– La photo d’illustration et celles de l’articles sont de Pia.
Je m’appelle Pia, j’ai 27 ans et je suis sans domicile fixe.
Je ne vis pas dans la rue, je suis sans domicile fixe parce que j’ai décidé il y a dix mois de tout plaquer pour partir faire le tour du monde.
J’ai quitté mon boulot tranquille de directrice artistique à Lyon, j’ai lâché mon appart, mes potes, mon chat, ma famille, et surtout ma vie d’avant. Et je me suis barrée (avec mon mec et mon sac sous le bras).
Pourquoi quitter une vie facile ?
Alors pourquoi j’ai fait ça ? Pourquoi j’ai lâché un salaire cool et un boulot tranquille, une vie facile et sans chichis ?
Mon boulot me tuait à petit feu.
Déjà parce que ce boulot me tuait à petit feu… ou plutôt, cette absence de boulot.
Étant dans une période creuse avec 0 budget, je n’avais strictement rien à faire de mes journées et je souffrais de ce qu’on appelle un « bore-out », tombant petit à petit dans un état dépressionnaire difficile à gérer.
La deuxième raison, c’est que mon copain a perdu son emploi dans une agence de pub quand elle a déposé le bilan.
Suite au licenciement, il s’est retrouvé avec une petite cagnotte (les indemnités) et une grande oisiveté. L’idéal pour se lancer dans un projet.
Enfin, la dernière raison (au-delà du fait que je suis complètement givrée, ce qui pourrait être la seule et unique explication pour laquelle je suis partie faire le tour du monde), c’est tout simplement que j’adore voyager.
J’ai eu la chance de grandir dans une famille de routards, j’ai énormément bougé dans mon enfance, ce qui a contribué à alimenter ma soif de découvertes et d’ailleurs.
Tout cela a conduit à un jour en particulier. Avachis sur le canapé avec un verre de vin à la main, mon copain et moi avons décidé que dans un an tout pile, le 8 mai, on partirait faire le tour du monde en sac à dos pendant douze mois.
Préparer son tour du monde
S’ensuivirent des mois de doute, à se demander si c’était une bonne idée, si je ne faisais pas une grosse erreur en quittant mon emploi, si mon couple allait survivre à cette expérience, si moi, j’allais survivre à cette aventure.
À lire aussi : Comment bien choisir tes compagnons de voyage ?
Et puis comment je ferais garder mon chat (l’amour de ma vie) ?
Comment j’allais l’annoncer à mes parents, quelles fringues j’allais bien pouvoir emporter, et comment j’allais pouvoir mettre moi aussi de l’argent de côté ?
Bref, tout un tas de questions qui sont d’ailleurs pour la plupart restées sans réponse.
Les choses se sont accélérées seulement à quelques mois de la date fatidique, quand il a fallu commencer à envisager les questions pratiques, à savoir porter ma lettre de démission et annoncer la merrrrveilleuse nouvelle à mes parents qui en ont fait une syncope.
Mais allez, je suis le vilain petit canard de mon entourage après tout, il a bien l’habitude que je ne rentre pas dans les rangs !
Après avoir tiré un trait sur mon héritage et déshonoré ma famille, quitter mon boulot a finalement été bien plus facile, puisque tous mes collègues m’ont soutenue et poussée dans cette voie.
J’ai été la cible d’un intérêt croissant avant mon départ, puisque chacun voulait savoir quel serait mon itinéraire, comment j’allais me débrouiller sans mes plateformes à talons et si je pouvais les prendre avec moi dans mon sac à dos.
Quant aux fonds, on a mis de côté un maximum pendant un an, en plus des quelques économies que j’avais sur mon compte épargne et des indemnités de licenciement de mon copain.
Sauter le pas… et partir à l’aventure
Est enfin arrivé le 8 mai, mes 26 ans ¾ : j’étais sans emploi, sans indemnités de chômage (puisque j’avais démissionné), j’avais un sac à dos de 11 kilos sur le dos et la tête pleine d’incertitudes.
Et je suis partie comme ça.
Nous nous sommes envolés pour le Vietnam, et ça a tout de suite été formidable.
Je me sentais plus touriste que voyageuse : j’avais envie de tout voir, de tout faire, je ne voulais pas rater une seule minute de découverte.
Je photographiais tout, m’émerveillais de tout. J’étais comme une enfant les yeux grands ouverts, écarquillés devant toutes ces étonnantes choses que je pouvais voir et toucher. C’était dingue.
Je n’étais pas fatiguée, j’étais avide d’apprendre.
Nous avons passé sept mois en Asie. Nous avons traversé le Vietnam, le Laos, la Birmanie, le Cambodge, la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie… puis nous avons quitté la sûreté et le dépaysement asiatique pour partir un mois et demi en Nouvelle-Zélande.
