Le thème du jour est la littérature jeunesse revisitée par la littérature jeunesse avec le roman Fantoccio de Gilles Barraqué. Si vous trouvez quelques sonorités communes entre Fantoccio et Pinocchio, vous avez bien raison !
Fantoccio prend vie de la main de Strega, la sorcière du village, sous les yeux ébahis de Giuseppe Taddei, maître marionnettiste. Fantoccio est sa dernière création, un pantin presque aussi grand qu’un humain, désormais pourvu de la pensée et de l’intelligence. Il peut marcher, parler, et appréhender le monde qui l’entoure à travers les sensations perçues par son bois.
Petit pantin deviendra grand
Giuseppe, surnommé Geppetto, donne de petits spectacles de marionnettes pour gagner de quoi se nourrir. Avec Fantoccio, il souhaite offrir des performances exceptionnelles, faisant croire que ce grand pantin s’anime sous ses fils alors que c’est Fantoccio lui-même qui s’agite. La fortune leur tend enfin les bras grâce au mensonge, mais ce secret doit être jalousement gardé, sous peine d’être accusé de sorcellerie.
Si le pantin est docile au début et souhaite être un « bon garçon », sa soif d’apprendre, de vivre, l’entraîne doucement vers l’émancipation grâce à ses lectures et ses rencontres.
Fantoccio se nourrit du plaisir de se donner en spectacle au point de vivre difficilement son mensonge qui le confine à l’enfermement, à « faire le mort » en public, surtout devant la belle Livia. Il ressent au plus profond de son bois l’envie de partir à la découverte du monde, et est prêt à tout pour cela, même à partager son secret avec les petites crapules de Sienne.
Fascinant roman que ce Fantoccio, au fil duquel on suit l’évolution du pantin, celle d’un petit être de bois assujetti à son maître qui devient un jeune homme auquel il ne manque que l’enveloppe charnelle. Fascinant parce qu’il est écrit à la première personne, et que cela permet d’être au cœur du cheminement intellectuel de Fantoccio. On le voit grandir sous nos yeux, on vit ses joies, ses peines et ses frustrations.
Fantoccio, un regard neuf sur les hommes
Une vraie empathie lie le lecteur au pantin, et on ne peut s’empêcher de transposer son cas au nôtre : qu’est-ce que ça nous ferait, nous, de ne jamais dormir, de ne jamais pouvoir éteindre le fil de nos pensées ? De voir les gens se réjouir d’un bon repas sans pouvoir partager ce moment de convivialité, faute de gosier et d’estomac ? De vivre reclus dans un atelier sans pouvoir en sortir, sans pouvoir découvrir ce qui se passe derrière la porte ? Ou, enfin, d’être attiré par un être humain qui ne nous considère que comme une chose malgré toutes nos formidables qualités ?
La lecture du point de vue de Fantoccio permet de jeter un œil neuf sur les hommes, leurs habitudes, leurs comportements. Le pantin essaye de comprendre les interactions entre les humains, de décrypter leurs émotions par leurs changements d’attitude.
Sa naïveté est à la fois attachante et troublante, particulièrement lorsqu’il connaît ses premiers émois sans trop comprendre ce qui lui arrive. Son regard se veut curieux sur les corps, ses sens de pantin de bois lui dictent le désir et l’amour sans qu’il parvienne à cerner ces deux émotions bien distinctes.
Il s’interroge, presque jusqu’à l’obsession, sur le sexe, le « mélange » entre l’homme et la femme qui le fascine et qui semble cristalliser les liens forts qui unissent deux êtres humains. Ce questionnement de Fantoccio n’est finalement que le signe qu’il grandit, qu’il sort doucement de son enfance si particulière pour devenir, lui aussi, adulte.
Fantoccio est un roman qui revisite l’histoire de Pinocchio avec beaucoup de sensibilité, et où se tisse une vraie proximité entre le héros et le lecteur. La fureur de vivre du pantin a quelque chose d’émouvant dans ce roman troublant qui fait écho au cheminement de chacun vers l’âge adulte sur fond d’Italie, de théâtre, de sorcellerie et de mystère.
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