Le fanzinat m’était presque totalement inconnu avant la Japan Expo/Comic Con, mais j’avais très envie d’en savoir plus. J’ai découvert dans la partie qui lui est consacrée sur le salon tant de parcours, d’envies, et de créations différentes qu’il serait en fait très restrictif d’en parler comme d’un petit monde.
C’est plutôt une multiplicité d’univers où se regroupent des artistes professionnels et amateurs dans une même volonté de partager leur passion, avec beaucoup d’énergie, de motivation et de générosité.
Un média protéiforme
Impossible donc de dresser un profil type du fanzineux. Parmi les allées, on croise des artistes de tous les niveaux, aux influences variées.
Il y a ceux qui font ça juste pour raconter leurs histoires et s’amuser, qu’ils soient amateurs ou bien artistes exerçant d’autres métiers (story boarders, graphistes…), ceux qui ont pour projet d’être édités, ceux qui le sont déjà et qui voient dans le fanzine une opportunité de développer d’autres univers, voir d’approfondir leurs séries éditées.
Protéiformes, les fanzines peuvent autant être des BD ou mangas que des artbooks ou même des romans.
Le fanzine a beaucoup évolué ces dernières années, et si les « vétérans » se souviennent encore des photocopies agrafées par leurs soins directement sur leur stand, aujourd’hui on y trouve de vrais et beaux livres, de qualité professionnelle. Et ce qui n’était au départ qu’une toute petite communauté s’adresse aujourd’hui à tous.
Quels que soient vos goûts et vos envies, vous trouverez votre bonheur. Fan d’heroic fantasy, de shônen, de yaoi, de récits humoristiques tirés du quotidien, de poésie, de romantisme, de belles illustrations… il y aura toujours quelque chose pour vous séduire. Si l’influence manga est indéniable, le franco-belge, le comics, mais également la littérature et même le jeu de rôle sont les points de départs de nombreux fanzines.
S’y intéresser, c’est aussi porter un autre regard sur le monde de l’édition. Car des auteurs très talentueux qui ne sont pas édités, il y en a énormément, et pour beaucoup de raisons. Si le fanzine peut être une manière de se professionnaliser et de se faire ensuite connaître des éditeurs, il peut aussi devenir le prémisse de solutions alternatives.
Le choix de l’auto-édition
Une autre partie du salon était consacrée aux indépendant-e-s, qui, plutôt qu’un travail de groupe comme ce que l’on trouve la plupart du temps dans les fanzines, présentaient leurs travaux personnels.
Et aux côtés d’auteurs déjà connus du public et édités comme Aurore (dessinatrice de la très belle série Elinor Jones) qui proposait des sketchbooks, des originaux, des portfolios… on pouvait aussi rencontrer des auteurs qui ont fait le choix de l’auto-édition.
- Vyrhelle a ainsi publié elle-même le premier tome de sa BD Les Chroniques d’Arcea, une saga d’heroic fantasy.
- Orpheelin, elle, a été approchée par un éditeur mais a finalement fait le choix de développer son univers en solo, et sortira bientôt le premier tome de Northern, une aventure teintée de fantastique, dont l’univers s’inspire des cultures médiévales nordiques.
Ces artistes qui, avec le fanzine, ont obtenu une solide expérience de tous les métiers de l’édition (de la conception graphique à la vente en passant par les techniques d’impression) s’appuient sur la communauté de fans qu’elles ont su créer, notamment sur Internet mais aussi grâce à leur présence sur les salons, pour rendre viable ce projet qui pourrait sembler un peu fou.
Être leur propre éditeur leur permet de ne pas avoir à faire de concessions pour des raisons commerciales, de réaliser le livre qui leur ressemblera vraiment, mais aussi d’augmenter la part qui leur reviendra sur chaque album vendu, en réduisant drastiquement les intermédiaires.
Quelques fanzines et artistes à découvrir
Je n’ai bien entendu pas eu le temps de faire le tour des plus de 200 stands, mais voici une petite revue de ceux que j’ai eu le plaisir de découvrir. Les liens renvoient vers la page Facebook des artistes ou fanzines. La plupart d’entre eux vendent leurs créations sur Onternet, mais vous pourrez aussi les rencontrer sur différents festivals et conventions.
