En mars 2020 (lendemain de la Journée des droits des femmes), j’ai posé mes ovaires sur la table. Il aura fallu 30 ans.
Le déclic est venu une semaine début février. Lundi, j’ai surpris un collègue en train de prendre mes fesses en photo. Mardi, un autre collègue m’a donné un coup de badge sur les fesses. Mercredi, j’ai reçu une remarque déplacée.
J’avais atteint, au bout d’un an et demi de mission, ma limite. J’étais déprimée, sur le point de quitter l’entreprise. Je venais au travail la boule au ventre. J’avais déjà quitté une précédente entreprise pour ces mêmes raisons et voir le scénario se réitérer me mettait hors de moi, surtout que cette fois-ci, la mission était hyper intéressante.
J’ai heureusement pris l’habitude depuis, quand j’ai cette sensation de malaise, de prendre des notes sur ce qui me dérange. C’étaient ici les phrases déviantes, mais ça peut être aussi quand je côtoie une personne que je perçois toxique. Cela me permet, une fois les notes accumulées, de ne pas me remettre en cause moi, ou une hypothétique paranoïa, et d’essayer d’agir pour stopper la personne / situation avec des faits à l’appui.
J’ai été voir les autres femmes de l’open space (bon, on est 15 pour 70 bonhommes, dont 20 à problèmes) et une grosse majorité m’a dit : « Oui, il y a un vrai problème ». Et j’ai vu que ma souffrance était partagée et que pourtant, aucune d’entre nous n’avait crevé l’abcès avant. Beaucoup avaient minimisé l’ampleur de la situation ou oublié les phrases. Quand je leur ai lu tout ce que j’avais noté en six mois, elles ont revécu certaines situations et ont réalisé qu’effectivement, elles avaient presque toutes subi régulièrement cette violence.
Je travaillais alors dans le pôle informatique de ma boîte, un pôle crucial, autonome et qui se targuait de suivre ses propres lois par rapport au reste de l’entreprise. La précédente direction de mon entreprise avait laissé faire pendant des années, encourageant même, je cite, « l’esprit village gaulois ». Les phrases déviantes étaient partout, tout le temps, ça faisait partie de la « normalité » de la boîte.
Avec la précédente direction, j’aurais dû faire mon action sans prévenir personne. J’avais l’impression que, de toute façon, j’allais devoir quitter ma mission, soit parce que rien n’allait changer, soit parce que tout le monde allait me tourner le dos après ma dénonciation. Finalement, je suis allée voir la nouvelle direction, je leur ai dit : « J’ai un plan, laissez-moi le dérouler, j’en ai besoin ». Ma directrice, qui tombait des nues, m’a répondu : « Ok tu fais ça et moi juste après… Je les dégomme ».
Selon l’article 222-33 du Code pénal, le harcèlement sexuel est « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. »
« Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. […] »
Comme le rappelle le site du ministère du Travail, lorsqu’il a lieu « dans le cadre des relations de travail, le harcèlement sexuel peut prendre des formes diverses : chantage à l’embauche ou à la promotion, menaces de représailles en cas de refus de céder à des avances sexuelles, etc.. L’auteur du harcèlement peut être l’employeur, mais également un collègue de la victime, un consultant chargé du recrutement, un client de l’entreprise, etc.. »
Quand l’auteur des faits a eu un contact physique avec la victime, il s’agit d’une agression sexuelle, qui est une infraction plus sévèrement punie que le harcèlement sexuel.
Mettre les agresseurs et harceleurs face à leurs actes
Alors un matin, j’ai ressorti plein de phrases et de gestes déplacés que j’avais notés depuis un an, je les ai imprimés chacune sur une feuille A4, en rouge sang, et j’en ai recouvert les murs de l’open space. Ça parlait chatte, cul, sein, viol, c’était carrément vulgaire et oppressant.
