Initialement publié le 17 janvier 2007
À onze ans, je découpais laborieusement la moindre photo de Patrick Bruel dans Télé poche, avec l’espoir de constituer un corpus consacré à mon idole. Une sorte de legs aux générations futures.
Si j’étais fan de lui aujourd’hui, suffirait que j’aille faire un tour sur le web et hop, à moi Patrick au poker, Patrick chez Drucker, Patrick chez Picard…
J’aurais beaucoup moins de mal à satisfaire mon vice. Les nouvelles technologies ont changé bien des choses dans la vie du fan… d’ailleurs, parlons-en..
Avoir sa dose d’infos quotidienne sur ta star préférée
Pour survivre, le fan a besoin de nourrir sa passion. Plus il a de documentation sur son idole (interviews, photos, bios, autographes, news, etc.), plus il en veut. C’est ce qu’on appelle le théorème de Pascal (Obispo). Oui mais voilà : cette came, comment se la procurer ?
- Comment c’était avant
Avant l’avènement du web, du MP3 et autres nouvelles technologies, le fan devait faire preuve de patience pour trouver les documents dont il était friand. Ses seules possibilités ?
- Prier pour que son idole ait une actualité et donc une présence dans les médias
- S’inscrire à un fan club pour réussir à dénicher sa dose d’info
- Inonder la planète de petites annonces dans l’espoir d’échanger de la marchandise avec d’autres obsédé•es de sa trempe
- Écumer les brocantes et les bouquinistes à la recherche de reliques
- Écrire sans relâche à la star (ou à son attaché•e de presse) dans l’espoir d’obtenir au moins une photo dédicacée.
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Dans ce contexte de pénurie, chaque trouvaille était précieuse et rageusement défendue par le fan. Combien de parents couchés à une heure du matin pour enregistrer le passage de Mariah Carey à Sacrée Soirée ? Combien de drames familiaux pour une interview de Take That sur K7 malencontreusement effacée ?
« M’maaan ! Ouv’ pas mon store, putain ! — Dis-donc, Laurent. D’abord, parle-moi autrement. Ensuite, il est 14h, il fait beau, donc j’ouvre un peu. Un enfant comme toi a besoin de lumière… — Chuis pas un enfant, j’ai onze ans ! Et d’abord le store baissé c’est fait exprès ! — À la bonne heure… — Tu vois ce poster ? — Cette horreur ? Oui. Je la vois même trop. — Ben cette « horreur », c’est un poster dédicacé par Sylvester Stallone à l’époque de la sortie de Rocky. Une pièce unique. Et tu sais ce que la lumière va lui faire ? — Non, mon fils. — Le décolorer ! Après y sera bon à jeter ! — Raison de plus pour que j’ouvre ton store… »
- Comment c’est maintenant
Aujourd’hui, le fan peut généralement trouver facilement de quoi se sustenter. Un petit tour sur YouTube, deux ou trois mots-clés dans Google, une fouille sur Ebay et à lui le jackpot. Des photos de classe d’Angelina Jolie à l’alcootest de Lindsay Lohan, il peut tout obtenir.
Son problème n’est plus vraiment de se procurer la marchandise mais de faire le tri, avec au passage quelques épineux dilemmes moraux.
Faut-il par exemple attendre la sortie (directement en DVD) du nouveau film de Steven Seagal ou accepter d’en télécharger une version québécoise doublée par un amateur ? Attendre patiemment la diffusion des nouveaux épisodes de sa série préférée ou tout pomper frénétiquement sur le Web, quitte à frôler la boulimie ?
Car le gros risque pour le fan actuel n’est pas le manque mais le syndrome « Buffet à volonté ». Un peu comme chez Pizza Paï, le rollmops côtoie le taboulé qui côtoie la macédoine qui côtoie la salade de pâtes qui côtoie les rillettes… bien sûr, tu peux tout te taper, mais tu te sentiras sûrement un peu écœuré•e après.
« Agad, agad ! J’ai trouvé le premier album collector des Sweet Peas en import !!! — Mouais. Jl’ai d’ja. – Tu l’as téléchargé ? Parce que moi j’ai galéré pour le trouver… — Ouaip. J’ai aussi leur live de 1999 à Seattle… — Ouaah ! — Leur album de reprise qu’est pu édité, là…. — « Songs of Love and Confusion. Love of Songs and Devotion » ?!! — Ouais, voilà. Et puis l’intégrale de leur session studio de 89 enregistrée en douce par un ingénieur du son. J’ai même le bassiste en train de gazouiller sur les chiottes. — Nan ?!! — En fait, j’ai tout, je crois… — C’est génial… moi qui croyais que t’aimais pas… — Ben j’aime pas. Mais j’aime bien savoir que je l’ai. »
Approcher son idole
Le fantasme absolu du fan, c’est souvent de se sentir proche de la star qu’il adule. Si ça n’est pas possible physiquement, c’est au moins possible spirituellement (communiquer avec lui, l’aider dans sa carrière, l’inspirer). Oui, mais comment y arriver ?
- Comment c’était avant
Pour le fan avide de contacts, deux grandes solutions.
La première : inonder l’idole (ou son agent) de courriers inventifs dans l’espoir d’une réponse. Espoir souvent déçu, la lettre étant suivie au pire d’un silence abyssal, au mieux d’une pauvre lettre standardisée.
La deuxième : pister la star en se tenant au courant de son actu professionnelle (concerts, avant-premières, dédicaces, tournages), voire dresser la liste de ses lieux préférés via la presse people. Puis traquer, attendre et espérer. Espérer, attendre, traquer.