Le yaoi, genre de manga très populaire au Japon (on y trouve des histoires d’amours homosexuelles entre personnages masculins, mais le lectorat visé est féminin), est très présent dans le fanzinat. Girl, qui officie sous le pseudo Clover-Doe sur Deviantart, est l’auteure de la série Chocolat noisette. Un yaoi donc, qui, bien que fanzine auto-édité, reprend tous les codes du manga.
Biscuit (la dessinatrice du manga Les îles du vent) s’amuse à raconter dans Abunai le quotidien de personnages qui… ont un fanzine ! Une série qui permettra aux novices de s’initier au fanzinat, mais qui amusera tout autant les habitué-e-s, qui suivront tous les personnages imaginés par Biscuit dans un univers qu’ils et elles connaissent bien.
Je parlais tout à l’heure de romans : Jade Baudain est l’auteure de Silva, une saga d’heroic fantasy prévue en huit tomes. Un conflit oppose trois royaumes, et les héritiers devront se battre pour que revienne enfin la paix. Le personnage principal est une héroïne super badass, ce qui ne gâche évidemment rien. Les deux premiers tomes de Silva sont déjà sortis.
Pour rester dans l’heroic fantasy, Chane est une illustratrice à l’univers empli de dragons et de jolies filles. Ses dessins à l’aquarelle sont à la fois très colorés et pleins de douceur. À l’occasion de la Japan, elle a publié un artbook, Pluie de dragons, compilant ses plus belles illustrations.
Il y a aussi Ibealia, l’une des deux adorables membres de Draw’in’Girlz. Elle travaille actuellement sur plusieurs projets BD, notamment Telunya, une série d’aventure avec une héroïne très cool, dont elle présente l’univers dans plusieurs livre (artbook, prologue…) qui font saliver d’impatience.
En parlant des Draw’in’Girlz, vous connaissez peut-être déjà l’autre membre, puisqu’elle était tout récemment sur madmoiZelle pour des recettes alléchantes ! Il s’agit de Pich, qui, en plus d’être passionnée de cuisine japonaise, est une illustratrice de talent. Elle a auto-publié Umai, un petit livre de cuisine japonaise que je ne peux que chaudement vous recommander tant il est chouette. Mais elle présentait aussi tout le reste de son univers, avec notamment deux mini-artbooks beaucoup trop mignons.
Moemai et Dara faisaient eux stand commun. Le nom de Dara vous dit peut-être quelque chose : il est l’auteur du manga Appartement 44 chez Ankama.
L’un comme l’autre publient de très beaux fanzines bilingues franco-japonais, qu’ils vendent dans les deux pays. Les fanzines au Japon ont d’ailleurs une place bien plus importante que chez nous, et sont même vendus en librairie.
Moemai a un univers très doux et délicat. J’ai notamment eu le plaisir de lire Je suis un chat, un joli shojo très poétique.
Dara, fanzineux depuis de nombreuses années (il se décrit lui-même comme un dinosaure), a publié des artbooks (dont son dernier : Moonlight, très beau fanbook sur le thème de Sailor Moon
) mais aussi des one-shots, dont certains lui permettent de développer l’univers d’Appartement 44 en racontant le passé des personnages.
Nephyla, la dessinatrice de la merveilleuse série Geek&Girly, est elle aussi dans le milieu depuis un moment. Elle est en effet l’une des auteurs derrière Raxxon. Raxxon, c’est tout un univers inspiré par le jeu de rôle.
On trouve plusieurs types d’ouvrages : des carnets de voyages, qui peuvent tous se lire indépendamment et nous font découvrir Raxxon de lieu en lieu, des livres illustrés thématiques (le dernier paru est La Bibliothèque, sur le thème des contes), un artbook sur la mythologie de l’univers et la bande dessinée Le Pion Noir, scénarisé par Castel, et dessiné par Nephyla.
La série est prévue en trois tomes, et les deux premiers sont parus. C’est une histoire sombre et fantastique où amour et mort ne font pas bon ménage… Je ne peux que chaudement vous en recommander la lecture. C’est sans aucun doute une de mes plus chouettes surprises du salon.
J’aimais déjà beaucoup le travail de Nephyla, mais je dois dire que le travail fourni par la communauté derrière Raxxon est bluffant. On peut vraiment s’immerger dans l’univers, de plein de manières différentes, et c’est très plaisant.
Autre énorme coup de cœur : Chaud Nem Jump. Hommage-parodie au célèbre magazine de pré-publication japonais Shônen Jump (qui prépubliait Dragon Ball à l’époque, et où l’on retrouve aujourd’hui encore les shônen les plus populaires comme One Piece ou Naruto), Chaud Nem Jump est un fanzine qui reprend cette idée de shônen publiés par chapitres, avec des séries toutes plus géniales les unes que les autres.
Le premier numéro n’est plus dispo mais devrait être réédité tout prochainement. Si trois séries y étaient déjà présentes, les cinq autres démarrent avec ce deuxième opus (et pour les trois dont c’est donc le chapitre 2, on comprend quand même très bien sans l’avoir lu).
Les neuf auteurs sont tous des amis qui ont étudié dans différentes écoles d’art et de communication (EPSAA, LISAA, Gobelins…) et sont aujourd’hui graphistes, storyboarders ou encore auteurs de BD, puisqu’on retrouve parmi eux Guillaume Singelin (The Grocery, Doggybags…) et Valentin Seiche (Anguille et Baldaquin). Et pour découvrir le travail des autres membres de l’équipe : Violaine Briat, Baptiste Pagani, Souvanna, Choco, Toine, Thomas Rouzière et Mikael Moune.
Et qu’est-ce qui rend Chaud Nem Jump si cool ? Le talent des auteurs d’abord. Dans des univers très différents et avec des styles graphiques également très variés, leurs histoires sont vraiment prenantes et de qualité.
Les auteurs ont totalement intégrés les codes du genre, et si certaines histoires sont complètement barrées, ce sont toutes de vrais bons shônen. On retrouve des thèmes chers au genre : le sport, l’aventure, les jeux vidéos, la culture otaku… le tout servi avec une bonne dose d’humour et un déferlement d’action : les amateurs risquent de n’y avoir que des bonnes surprises.
Kokoro est une très jolie initiative qui m’a particulièrement touchée : le projet regroupe de nombreux artistes qui, chaque année, soutiennent une association différente. Ils éditent un bel artbook, mais vendent également des posters, des cartes, des goodies… Et reversent tous les bénéfices à l’association qu’ils soutiennent.
Cette année, les dons vont à Arc-en-ciel, qui réalise les rêves d’enfants malades. L’artbook portera à chaque fois sur une thématique liée à l’association. Cette année, les illustrations étaient donc sur le thème de l’enfance.
À l’automne paraîtra un nouvel artbook, cette fois-ci sur le thème des femmes, en soutien à l’association Global Fund for Women. Ils ont d’ailleurs lancé un projet Ulule pour pouvoir financer l’impression, et vous y trouverez une présentation de tous les artistes participants.
Pour aller plus loin
- L’association Méluzine, présente sur de nombreux salons, répertorie la majorité des fanzines existant sur le territoire, mais également tous les évènements liés au fanzinat. Ils prodiguent également des conseils aux débutant-e-s comme aux confirmé-e-s.
- Billyzines est un groupe DeviantArt (créé par Girl/Clover-Doe) qui répertorie également de nombreux fanzines, et permet à ceux et celles qui le souhaitent de donner leur avis sur les titres qu’ils et elles ont pu lire.
- Vous rêvez de vous lancer dans l’aventure fanzine ? Kehjia est une plateforme qui propose conseils, tutoriels, mais également de nombreuses trames pour tou-te-s les aspirant-e-s bédéistes et mangakas. En plus d’un site très complet avec un forum où l’entraide prime, ils publient des recueils écrits par des auteurs amateurs.
Un grand merci à toutes les adorables personnes rencontrées pour cet article, qui ont pris le temps de me parler d’eux et de leurs jolis projets. Et un merci tout particulier à la merveilleuse Nephyla, qui fut mon précieux guide, et à la géniale équipe de Chaud Nem Jump !
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