Ça a eu son petit effet. Au début, les harceleurs rigolaient en regardant leurs phrases, puis en voyant qu’il y en avait beaucoup beaucoup, ont commencé à faire la gueule et à se taire. Hourra !
Tout le monde ne parlait que de ça, celles et ceux qui n’étaient pas concernés étaient choqués, les cons minimisaient les faits, mais tout le monde débattait.
S’en est suivie une réunion où tout le plateau devait venir. Là, la direction a pris le relais. La directrice a parlé des filles qu’elle avait été voir et même des mecs qui ne comprenaient pas qu’on laisse passer une atmosphère aussi sexiste. Elle a parlé de souffrance psychologique.
Puis, elle a parlé de délit pénal, parce que c’est exactement dans cette catégorie qu’on se trouve. Selon le Code pénal :
« Les faits mentionnés sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ou lorsqu’ils sont commis par un supérieur hiérarchique. »
Code pénal
Quant aux attouchements, on passe à de l’agression sexuelle, et là, c’est cinq années d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Là, le directeur a pris la parole et a annoncé qu’à la première phrase déplacée qui lui serait remontée, il virerait immédiatement la personne. Bon, clairement, ça a cassé l’ambiance dans la salle. Les réactions ont été pour la grande majorité positives. D’autres étaient plus maladroites qu’autre chose : j’ai beaucoup entendu de catégorisation des harcèlements du type « Une main aux fesses ouhlala c’est pas normal, mais un ‘Tu veux sortir avec moi?’ c’est mignon ». D’autres étaient affligeantes, un tocard m’a même dit qu’il ne comptait pas s’arrêter là.
Je lui ai rétorqué qu’à la moindre phrase déplacée de sa part, je le balancerai à la direction et que je n’aurai aucun scrupule. Il est parti en boudant et n’a plus jamais recommencé.
Cette année-là, j’ai parlé, et j’espère laisser derrière cette journée les boulets que je traîne depuis des années : les boîtes desquelles j’ai démissionné parce que je n’en pouvais plus, toutes les fois où j’ai serré les dents sans rien dire, toutes les fois où je me suis sentie tellement seule et ignorée.
Je n’ai jamais éprouvé de regrets, si ce n’est de ne pas avoir écrit les noms des auteurs des phrases sur les affiches. Pour toutes les filles avec moi et pour toutes les filles après moi, il fallait que je réagisse enfin.
Depuis quatre ans, je n’ai plus jamais entendu de remarques déplacées sur ce plateau ;) Beaucoup de ces c*** ont quitté le projet rapidement. Je n’ai pas vécu le phénomène de rejet que je craignais. Donc clairement que du positif.
Si vous êtes victime de harcèlement sexuel au travail, vous pouvez porter plainte contre le ou les auteurs présumés devant la justice pénale.
La plainte doit être déposée dans un délai de six ans après le dernier fait (un geste, un propos…) de harcèlement.
La justice prendra en compte tous les éléments constituant le harcèlement même si les faits se sont déroulés sur plusieurs années. Si la plainte est classée sans suite, et que vous souhaitez poursuivre la procédure, vous pouvez déposer une plainte avec constitution de partie civile.
Vous pouvez aussi prévenir votre employeur via votre CSE. L’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements constitutifs de harcèlement sexuel. S’il n’a pas respecté ses obligations légales de prévention, vous pouvez le poursuivre en justice (auprès du conseil des prud’hommes dans le secteur privé, auprès du tribunal administratif dans le secteur public) pour obtenir une indemnisation.
En tant que victime, vous n’êtes pas obligée d’informer votre employeur du dépôt de plainte à l’égard de l’auteur présumé du harcèlement et vous ne pouvez être sanctionnée pour avoir dénoncé ces faits.
Il est aussi possible de saisir la Défenseure des droits. Ceci tant à l’égard de l’auteur des faits qu’à l’égard de l’employeur.