« — Mc Gyver appelle Parker Lewis, je répète : Mc Gyver appelle Parker Lewis. Me recevez-vous ? — 5 sur 5, Mc Gyver. — D’après nos renseignements, le sujet devrait actuellement se trouver à l’angle de Franprix et du Planète Hollywood. Où en est la situation ? — Toujours aucune trace du sujet, Mc. Dois-je maintenir la surveillance ? — Négatif, soldat. Cinq heures de traque, c’est déjà bien assez. Je crains qu’il ne nous faille suspendre la mission. De plus, j’ai un cours de français dans quinze minutes et ma mère va me tuer si j’y vais pas. — Damned. Pourtant, d’après Gala, le sujet fait ses courses ici tous les jeudi. J’ai reconnu le coin sur les photos. — Probablement une habile campagne de désinformation. »
- Comment c’est maintenant
Via les sites de potins, les forums ou mieux (pire ?), des sites comme Gawk Stalker (qui relaie en temps réel les allées et venues des célébrités), le fan a davantage d’outils pour dénicher sa star. Quant aux moyens de « communiquer » avec son idole, ils se multiplient comme les bactéries dans mon bac à légumes.
Ne l’approche pas qui veut. D’où la question intemporelle : comment attirer son attention ?
Le fan paraît sans cesse poussé à donner son avis, à suggérer des idées (par exemple, combien de concours sur le mode « Fais notre clip, coco » ?). Résultat : la délicieuse impression d’être à quelques clics du contact.
Pourtant, le problème de fond reste le même. Qu’elle soit micro ou méga célèbre, l’idole reste une idole. Ne l’approche pas qui veut. D’où la question intemporelle : comment attirer son attention ? Passer outre la barrière public/artiste ?
À lire aussi : Les stars des années 2000, que sont-elles devenues ? #2
« Chère Scarlett,
Grand admirateur de ton œuvre depuis toujours (j’ai adoré tes photos de nu dans Vanity Fair), j’ai écrit pour toi un scénario qui, je pense, devrait permettre à ta carrière de prendre une toute autre dimension. Le film s’appelle « La Muse déshabillée ».
Il s’agit d’une réflexion sur l’art et la chair, sur l’art de la chair. Comme tu pourras le constater, les scènes de nu sont nombreuses, mais en grande artiste, tu comprendras vite leur importance dans l’œuvre.
Bien à toi,
Gaulthier ».
Trouver des compagnons/compagnes de lutte
- Comment c’était avant
À moins de rechercher la compagnie de ses semblables via des fan clubs ou des petites annonces et/ou de vénérer une idole populaire, le fan se sentait bien seul. Incompris, moqué, sans âme avec qui partager sa passion, le fan isolé n’avait pas la vie sociale facile.
« — JH, treize ans, Cherie-les-pouilly, fan de Gérard Lenormand, ch. potes pour partager sa passion. Echange collec. cartes postales, vinyles, pin’s rares & autographes contre vidéos VHS. » C’est toi qui as publié ça, mon fils ? — Non, m’man. — Tu veux en parler ? — Mais arrête, c’est pas moi… — Je m’inquiète un peu. Je préférerais encore que tu sois fan de Kurt Cobain, comme tes petits camarades. Certes, c’est un jeune marginal, mais au moins… — C’est pas moi, je te dis ! — Au moins tu aurais des amis. Ton professeur principal me dit que tu ne parles à personne au collège et… — Puisque je te dis que C’EST PAS MOI !!! — Ah bon ? Alors cite-moi un autre fan de Gérard Lenorman de ton âge, ici ? »
- Comment c’est maintenant
Oui, ami•e fan : tu es peut-être marginal•e dans tes goûts, mais à Sao Polo, Berck ou Brighton, d’autres sont exactement comme toi.
Que tu vénères Beyoncé ou le plus pointu des acteurs Luxembourgeois, il y aura toujours un geek pour poster quelques pages web consacrées à votre marotte commune. Toujours un forum où débattre fiévreusement du look de Tokio Hotel. Toujours un•e fidèle pour poster une vidéo de Frank Michaël filmée au portable en train de flâner chez IKEA.
Bref, le Web, c’est le paradis du geek, le Nirvana du fan. Chaque lien te crie « Non tu n’es pas seul•e ». Oui, ami•e fan : tu es peut-être marginal•e dans tes goûts, mais à Sao Polo, Berck ou Brighton, d’autres sont exactement comme toi. Et ils viennent de t’ajouter à leur liste d’amis. C’est beau, non ?
Seul revers ? Un fan, parfois, ça n’a pas envie de partager. Il y a des fans exclusifs, qui aiment savoir qu’ils ont trouvé la perle rare, mais rechignent à voir « la masse » en profiter aussi.
Or, si le web lui démontre que beaucoup ont les mêmes goûts que lui, comment ne pas se sentir malheureux ? C’est simple : en utilisant le Web pour trouver encore moins connu que le pas connu.
En guise d’exemple, on peut penser à un jeune et talentueux réalisateur « qui, pour l’instant, se fait surtout connaître pour ses vidéos parodiques sur YouTube », une chanteuse incroyable « qui n’a pas de label, qui a juste fait deux titres mais qui est tellement ouaah », ou un blogueur à l’humour dévastateur « qui fait plus de 200 coms par post ».
Un bon moyen de continuer à être à la fois incompris•e et terriblement heureux•se… être fan, quoi.
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Les Commentaires
Cet article m'a bien fait rigoler, et je suis d'accord sur le fait que les gens cherchent à connaître des choses de moins en moins connues. Je me souviens quand j'ai commencé à fréquenter les communautés internet (il y a quelques années, comme certaines ici ), les groupe cités sur les forums (genre Pennywise, les Smashing pumpkins ou encore Nine inch nails, qui sont des "gros" aujourd'hui), n'étaient vraiment pas faciles à écouter, il fallait acheter les CDs ou attendre un mois pour qu'un album se télécharge!