fait le tour des hypothèses et explications zombiesques… Nous n’avons pas abordé la notion de zombies philosophiques : philosophiquement, donc, les morts-vivants donnent aussi à réfléchir sur la notion de conscience… Les zombies sont physiquement identiques aux êtres humains conscients, mais n’ont aucune expérience consciente. Du coup, s’ils ont toutes les caractéristiques physiques nécessaires pour obtenir la conscience mais qu’ils ne l’ont pas, est-ce que cela signifie que la conscience humaine ne provient pas seulement d’un assemblage physique ? Auquel cas, pourquoi ne sommes-nous pas des zombies, HEIN ?
Pour aller plus loin :
- Sources sur le travail de Vidergar : ici et là
- Interview de Coulombe
- Pour en savoir plus sur le zombie philosophique, cf. le site de David Chalmers
- Un travail de titan sur le cinéma de zombies, par K.W. Bishop
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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