Source : Service-public.fr
Florilège des phrases et situations vécues par Mathilde et ses collègues
Si vous ne craignez pas d’avoir la nausée, voici le détail de ce qui a été affiché ce matin-là (en brut et sans le contexte, désolée).
« Un collègue a une fille qui passe en jupe : c’est quoi cette tenue ?
(il se tourne vers un manager) – On a le droit de faire du harcèlement ?
Le manager : – Ici on a le droit, c’est un espace de liberté, ici on est solidaires. »
« Tu as des amis dans un autre pôle de la boîte (fait signe de pénétration), tu peux les appeler pour négocier ! »
« Après blague d’une fille, fait mine de donner une fessée. »
« J’ai une question à poser.
– Si je sors avec quelqu’un ?
-Qu’est ce que tu fais ce soir ? Je cherche une amie. »
« Je te prends quand tu veux. »
« Je vais te la mettre. »
« Combien tu la payes ? (à un homme qui marchait dans le couloir avec une femme). »
« Tu vas passer sous le bureau mais je me pousserai, t’inquiète pas. »
« Si je fais ça pour toi, tu me feras des bisous ? »
« Tu veux pas qu’on fasse un enfant toi et moi ? »
« Vous les filles, ça vous fait toujours mouiller hein (en montrant de l’argent) »
« Devoir négocier pour qu’on arrête de parler de mes seins. »
« En parlant d’une fille : ‘elle c’est la pire, d’abord elle te fait les yeux doux et ensuite elle te baise’ »
« Main aux fesses, fait semblant de montrer des choses pour me toucher les seins. »
« Enfin si tu parles de X, ce ne sont plus des abricots. »
« Dis camion. »
« Arrête de bouder, sinon je te mets une fessée cul nu. »
« X te propose d’escalader ses montagnes. »
« Deux qui la tiennent, trois qui… »
« Ça y est, je t’ai re-mise enfin j’me comprends. Je t’ai bien réintroduite, euh.. réintégrée. Je me suis demandé s’il fallait enfoncer le … clou (après m’avoir rajouté sur un groupe WhatsApp) »
« Ça t’excite quand je me touche ? »
« – T’es sexy.
-Si j’étais ta femme et que je t’entendais dire ça a une autre je te quitte direct.
-Faut pas le prendre comme ça, faut être fière.
-En plus tu vois rien de mon corps là.
-Oui mais je devine. »
« C’est dommage que tu remettes ton manteau. »
« Si je monte derrière toi en moto, je pourrais me tenir à tes seins ? »
« On aurait dit que je la violais dans le couloir. »
« Toi, tu as de beaux yeux et des gros seins. »
« Tu viens dans ma chambre d’hôtel ce soir ? »
« Tu lui fais des gâteries ? »
« Tu aimes bouffer des chattes ? »
« Sois soumise et tais-toi. »
« Je peux remplacer le frein à main de ta moto si tu veux. »
« Touche mes seins en faisant semblant de me montrer quelque chose (manœuvre utilisée au moins cinq fois dans l’année).
Moi : – Arrête de me toucher les seins.
Un collègue plus loin : – ça l’excite quand il fait ça, il est en train de soulever la table avec sa bite. »
« Se rapprocher de moi dans le couloir systématiquement pour imposer qu’on se frôle. »
« Main au cul. »
« Tape sur les fesses avec un classeur. »
« Essaye de me coller un post-it sur le pubis. »
« Regard insistant sur les seins, la nana passe à côté, se retourne et se penche pour regarder les fesses. »
« Coup de badge sur les fesses. »
« Photo du cul. »
« Lèche-couilles. »
« Toi quand tu fais du pole dance, tu as pas besoin de te tenir avec les mains. »
« Dommage qu’on se soit pas rencontrés avant que j’épouse ma femme. »
« – Pourquoi t’as les mains moites ?
-Parce que j’avais les mains sur ma bite. »
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