Des filles écrivant des scènes de sexe sans aucun autre intérêt que de partager leurs fantasmes ? Elles sont forcément folles ou nymphomanes ! C’est bien connu : l’intérêt pour le coït chez une jeune femme ne peut jamais être motivé par sa seule expression artistique, il est forcément le masque d’un manque d’expérience, d’immaturité, ou pire : d’une mal baisée vivant dans ses fantasmes lubriques.
Face à tous ces clichés, j’ai voulu fouiller du côté des sciences sociales pour mieux comprendre le phénomène.
Un certain rapport à l’art
Les fanfictions, et surtout celles traitant de sexe, ont une particularité : elles sont, dans leur écrasante majorité, rédigées par des femmes, plutôt jeunes (la moyenne d’âge est de 18 ans), bien insérées socialement et culturellement (pour plus de chiffres sur la question, rendez-vous sur cette source). Il s’agit donc d’un art n’ayant le chic du populaire, ni la prestance des institutions. On comprend mieux, du coup, le discrédit global dont ces auteures sont victimes, peu importe leur niveau d’expérience.
Parallèlement, on peut observer un très fort processus communautaire avec notamment une énorme profusion de codes et de classifications ; ce qui m’intéresse ici, ce sont les fanfictions répertoriées sur fanfiction.net comme « Rated M » (pour mature). Notons que cette profusion de vocabulaire spécifique est la marque… de procédures artistiques !
Comme la poésie a ses sonnets, ses intonations lyriques ou pathétiques, le « fan-porno » a ses codes, servant à créer une connivence avec le lecteur en lui annonçant à quelle sauce il va être mangé. Quelques exemples ? Un lemon est une scène de cul explicite, le slash annonce une relation entre deux personnages, et mon petit préféré est le PWP pour « Plot ? What Plot ? », c’est à dire : un scénar ? Haha, très drôle, bon faut que ça baise en trois lignes maintenant.
Ces codes répondent à des schémas précis qui guident l’auteure, parfois débutante et donc avide de béquilles, et son lecteur, qui vient chercher un type précis de récit, ou deux personnages bien spécifiques.
Malgré cet effort vers plus de sérieux, et ce dialogue auteur/lectorat honorable, le contexte culturel français ne se prête absolument pas à la reconnaissance de la fanfiction érotique : en France, l’art littéraire est un art d’hommes (voire de Parisiens), très fermé. Ce n’est absolument pas le cas aux États-Unis, par exemple, où il existe une foule de concours d’auteurs amateurs, y compris dans le domaine de la fanfiction.
Alors imaginez, quand en plus de ça, les gamines prétendent parler de sexe… Qu’est-ce qu’elles y connaissent, d’abord, hein ?
Je voudrais quand même nuancer mon propos : ce ne sont pas les auteures de fanfiction contre le reste du monde ! Les auteures ne forment pas un groupe homogène, toutes copines, au contraire : il existe de nombreux « courants », et parfois des crises intestines.
Citons par exemple la Mary Sue (ou Peggy Sue), un personnage trop beau pour être crédible, et parfois une projection de l’auteure qui peut ainsi vivre ses fantasmes. Dans le cas des fanfics érotiques, ça se traduit le plus souvent par une belle inconnue dotée de tous les charmes possibles et imaginables, se tapant successivement tous les protagonistes de l’oeuvre.
Ces Mary Sue sont loin de faire l’unanimité et font l’objet de sévères critiques venues de la communauté elle-même quand elles sont trop évidentes, trop mal écrites. Car oui, dans la fanfic cochonne, on sait apprécier l’effort de narration : c’est celui qui permettra le plus de s’immerger dans l’oeuvre !
Hihihi je m’appelle Carrie et je couche avec qui je veux et je n’ai même pas besoin de travailler pour payer mon loyer hihihi
En fait, on est en plein dans un contexte culturel artistique, même pour les textes les plus navrants : après tout, Picasso n’a jamais empêché tonton Jean-Jacques de faire ses croûtes, et la peinture reste un art. La production de fanfiction par chapitres est d’ailleurs caractéristique d’une époque où la culture se vit par épisodes : plusieurs tomes sur plusieurs années laissant le temps de combler les vides, attentes entre deux saisons de série, deux chapitres de manga…
Ces jeunes filles saisissent à pleines mains des oeuvres en jachère, y ajoutent une bonne dose de fantasmes et s’adressent à un véritable lectorat organisé, qui interagit avec elles. C’est ce que Sébastien François, l’auteur francophone le plus prolifique sur la question, nomme « L’Identité pour autrui » : ces écrits amateurs révèlent beaucoup sur qui les écrit, mais doivent également prendre en compte un lectorat
avec lequel l’auteure interagit constamment.
Dans le cas du sexe, diverses questions se posent : mes fantasmes sont-ils normés (voire normaux) ? Vont-ils plaire à d’autres ? On comprend mieux la profusion de codes rassurants et les schémas-types se répétant d’oeuvre en oeuvre, aboutissant à une standardisation des récits parfois poussée jusqu’à l’absurde. On a l’impression de lire deux fois la même histoire, mais avec des prénoms différents !
Le cadre planté, le fantasme des fans hystériques écarté, il est temps de rentrer dans le vif du sujet : LA BAISE.
Un certain rapport au sexe
J’ai déjà mentionné la façon dont la fanfiction cochonne permet de comparer ses fantasmes à ceux de son lectorat et de se confirmer comme « normal-e » même dans ses délires les plus fous (le sado-masochisme, par exemple, y est très répandu). En fait, la fanfiction grivoise présente une caractéristique quasi-constante : l’intrigue principale passe à la trappe.