Notre coup de cœur pour le moment, après plus de dix mois de voyage, reste sans conteste la Birmanie. C’est délicat de citer ce pays, parce que c’est une dictature qui en plus commet un génocide dont on parle très peu.
Mais c’est un des États qui m’a le plus émue, désorientée, émerveillée, étonnée… et j’en passe. Une richesse ahurissante au milieu des gens les plus gentils et attentionnés du monde.
Je crois que c’est le pays où j’ai écrit le plus d’articles sur mon blog, et mes photos de la Birmanie ont été sélectionnées par Lonely Planet (une petite fierté), ce qui prouve, je pense, à quel point mes émotions positives ont réussi à transparaître à travers mes clichés.
Au moment où j’écris nous sommes au Pérou, nous avons ralenti le rythme depuis déjà plusieurs mois pour devenir plutôt des « voyageurs ».
C’est-à-dire qu’on en fait moins, mais plus longtemps. On ne cherche pas à tout voir du pays, mais plus à vivre une semaine au même endroit, pour s’imprégner de la culture, vivre comme les habitant•es et surtout afin de prendre son temps et se reposer, parce que voyager, on ne dirait pas mais ça crève !
Après le Pérou nous allons remonter en direction de l’Équateur puis de la Colombie, avant le retour en France début mai.
Les parents de mon copain nous rejoignent pour dix jours, et amènent avec eux la sacro-sainte cargaison de fromages et de vin blanc (et ça, vous ne pouvez pas imaginer comme j’ai hâte !).
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Un nouveau quotidien
J’ai des milliards de choses à raconter. Mes angoisses, mes doutes, mes moments de ras-le-bol, parce que oui, la vie de nomade à travers le monde n’est pas toujours facile, incroyable et pleine d’émerveillement.
Il y a aussi tout le boulot qu’on pond depuis huit mois avec notre page Facebook, notre blog, nos photos, nos vidéos et nos articles de voyage, notre « nom » qui commence à se faire petit à petit sur la toile.
Cela nous prend honnêtement énormément de temps, mais on avait envie de se consacrer au blogging pour garder une activité et ne pas être totalement « oisifs ».
Étant graphiste à la base, cela me permet aussi de continuer à produire du contenu créatif !
Sulawesi
Même si le voyage a remis beaucoup de choses en question côté professionnel et que je n’ai plus envie de poursuivre une carrière dans le graphisme. C’est fou d’avoir autant changé dans ma tête à ce niveau alors que j’aimais tellement mon métier…
Je n’arrive pas vraiment à expliquer ce revirement de situation, mais je pense que c’est en grande partie dû à mon rythme de vie des derniers mois : bouger tout le temps, rencontrer des cultures différentes, parler d’autres langues…
Ça m’a fait prendre conscience que je n’avais plus envie de rester derrière mon ordinateur toute la journée, à « faire du beau ». J’aspire à quelque chose de plus « utile », ou disons avec une dimension plus humaine.
Un voyage transformateur ?
Tenir un blog de voyage est aussi une part importante de mon quotidien, et je me rends compte que j’adore écrire, raconter, faire rire les lecteurs et essayer de les plonger dans ma tête.
Une part de moi aimerait donc se lancer dans le journalisme, comme ça, sans filet de sécurité, puisque je n’ai pas de formation dans ce métier. Et une autre part aimerait devenir médecin, mais ma raison me dit qu’à 27 ans il est un peu trop tard pour suivre sept ans d’études longues et fastidieuses…
J’ai dépassé mes limites et fait des choses qui m’auraient paru impensables avant.
Je pense que cette longue année m’aura surtout fait rencontrer un tas de monde, à la vie parfois à des années lumières de la mienne, que je n’aurais jamais connu dans un autre contexte.
J’ai aussi dépassé mes limites un tas de fois, et fait des choses qui m’auraient paru impensables avant, comme manger des trucs tombés par terre (oui, c’est vrai, j’avoue), ou dormir dans des endroits ultra-crasseux.
Mon mec, lui, est je crois resté fidèle à lui-même. Il n’avait pas vraiment besoin d’évoluer, il avait déjà atteint le dernier grade de son état de Pokémon.
Maintenant il est à fond dans la politique, alors qu’avant de partir il s’en désintéressait totalement. Mais du coup c’est usant, parce que je me tape des reportages sérieux dès qu’on a du wifi.
Une temporalité particulière
Je suis partie depuis dix mois et demi, mais j’ai l’impression parfois que ça en fait 18 ou seulement 3.
Le temps s’écoule différemment ici. On vit au jour le jour, on ne prévoit rien.
On apprend, on découvre, on s’étonne… et parfois on passe des journées dans notre chambre d’auberge à ne rien faire parce que les nerfs lâchent.
