À l’aube de 2013, Justin Bieber et One Direction se partagent le royaume de la pop mondiale. Mais ce ne fut point toujours ainsi. Jadis, mes frères et soeurs d’acné bubonesque d’armes suivaient une toute autre bannière. Venus d’une rude contrée de l’Europe de l’Ouest, nos idoles s’adressaient à nous dans un dialecte ancien et incompréhensible (si bien que, pour prouver leur dévotion, mes compères hurlaient à s’en décoller la maxillaire). Je te parle d’un temps que les moins de vingts ans ne peuvent pas connaître. Je te parle d’une époque, d’un cycle révolu pour lequel je garde un tendre souvenir : la grandiose dynastie Tokio Hotel.
À quatorze ans, les filles voulaient qu’on susurre des mots doux à leurs oreilles vierges de tout propos concupiscents, qu’on leur tourneboule le shorty, qu’on leur donne du boum au coeur et des sujet de discussion dans la cours du bahut. C’est là que sont intervenus quatre prodiges, maniant ces armes avec hardiesse. Bill, Tom, Gustav et Georg sont entrés dans ma vie et dans celle de milliers d’autres jeunes donzelles en quête d’idéal. J’avoue que ma vision quelque peu destroy du monde (rempli de chaussettes tête de mort, de khôl mouillé au coin externe de l’oeil et de tentative de cover d’Eths en screamo devant ma bande d’amis médusé) collait plutôt bien au public ciblé. Tokio Hotel a tapé dans le mille, et moi je suis tombée dans le panneau.
Ouhlala, ça bout dans mon slip.
Certes, le groupe de rock allemand n’est plus vraiment d’actualité depuis son dernier album en 2009, qui est d’ailleurs globalement passé plus inaperçu que ses trois prédécesseurs (moins de hurlements au compteur quoi). Avouer que tu as été fan de Tokio Hotel dans une vie antérieure apporte souvent un gros doigt humide sur le bout de ton nez accompagné de rires gras et de multiples questions sur ton passé psychologique et ton dossier médical. Cependant, avoir suivi quelques temps les aventures de ces quatre garçons n’a pas eu que des conséquences négatives. Même, je pense que c’est un avantage indéniable par certains points. Un fait à ajouter sur un CV en somme…
L’organisation
Si comme moi tu as été un-e fan de la première heure, tu sais qu’aimer Tokio Hotel nécessitait une organisation à toute épreuve. Au départ inconnus du public français, les Allemands ont timidement pointé le bout de leur nez le 28 septembre 2006 à Paris. Bien sûr j’étais au rendez-vous, attendant ce jour comme le messie (ou le partage de la galette des rois sous la table). En ingénue écolière de troisième que j’étais, je n’imaginais pas tout ce qu’un concert pouvait engendrer (à part Henry Dès quand j’avais 5 printemps et le live hideux d’Avril Lavigne sur MTV, je n’avais jamais mis les pieds dans un évènement de la sorte). Le Trabendo, aussi petit qu’il soit, allait être bourré comme un buffet chinois : le concert affichait complet. C’est à ce moment que mes amis et moi (et tous les autres) nous sommes juré de prendre beaucoup d’avance et des vivres pour trois jours. À 15h, la file d’attente était déjà incroyablement longue. Il faut dire que le concert devait commencer à 21h, c’est bien de PRENDRE DE L’AVANCE HEIN. Pour le suivant, au zénith de Nancy, je ne me suis plus fait avoir.
File d’attente pour le concert de Nancy. Il est 13h. Ces adolescents sont fous. J’étais folle.
Aller à un concert de Tokio Hotel revenait un peu à jouer à « Et toi tu emporterais quoi sur une île déserte ? » avec des milliers de personnes tout autour de toi. Tout était prétexte à élaborer une stratégie. Un plan génial pour avancer de quatre virgule six millimètres vers la scène, pour montrer son plus beau bracelet à message lorsqu’un rayon de lumière se posait sur toi pendant quelques instant. Voir les « T.H » (prononcer [téache] ) relevait d’une manœuvre commando : il fallait être là bien avant, calculer sa place, l’angle de vue, le champ, le contre-champ, sa coiffure, son t-shirt, pouvoir couvrir huit octaves et sautiller sur place pendant une heure, ne pas tomber dans les pommes, prendre LA photo à poster sur son Skyblog et repartir en trouvant le meilleur moment pour éviter les bouchons (aussi longs que devant Disneyland à 9h du matin, un samedi d’août). Voilà comment, à seize ans, je devenais l’adolescente la plus coordonnée et prévoyante de la planète Terre.
La curiosité
J’ai toujours été attiré par le rock sous toutes ses formes. Mais, alors que je pouvais réciter les paroles de Good Charlotte par coeur, je n’excellais pas dans tout ce qui provenait de chez nos amis germaniques. Et puis d’abord, pourquoi ça serait subitement cool l’Allemagne ? Il y fait froid, c’est moche, les gens s’habillent mal et la langue est pire à entendre que mon prof de maths qui récite du Pythagore sous pneumonie. J’étais une bien vile demoiselle ne voyant pas plus loin que le bout de son petit nez trop rouge. C’est un peu bête à dire, mais Tokio Hotel a permis à beaucoup d’adolescents abrutis (comme moi) de découvrir un beau pays, avec un patrimoine fort, une culture très abondante et où il fait aussi beau que dans la majeure partie de la France.
À force de s’attacher à comprendre les paroles, le/la fan de TH commençait à apprendre les bases de la langue de Volkswagen. Bien que j’ai choisi anglais et espagnol, je sais dire « bonjour », « au revoir », « merci », « je t’aime », « crie », « ne saute pas », « dernier jour » et « retiens-moi » en allemand. Je sais également le lire, mais sans savoir ce que je dis. Voilà, respect s’il te plaît.
Et « à travers la mousson » mais c’est moins utile.
Aimer Tokio Hotel c’était s’amouracher de la culture allemande. Abonnée à la chaîne musicale VIVA, je priais en silence pour voir apparaître mes idoles à l’écran. Les fans ont ainsi pu découvrir d’autres musiciens venus de ce pays. Je me rappelle présenter Lafee à mes camarades de classe, un grand moment de fierté. J’en reste un peu émue.
Quand j’avance que Tokio Hotel a permis à des milliers de jeune d’accroître leur curiosité je souhaite aussi parler de leur penchant qui en découle, pour les activités éducatives et formatrices de l’esprit. Là où planter ses enfants devant les Télétubbies n’avance à rien, Tokio Hotel avait un véritable impact sur l’inspiration de l’ado moyen. Certains, rois et reines de la plume, se destinaient à la rédaction de fanfictions plus ou moins cocasses où les différents membres du groupe s’enjaillaient (avec des fans ou entre eux, ça marchait aussi). D’autres se lançaient dans des portraits des plus novateurs ! Pile dans la lignée de Braque et Picasso.
« Vanité »
Moi je faisais de la sculpture en pâte à modeler.
Ces horreurs aux bras trop longs sont restées cinq ans sur la bibliothèque de ma grand-mère.
Pour conclure sur ce point, j’ajouterais que Valerie Damidot a du souci à se faire car les fans de Tokio Hotel ont appris la décoration. À grands coups de posters taille réelle, les chambres étaient tapissées et dignes d’un lieu de culte.
La demi-mesure
Ce qui était évident avec les fans de Tokio Hotel, c’est qu’ils étaient plus que démonstratifs. Tu n’allais pas voir Bill comme tu pourrais te rendre à la tournée de Dave. Il fallait se préparer psychologiquement et physiquement à ça :
https://youtu.be/r6AysEsUfu8
La mort.
- Tu ne vois rien.
- Les gens autour de toi chantent faux.
- L’idée principale du truc est de crier quand il y a un gros blanc.
Ce qui est assez fou dans tout ça, c’est que toutes les jeunes filles en rut autour de moi (ainsi que moi-même) en redemandions, encore et encore et encore. Aimer Tokio Hotel c’était prouver sa dévotion, jour après jour, peu importe le prix à payer.
Accrocher quelques posters au-dessus de son lit, avoir un t-shirt à l’effigie de son groupe favori que l’on garde pour les grandes occasions ? Très peu pour les fans de TH. Il fallait voir en grand, en immense. Transformer sa chambre en sanctuaire était un bon début. En ce qui me concerne, j’avais entièrement recouvert mes murs de posters (entièrement, c’est-à-dire jusqu’en bas). Il y a eu une courte période où je leur disais « Bonne nuit » un par un, comme si la qualité de mon sommeil en dépendait fondamentalement. J’avais également un recoin de mon placard qui faisait office d’autel. Sur celui-ci j’exposais fièrement des offrandes en tout genre : de la simple place de concert au plastique recouvrant le CD que je n’avais pas voulu jeter, en passant par le paquet de chips mangé durant l’expédition au Trabendo et une collection impressionnante de bijoux arborant leur fameux sigle.
C’était également l’hégémonie de Skyblog. Des millions (milliards ?) de blogs émergeaient pour vanter les mérites de ce groupe surpuissant. Autant de petits clones aux couleurs flashy et aux fautes d’orthographes imminentes envahissaient l’Internet. Tokio Hotel, c’était un peu les croisades du XXIème siècle.
Tom Kaulitz mange des pâtes *keurkeurkeurkeur*.
Oh pitain ! Bill Kaulitz dit n’importe quoi ! *keurkeurkeurkeur*
Avec un peu de temps, les fans de Tokio Hotel ont pris du recul sur eux-même. Tout de suite leur est venue, comme une évidence, une notion à laquelle ils se dérobaient depuis tout ce temps : la demi-mesure.
Le pragmatisme
Les fans de Tokio Hotel les aimaient à cause de leurs chansons, rien d’autre. C’était clair, net, précis et surtout pas contestable du tout. La vérité, c’est qu’elles étaient également très amoureuses de chacun des membres du groupe. Quand elles entendaient la voix de Bill y avait des papillons dans leurs culottes, la voilà l’explication.
Les frères Kaulitz avaient des milliers d’amoureuses transies dans le monde entier. C’est un fait inexplicable, mais certain. Ce qui est également sûr, quand on est une gamine de quinze ans, bavant tout les jours sur des posters, c’est qu’il faut très rapidement se faire une raison. Ce n’est pas une barrière qui se trouve entre toi et ton idole, c’est un ravin avec des douves, des ronces et un tyrannosaure qui en garde le passage. Alors la première chose à vite assimiler c’est le côté terre-à-terre qui te rappelle que malgré tes gestes absurdes et tes envolées lyriques enchanteresses, aucun des membres du groupe ne se souviendra jamais de toi. Jamais.
La répartie
Forcément, comme sous tout régime, il y a toujours les contestataires. Ceux qui se la jouent révolutionnaires avec leurs idées à contre-courant. Les fans de Tokio Hotel pensaient qu’ils étaient en marge de la société, dans un mouvement anti-conformiste et plus rock’n’roll que jamais. C’était pourtant eux les ovidés sur certains points. Bref, être un bon fan de Tokio Hotel, c’était aussi savoir braver les trolls du quotidien. De « cool et inédit », T.H. est passé dans le rang des groupes à exterminer de la galaxie dès qu’ils ont rencontré le succès (pour le moins colossal).
J’ai toujours trouvé dommage que Tokio Hotel ne soit pas reconnu à sa juste valeur aujourd’hui. Je ne comprend pas pourquoi la simple évocation de leur nom entraîne des moqueries. Car si je les ai un peu (trop) aimés, je n’ai pas envie de dénigrer toute leur musique. Tokio Hotel c’était de bonnes mélodies, des prestations live qui n’avaient rien à envier à d’autres, un charisme qui a fait leur succès. Certes, c’est peut-être devenu une énorme machine marketing, mais qui n’aurait pas signé à leur place ?
https://youtu.be/UdnmwGk6–c
C’était aussi de bons moments passés entre amis, une introduction au monde de la musique, et plein d’autres choses cools. Alors pouet.
J’ai été très fan de Tokio Hotel, comme beaucoup de jeunes filles en France et dans le monde entier. C’est important de s’en rappeler, pour que notre quête ne soit pas vaine.
Au revoir nobles chevaliers.
Depuis Bill, Kaulitz passe ses jours dans un labyrinthe avec David Bowie.
Te rallies-tu à notre cause ? Es-tu prête à faire ton coming-out en tant que fan de T.H. ?
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