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« Faire famille sans homme, c’est politique » : rencontre avec Matergouinité

Sur Instagram, le compte Matergouinité veut rendre visible toutes les maternités, notamment dans les familles homoparentales et monoparentales. Rencontre avec ses créatrices.

Matergouinité, c’est un mot-valise pour décrire une réalité qui manque cruellement de représentations, les maternités lesbiennes. Au quotidien, sur leur compte Instagram, avec des images, les deux créatrices — Elsa et Lisa — pallient ce manque.

Elsa, 33 ans, est journaliste, et Lisa, 35 ans, est développeuse Web et mère de Marek, 3 ans. Elles sont toutes deux colocataires à Bagnolet, en Île-de-France, et nous proposent au quotidien de politiser la maternité avec des photos, des témoignages, des extraits de livres. On y trouve pêle-mêle Amandine Gay, Maggie Nelson ou encore des paroles de militantes.

On a voulu en savoir plus sur ce projet si nécessaire.

« Je me demandais: où sont les gouines mères ? »

Madmoizelle : Comment est né ce beau projet ?

Lisa : Elsa est arrivée dans l’appartement, comme colocataire, deux semaines avant le premier confinement. On a rapidement eu beaucoup de temps pour parler ! On ne se connaissait pas mais on a vite discuté de sujets qui nous intéressent toutes les deux : le lesbianisme et le militantisme.

Je suis mère d’un enfant de trois ans, et je me questionnais depuis longtemps : où sont les gouines mères ? Où sont les mères qui me ressemblent ou qui ressemblent à mes copines ? Quant à Elsa, en tant que journaliste, elle était amenée à chercher des images de mères pour illustrer des articles et mes questionnements ont rejoint les siens : il y a peu de photos — et de récits — de mères qui ne soient pas hétéros, en couple, féminines, blanches, cisgenres…

Or ces femmes là existent bien sûr, mais sont loin d’être majoritaires. On voulait créer une banque d’images libres de droit puis on s’est dit qu’on allait déjà démarrer par un compte Instagram.

En quoi est-ce une démarche politique ?

Lisa : Je pense qu’on est peu à se reconnaître dans l’image traditionnellement associée à la maternité. Si c’est l’unique modèle à disposition, comment se projeter en tant que mère et ensuite, comment vivre une parentalité qui nous convient ? Du coup, j’ai eu envie de montrer qu’on existe, tout simplement pour me rassurer et puis pour me faire plaisir.

Elsa : Remettre en question l’équation mère = hétérosexualité est forcément politique. Revendiquer de faire famille sans homme, sans s’excuser, c’est politique. Et, dans notre cas, cela passe par trois leviers : on poste des photos de mères, des contenus plus politiques comme des extraits de travaux de sociologues ainsi que des posts sur des mères lesbiennes militantes, théoriciennes, artistes… Diffuser la culture lesbienne nous tient à cœur. On a envie que les gens connaissent l’autrice Dorothy Allison, la poétesse Adrienne Rich, l’élue verte autrichienne Faika El-Nagashi ou bien, en France, Wendy Delorme ou Emilie Jouvet, toutes mères et lesbiennes.

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(© Matergouinité)

La maternité lesbienne, parentalité scrutée

Y a t-il des injonctions spécifiques et supplémentaires pour les femmes lesbiennes et les mères solos ?

Elsa : Les mères lesbiennes, si elle veulent être totalement acceptées, « doivent abandonner ou mettre à distance les signes associés à une homosexualité non respectable », dit la sociologue Sylvie Tissot dans Gayfriendly (éd. Raisons d’Agir, 2018). Pour le dire vite : elles ne doivent pas militer activement pour renverser l’ordre établi.

La maternité lesbienne fait partie des parentalités scrutées, observées, jaugées. Voire interdites jusqu’à il y a peu puisque l’accès à la procréation médicalement assistée était impossible pour les couples lesbiens. C’est également le cas pour les mères pauvres ou pour les mères racisées par exemple, comme l’explique Fatima Ouassak dans La puissance des mères.

Cela a des conséquences très concrètes. Dans sa thèse sur les mères lesbiennes, la sociologue Camille Frémont cite une femme qui lui a dit qu’elle avait hésité à inscrire sa fille au foot parce qu’une fille de lesbiennes qui fait du foot, c’était un peu trop… On voit le poids du regard social.

Lisa : Je ne crois pas ressentir d’injonction particulière en tant que mère lesbienne. Mon enfant est encore petit donc ça doit jouer, et puis mon entourage est principalement lesbien. En revanche, j’ai plus de mal à concilier le fait d’être mère et le fait d’être gouine : les sociabilités queer, les événements de la communauté et le militantisme ne sont pas toujours adaptés au quotidien d’une mère.

L’accès à la PMA pour toutes peut-il changer les mentalités ?

Lisa et Elsa : On ne sait pas s’il va y avoir une rupture nette. Cela fait longtemps que la société française est ok avec le fait que des lesbiennes aient des enfants. C’est la lâcheté politique qui a freiné l’adoption de cette loi. Concrètement en revanche, cela va changer beaucoup de choses : moins d’argent dépensé et moins de stress pour les femmes qui veulent se lancer dans ce parcours.

On a du mal à se réjouir parce que plusieurs articles montrent que malgré la loi, les discriminations demeurent dans les services de PMA : les lesbiennes et les femmes seules sont considérées comme non prioritaires. Sans parler du fait que le gouvernement a fait une loi au rabais : pas question de penser à des familles dotées de plus de deux parents, pas question de permettre aux personnes trans de conserver et utiliser leurs gamètes, etc. Et la compagne d’une lesbienne qui veut être enceinte « artisanalement » avec l’aide d’un ami devra toujours adopter son enfant.

Des initiatives et des rencontres

Votre présence sur Discord, c’est pour pouvoir partager son vécu ?

Lisa : Pendant le festival Very Bad Mother de l’été dernier en Bretagne, on a animé un atelier autour des parentalités gouines. Vu qu’on venait des quatre coins de la France, l’idée de créer un Discord pour continuer à discuter et s’organiser localement est née. Une rencontre a d’ailleurs eu lieu en Île-de-France la semaine dernière organisée par une membre du Discord : on était une petite dizaine à boire une bière pendant que les enfants jouaient. Le Discord permet aussi de faire connaître des alternatives supers, comme la Bulle à Rennes. C’est un collectif rennais qui organise bénévolement des accueils d’enfants pendant des manifestations pour permettre aux parents de militer.

Avez-vous d’autres projets autour des maternités lesbiennes ?

Lisa et Elsa : On a surtout envie que le Discord fasse naître d’autres idées et que des lesbiennes, des bis, des personnes trans, parentes ou non, se rencontrent dans la « vraie vie » !

Si vous voulez voir les publications et suivre les actions de Matergouinité, voici leur compte Instagram ! On a grand besoin d’initiatives comme celles-là qui politisent une maternité encore souvent considérée comme appartenant uniquement au domaine de l’intime.

Le mouvement créé par Fatima Ouassak — autrice de La Puissance des mères, le Front de mères, qui vise notamment à lutter contre les discriminations que vivent les enfants, est également salvateur !

À lire aussi : La PMA pour les couples lesbiens et les femmes célibataires est enfin une réalité en France


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