Parce que j’en ai ras-le-bol de ne plus voir mes amis. Parce que j’ai peur que mon chat meure alors que je suis loin.
Parce que j’ai envie de bouffer du fromage avec du vin blanc. Parce que j’en peux plus d’être habillée pareil depuis dix mois.
Parce que je ne sais plus ce que j’ai envie de faire en rentrant, j’ai la tête pleine de doutes.
Parce que je trouve parfois que mes problèmes et mes interrogations sont tellement futiles lorsque je vois autour de moi des gens qui n’ont rien.
En Birmanie.
Et après ?
Voilà, je m’appelle Pia, j’ai 27 ans depuis deux mois et j’entame la dernière partie de mon tour du monde.
Le retour me paraît si loin et si proche à la fois : j’ai tellement hâte de rentrer en France, de retrouver mes amis, de manger des sushis avec du fromage et du vin par-dessus, juste pour avoir tous les goûts que j’ai loupés pendant un an en un seul repas.
Mon chat me manque tellement, j’en suis réduite à caresser des peluches de lama dans les magasins.
Et en même temps, le retour m’effraie parce que je sais que le décalage va être immense et que j’aurai l’impression d’être partie la veille alors que les autres auront vécu leur vie sans moi.
Beaucoup de choses vont changer dans notre quotidien.
J’ai à la fois tellement envie de repartir encore mais aussi de me poser dans un chez-moi. Beaucoup de choses vont changer dans notre quotidien, déjà d’une part parce que le voyage nous a rendu végétariens et que j’aspire à devenir végane.
Être végétarienne était un truc qui me paraissait avant impensable, parce qu’il faut bien avouer que j’adore le poulet rôti et le tartare au couteau. Et puis la viande, en règle générale.
Mais en Asie, les gens ont une telle absence de conscience animale qu’au quotidien tu es confronté•e à cette souffrance…
Des poulets entassés dans des cages et trimballés douze heures dans le noir à l’intérieur d’une soute de bus, des chiens et chats errants tellement parasités qu’ils n’ont même plus de poils, des coqs égorgés sur les marches de l’escalier de ton hôtel, les animaux qui se font jeter des rues à coups de pied…
Ce désespoir animal, tu le vois en permanence, tu ne peux pas y échapper, même si au bout d’un moment tu finis par tourner la tête tellement ça en devient insoutenable.
Tout ça a fini par être difficile à gérer, et je me mettais parfois à pleurer quand je me retrouvais en face d’un animal en souffrance. Le pompon sur la Garonne a été atteint à Sulawesi, lorsque j’étais au Pays Toraja, une ethnie aux rites funéraires très particuliers : sacrifices de buffles et de cochons en sont l’apothéose.
J’ai assisté à deux de ces cérémonies funéraires, et ça a été les moments les plus durs psychologiquement de ma vie.
Je ne vais pas les décrire ici parce que c’est vraiment cracra, mais en gros ils égorgent des buffles et des cochons devant toi, avec des enfants de 5 ans qui courent au milieu du sang comme si c’était totalement naturel.
Depuis ce jour, je n’ai plus retouché à un seul morceau de viande.
Après ça, j’ai regardé un reportage génial qui s’appelle Cowspiracy.
Il explique qu’en plus de l’intérêt « affectif » à ne plus se nourrir de viande, il y a aussi l’aspect écologique, puisque c’est à cause de l’élevage de bétail que la planète meurt (55 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues à l’élevage intensif, et il y a l’eau et la déforestation nécessaires pour les nourrir).
J’aimerais bien pousser mes valeurs jusqu’à être végane, mais pour l’instant, cela me paraît encore difficile, parce qu’en voyage c’est compliqué de se faire soi-même à manger et surtout, de décider de quoi on se nourrit.
À lire aussi : Je t’explique mon véganisme (et promis je ne mange pas que des graines !)
En conclusion
À mon retour, je pense définitivement que je vais faire beaucoup la fête et boire d’alcool.
Comme j’ai presque rien bu pendant un an à cause de notre budget restreint et le fait qu’il y a peu de vin ici, je serai probablement complètement bourrée avec un seul verre.
Ce qui n’est pas plus mal, finalement, vu que mon compte en banque sera totalement vidé.
Ah oui, et je vais aussi aller chez le coiffeur, parce que là vous verriez ma tête, vous auriez envie de pleurer pour moi, vraiment. Sauf si vous êtes un cheval, dans ce cas vous seriez ravi•e de pouvoir vous nourrir avec de la paille de premier choix.
En tout cas, je sais que j’ai pris la bonne décision ce 8 mai 2016, lorsque je suis montée dans l’avion et que j’ai regardé les maisons devenir toutes petites et les nuages de plus en plus grands.
Aussi grands que tous les souvenirs que j’ai dans ma tête.
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