Harry se tape Voldemort, Edward et Bella sont régulièrement rejoints par des loups-garous et autres créatures… Dans les fanfictions Sherlock, les intrigues policières des fanfictions rated M passent régulièrement au second plan au profit d’aventures plus sentimentales.
Il s’agit d’un terrain de jeux dans lequel les dialogues et la cohésion des personnages ne sont pas la priorité. À partir du moment où l’on a admis que le sexe serait le sujet principal, aux dépends de l’oeuvre, alors il s’agit simplement d’exhibitionnisme ?
J’écris une fanfic Drarry pour l’Internet mondial, laisse-moi.
Pour Sébastien François, il s’agit avant tout d’apprivoiser le sexe, le couple, par une mise à distance idéalisée. Raconter une sodomie lorsqu’on est vierge n’engage absolument pas son propre corps, surtout quand l’acte est réalisé entre deux hommes ; l’écrit permet de ne pas être face aux images pornographiques, les personnages des romans de l’adolescence ou de l’enfance permettent de créer un climat ambiant rassurant (on se doute bien que Harry ne va violer personne, c’est un gentil).
Dans cet univers, tout le monde est beau et lorsque les personnages sont brutaux, c’est toujours sous le contrôle de l’auteure. Les préférences des fans pour leurs personnages mêlent les caractères des livres et le physique des acteurs de films pour créer le parfait pantin à fantasmes.
Parallèlement la frontière entre vie personnelle et fiction dans la fanfiction est poreuse, comme dans n’importe quel acte créatif. Mais lorsqu’on parle de sexe, cela veut dire que même les mauvaises expériences sont présentes, masquées ou sublimées…
Tous les viols de fanfictions ne sont pas tirés d’une expérience réelle, mais permettent de s’approprier ce danger, ce grand méchant loup placé dos au prince charmant. Que l’on soit vierge ou déjà expérimentée, ce n’est jamais anodin est ça permet aussi de s’approprier sa propre histoire, d’apprivoiser son rapport au sexe (peur de la douleur qu’on transmet à un personnage, peur de l’inconnu qu’on maîtrise en imaginant des scènes détaillées, peur d’être nulle au lit transformée en une Mary Sue très douée…).
Un certain rapport au genre
Au milieu de tout ça, que devient le genre ? On l’a vu : l’écriture de fanfiction est déjà un exercice genré, tant les hommes sont rares. Or, il est intéressant de constater à quel point, là encore, l’histoire des femmes croise l’histoire de la remise en question des genres et des rôles hétéronormés. Confiez un domaine à un public majoritairement féminin et voyez ce qu’il s’y passe… Le couple « un papa, une maman, un labrador » est loin d’être majoritaire !
Les couples sont très régulièrement homosexuels : ce fantasme pourrait également renvoyer à la volonté de s’approprier la pénétration de façon distanciée. Les caractères des personnages masculins deviennent hybrides, quittant leur modèle pour coller à une représentation idéalisée du couple. Du sexe brutal mais des déclarations touchantes d’émotivités, joli paradoxe pour ces auteures qui renouvellent un peu le schéma guimauve VS trash sans pour autant le transformer, puisque régulièrement un des personnages est condamné à son rôle de « polarité féminine », plus sensible, plus fragile…
De même, l’usage du SM est intéressant : Hermione martyrisée vous fournit une bonne centaine de fanfictions en français, Harry soumis à Draco est aussi un classique, mais un homme au sein d’une relation SM où la femme domine… C’est bien plus rare. Étonnant de constater que les femmes créatrices, donc omnipotentes, doutent au moment de prendre réellement le pouvoir sur le rapport sexuel, alors qu’il est clair que le sexe hardcore est loin de leur déplaire.
On peut aussi remarquer au passage la grande minorité des récits mettant en scène des relations lesbiennes.
Au milieu de cet exercice subversif, des terrains restent donc encore à défricher. On peut constater à quel point ils sont parallèles à des problématiques de société plus larges : l’extrême codification des fanfictions est-elle un frein à la créativité du milieu ?
Que nous disent réellement ces fantasmes sur les individus qui « tiennent le clavier » et que nous dit l’extrême ressemblance d’un récit à l’autre ? Existe-t-il un éternel fantasme féminin fait de jeunes éphèbes enamourés aux rapports sauvages ?
Je crois plutôt qu’il s’agit, face à cet inconnu qu’est le sexe, d’une ultime barrière de pudeur et de tabou : il s’agit d’être transgressif « mais pas trop », au risque de se voir exclu du site hébergeur ou tout simplement… de ne pas être lu/commenté !
Il sera intéressant de regarder l’évolution des thématiques de fanfictions au cours des années à venir : une telle porte ouverte sur la libido de chacun-e est trop rare pour qu’on l’ignore simplement parce qu’elle prend la forme de récits « amateurs ».
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Les Commentaires
D'un autre côté j'ai lu les yuris qui sont moins nombreuses et même s'il y a réellement un couple de femme gay dans l'histoire, on en revient toujours à des slash. Je constate dans les yuris que les personnages masculins sont bien traités, il y a en général une bonne trame narrative. À l'inverse des slash, le couple principal dans les yuris est souvent desexualisé mais là, ça dépend des fandoms, ce n'est pas le cas dans le fandom de OUAT. D'ailleurs j'estime que ce fandom a les meilleures yuri, perso je suis devenue limite fan du couple Belle/Mulan.
Je sais que sur tumblr, le débat sur les slash donne lieu a des avis intéressants: