Le jour de leur mariage d’amitié, Justine et Marion portaient toutes deux des fleurs dans les cheveux. « On avait tout prévu, les tenues, les couronnes fleuries et les vœux. Ça s’est passé au beau milieu d’un pré bordé d’une rivière dans les Alpes-de-Haute-Provence », se souvient la première, les yeux encore pétillants. L’histoire de ces deux meilleures amies, de 31 et 34 ans, commence en 2018, dans les couloirs austères d’un collège francilien. Justine évoque un coup de foudre : « Elle a descendu les escaliers et j’ai eu l’impression de la reconnaître, de l’avoir déjà rencontrée dans une autre vie. Je me suis dit ‘Je veux être amie avec elle‘ ». Les deux professeures entament une relation de tendresse et de solidarité surtout. Cette complicité leur offre un espace de soutien alors qu’elles entament une carrière à des centaines de kilomètres de leurs familles respectives. En 2019, elles veulent officialiser leur amitié en organisant un mariage symbolique. « Pour moi, il pourrait y avoir d’autres formes d’amour à reconnaître et honorer », affirme Justine. Marion se souvient d’avoir expliqué le projet aux proches, « tout le monde s’est pris au jeu ». Samantha, une de leurs amies avocate, avait même proposé de lire des extraits du code civil relatifs au mariage.
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Officialiser une relation non officielle
Si l’amitié n’est pas exempte de rituels et de coutumes, elle ne demande aucune reconnaissance sociale, contrairement à d’autres formes d’engagements. Spécialisé en psychologie sociale et auteur d’un essai sur les amitiés (Unlikely Friends: Bridging Ties and Diverse Friendships) le sociologue James Vela-McConnell explique qu’« à l’inverse du mariage ou de la signature d’un prêt immobilier (…), il n’existe pas de rituel social public associé à l’amitié, même s’il existe de nombreux rituels entre ami·es, comme l’échange de cadeaux ». Nos vies sont jalonnées d’expériences officialisées par la loi ou par les pairs : de la pendaison de crémaillère à la signature d’un contrat de travail, en passant par le pot de départ en entreprise ou le sacro-saint mariage. En amitié, il n’y a ni début ni fin. On souffle rarement les bougies « d’amiversaires ». Voilà pourquoi Justine et Marion ont voulu fêter leur amitié. Ces noces n’ont pas uniquement servi à faire la fête au bord d’une rivière, explique Marion qui évoque un pacte profond et féministe :
« C’était aussi une manière de se promettre un engagement à l’autre. Il s’agit de se rendre disponible par exemple. Justine pourra toujours venir vivre chez moi, même si j’habite loin d’elle aujourd’hui. C’est une amitié-refuge, où le jugement n’a pas sa place. »
Marion
L’amitié a beau être une valeur universelle, « elle n’est pas jugée comme importante dans la structure de la société », d’après James Vela-McConnell. Le constat semble dur mais les statistiques ne disent pas autre chose. Plus la vie avance, plus les existences s’organisent autour d’autres idéaux affectifs que celui de l’amitié. Le couple romantique en premier lieu. D’après des études universitaires, il constitue l’un des principaux obstacles aux relations d’amitié dans l’existence adulte. Dans un article publié dans The Guardian, Robin Dunbar, anthropologue à l’université d’Oxford, l’explique de façon chiffrée :
« L’installation dans une relation romantique vous coûte la perte de deux ami·es. Les personnes en couple, contrairement à la plupart des autres qui disposent d’un ‘noyau dur’ de cinq personnes, n’en ont que quatre. Et parmi celles-ci, il y a le partenaire amoureux. »
Robin Dunbar
Accorder autant d’importance à l’amitié qu’à l’amour romantique
Dès lors, structurer ses amitiés, autour d’un événement ou d’un projet commun, apparaît comme un rempart solide pour les faire tenir sur la durée. Laure, Nina et Claire, trois artistes de 32, 33 et 34 ans ont décidé de pousser encore davantage cette vision de l’amitié. À l’issue du confinement de 2020, le trio décide de concrétiser un désir jusqu’alors un peu flou : celui de faire une vie à trois. Nina raconte, par exemple, qu’elle n’avait pas spécialement envie de vivre seule, ni de partager un quotidien en couple. Pour Claire, « il ne s’agissait pas d’une colocation d’adultes, souvent vue comme temporaire. Mais plutôt d’un lien pérenne dans une configuration aussi resserrée que le lien familial ». Leur rêve prend la forme d’une maison écolo et auto-construite à Angoulême, terre d’origine de leur lien d’amitié.
La première étape consiste d’abord à en faire l’annonce auprès de leur famille. « On voulait organiser une fête pour leur parler de ce projet de vie à trois, mais au fur et à mesure qu’on évoquait les festivités… on s’est rendu compte que cela ressemblait de plus en plus à un mariage ! », se souvient Nina, tout sourire. En imaginant cette célébration, les trentenaires se mettent aussi en quête d’un lieu de vie et visitent tout un tas de maisons et de terrains. En mars 2023, le compromis de vente est signé, les travaux vont pouvoir commencer. En revanche, pour convaincre les notaires habitués au PACS et au mariage, il a fallu trouver la parade : « On a créé une société coopérative immobilière, c’est le statut le plus simple pour acheter et le plus protecteur aussi », raconte Laure. Ce projet n’empêche pas Laure et Claire d’entretenir des relations amoureuses avec des garçons qui les soutiennent à fond. « Mais l’amour romantique, ce n’est pas le seul pilier de nos vies, c’est un parmi d’autres », défend la seconde. Pour l’heure, il n’est pas spécialement question d’enfants. Mais quand on leur demande une vision à dix ans, Laure répond : « On sera au bord d’une mare aux canards, juste devant la maison dont il s’en répandra une douceur de vie certaine. »
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