La crise d’ado, c’est comme la varicelle : comme on finit par la choper tôt ou tard, autant la choper tôt, c’est bénin. Tout le monde sait ça. Quand la varicelle se déclare dans une maternelle, c’est ZE moment pour y coller ton gamin, en espérant qu’il l’attrape et la passe vite fait bien fait.
C’est comme ça que j’ai refilé la varicelle à toute ma famille, et que mon père s’est souvenu qu’il ne l’avait jamais eue. Moi j’étais toute mignonne, avec ma gueule de coccinelle et mes points rouges au mercurochrome, et lui, il morflait sévère.
La crise d’ado, c’est un peu pareil. À 16 ans, c’est pas très original. À 26, ça peut surprendre ton entourage. Et faire bien mal, au passage.
Un rite de passage manqué
Si j’ai bien fait ma varicelle à 4 ans, je n’ai pas fait ma crise d’adolescence à 16 ans. Je suis devenue adulte sans avoir à claquer des portes, sans avoir à détester mes parents ni « faire le mur », sans rébellion ni scène de violence dramatique. J’ai quitté l’adolescence sans heurts.
J’ai bien conscience que la crise d’ado se passe aussi, parfois, sans ces clichés de caprices. En y réfléchissant, ce qu’il m’a manqué à cette époque, ce n’était pas de piquer des colères épidermiques, c’était plutôt de tenter des expériences par moi-même. J’avais trop de respect pour les adultes pour remettre en question leurs avis et leurs conseils, même si je préférais m’enfoncer profondément dans la mauvaise foi plutôt que de l’admettre devant eux.
Du coup, au lieu de prendre des claques, prendre des risques, faire des expériences, tenter des trucs sans forcément les foirer, je me contentais d’avoir une (très) grande gueule, mais de faire quand même ce qu’on me conseillait de faire. De « ne te couche pas trop tard sinon demain tu seras fatiguée » à « mais tu sais, la filière S ça ouvre toutes les portes, c’est pas grave si tu ne sais pas ce que tu veux faire après », je me laissais (trop) sagement guider.
Je n’ai pas de regrets, parce que si c’était à refaire, je ferais certainement les mêmes choix. Je les ai faits parce que je les estimais cohérents avec mes envies et mes attentes. Le seul souci dans cette histoire, c’est que j’ai toujours eu des guides dans ces choix. Ils n’étaient pas tout à fait mes choix.
Un vent de rébellion souffle sur la (bourgeoise) bohème
J’étais trop vieille pour faire une crise d’ado. Pensez-vous, 26 ans, bientôt 27, j’avais « passé l’âge », pensais-je avec toute l’arrogance propre à ces réflexions de vieux con. Mais de la même manière qu’il n’y a pas d’âge pour être un vieux con, il n’y en n’a pas non plus pour déclencher sa crise d’ado.
Et finalement, ma crise d’ado est arrivée très naturellement, comme elle aurait pu arriver dix ans plus tôt : en m’opposant frontalement à mes parents.
Envie et besoin de changer d’air, je décide de lâcher mon CDI dans une grande entreprise. Pour… rien, je n’ai aucun plan à côté, juste la ferme détermination de ne plus mettre les pieds dans ces bureaux gris. Bon, il faut bien avouer qu’être en burn out à 26 ans, ça te fait vraiment l’effet d’une grosse gifle que tu n’aurais pas vue venir.
Me voilà en arrêt maladie, « plein le dos » au sens propre comme au figuré d’un job que je veux quitter. Et sans avoir de plan B, en pleine crise économique, pour faire les choses bien. Mes parents étaient en-chan-tés ! Ils se sont naturellement inquiétés, m’ont d’abord conseillée d’attendre avant de prendre une telle décision… Mais pour moi, c’était non. Voilà une décision qui m’appartenait entièrement, et c’était peut être la première fois de ma vie.
J’étais complètement indépendante financièrement, et mine de rien, c’était à mes yeux la seule indépendance qui comptait vraiment. En plus de ça, j’allais être la seule à subir les conséquences de mon choix. C’est MA vie que je m’apprêtais à bouleverser, pas la leur. Et puisque c’est MA vie, j’ai bien le droit de poser une bombe dedans. J’ai envie de repartir de zéro et de tout reconstruire, et aujourd’hui, j’ai une confiance que je n’avais pas à l’époque : j’ai de l’expérience, une expérience de vie qui m’appartient.
I came in like a wreeee-cking ball
Adieu salaire mensuel, studio dans le 17ème, standing social et emplettes dans les épiceries bio. Bonjour chômage, squats de canap’ et produits « marque repère ». Et alors ? Le changement, ça se paie, et comme j’avais aussi des impôts à payer, j’achetais ma nouvelle vie à crédit.
Au début, j’avais tendance à expliquer mes choix. Non, à dire vrai, je me sentais obligée de me justifier continuellement auprès de mon entourage.
- Non, je ne suis pas en train de péter un plomb, j’ai besoin d’exprimer mon excentricité réprimée. C’est pour ça que je me suis fait piercer, d’ailleurs.
- Non non mais les cheveux bleus, c’est pour exorciser mon flux de créativité, ça me permet de mieux me concentrer sur des sujets sérieux (quel tissu de conneries !).
La vérité ? Je me voilais la face. Et pourtant, tous les signes étaient là.
17 ou 27 ans ? ( Y a un piège)
J’écoute de la musique d’ado
Ou plutôt, j’écoutais toujours la même musique, mes premières amours adolescentes : du punk rock, et de la teenage pop.
Ben oui. Mais la pop adolescente est pleine de ces messages d’affirmation de soi, de ces grands élans lyriques pour rebelles en manque de cause. Tout y est dramatisé à outrance, et bizarrement, ça me parle.
Oui, voilà, à me lire, ça saute aux yeux (« comme une bite au cul »). Et pourtant, je m’obstinais dans une justification qui virait au ridicule.
Régression vestimentaire
Attends, tu comprends pas. J’ai détesté porter le tailleur dans mon ancien job. Mais genre dé-tes-té. Je me sentais aliénée vestimentairement. Alors maintenant, c’est normal que mon look se construise en réaction par rapport à cette période, non ?
Sauf que mon look actuel ressemble étrangement au look de mes 17 ans… On fait l’inventaire ? On a le jean large (avant l’avènement du slim, que j’ai toujours eu en horreur de toute façon), on a les Converses (qui étaient encore à la mode dans les années 90, donc ça va hein), on a les T-shirts noirs taillés homme avec des logos et des slogans (au choix : super-héros, groupes de musique, causes politiques et/ou environnementales)…
Et par dessus, le must du must : le sweat à capuche.
Non vraiment, aucune autre analyse n’est admissible. Vestimentairement, j’ai 17 ans.
Et sérieusement, je m’en fous.
Rebel attitude
Comme si ce look ne me trahissait pas suffisamment, j’ai aussi opté pour des tatouages (oui, au pluriel, surprise les parents !), des piercings (au pluriel aussi, oopsie !) et des cheveux bleus.
Je pourrais détailler ici les raisons sentimentales, métaphysiques et forcément profondes qui m’ont amenée à adopter ce look, mais si je devais l’expliquer sans hypocrisie, ça tiendrait en une seule phrase : parce que j’en avais envie !
Je vous emmerde !
Et c’était surtout celui-là, le signe évident que je ne traversais pas « une période de transition », que je ne subissais pas les effets secondaire d’une « reconversion », qu’il ne s’agissait pas des dommages collatéraux de mon burn out. Rien de tout ça. J’étais purement et simplement en train de faire ma crise d’ado, et la preuve la plus évidente était ma propension à dire — verbalement ou intérieurement — « fuck you » au reste du monde.
Aux autres la condescendance, à moi l’insolence, l’impertinence. La crise d’ado, pour moi, c’est faire passer mes propres sentiments avant ceux des autres. C’est faire passer mes ressentis avant ceux des autres. C’est avoir raison sur ma propre perception du monde.
Il y en a que ça choque. Et pourtant, comment appréhender le monde autrement que par mon propre regard ? À quel moment allais-je me faire confiance sur ce point, pendant combien de temps allais-je encore encenser, respecter avec une révérence excessive le point de vue de « mes aînés », ces adultes dont la seule légitimité était celle de l’âge ?
Moi, j’ai aussi de l’expérience, MON expérience, et c’est plus que suffisant : c’est essentiel.
À tous mes proches qui liront cet article : pardon, mais je vous emmerde. Je fais ce que je veux de ma vie, elle est déjà bien assez courte comme ça, pas le temps de m’embarrasser de vos jugements, dont je me fous complètement au passage — et je le dis en toute amitié.
YOLO & fuck you, thank you
Alors évidemment, je prends des risques. Je prends des paris. Je tente des trucs. Je ne sais pas où je vais, je ne suis pas sûre de ce que je fais, mais je suis sûre d’une seule chose : je fais ce qui me plaît. La différence avec la « vraie » adolescence ? C’est que maintenant, c’est « sans filet ». Si je me plante, je vais devoir l’assumer, toute seule, comme une grande. Et le fait est que je vais très certainement me planter, plusieurs fois même. Mais la liberté n’a pas de prix.
Et je reste convaincue que ces échecs sont essentiels à ma construction, qu’ils sont indispensables. Je teste mes propres limites, ces tests sont voués à ne pas toujours s’avérer concluants. Autant l’accepter, autant être en paix avec cette marge d’erreur qui est et restera partie intégrante d’une vie indépendante. On essaie, on se plante, on recommence. Et la crise d’adolescence n’est que l’apprentissage de ce processus.
Alors oui, peut-être qu’à 27 ans, c’est un peu plus spectaculaire qu’à 17. Mais j’ai pas choisi !
Ironie du sort (ou coïncidence ?), j’ai aussi décidé d’arrêter la pilule comme traitement hormonal contre l’acné. Résultat ? Les pustules sont revenues ravager mon visage impunément.
Après le retour de mon acné faciale, j’attends maintenant de tomber éperdument amoureuse. Ça aussi, ça m’avait manqué il y a dix ans. Plus que ça et le kit spécial « crise d’adolescence » sera vraiment complet. J’ai hâte dis donc !
NB : la seule vraie différence avec l’adolescence, c’est que mon estime de moi-même est désormais suffisamment construite pour pouvoir encaisser le ridicule. Sinon, comment aurais-je pu assumer cet article ?
À lire aussi : Le jour où j’ai réalisé que ma vie n’était pas un film
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