« Contre-sens, ma chérie, tu es à contre-sens » : voici comment résumer l’appel lancé par Christelle Yambayisa à Facebook.
Le vendredi 21 décembre, cette mannequin devenue égérie Monoprix s’est retrouvée ciblée par des commentaires racistes publiés sur Facebook, sous la publicité qui la met en scène. Christelle Yambayisa dit en avoir été offensée, et à juste titre.
Destinée à promouvoir une réduction sur la parapharmacie, la photo pourtant bien anodine montre la mannequin souriante, regardant son reflet dans le miroir, sa main sur son visage. Mais comme la jeune femme est noire, les racistes s’en sont donné à cœur joie.
Déferlement de haine raciste sur Facebook sous une pub Monoprix
Après que cette pub a été mise en ligne, le jeudi 20 décembre, Christelle Yambayisa a été la cible de commentaires racistes. Elle raconte :
« J’étais extrêmement blessée. C’est la première fois que je suis attaquée directement […] J’avais le sentiment d’être persécutée, je ne pouvais rien faire — je ne les connais pas, ces gens, c’est différent de la vraie vie. ».
Originaire du Rwanda, Christelle Yambayisa a déjà subi le racisme à l’école, mais là, elle n’hésitait pas à rendre les coups. Ici, c’est différent : face à cette grosse machine de Facebook et au fait qu’elle n’a pas les haters en face d’elle, la mannequin est désemparée.
Très vite, ses proches lui ont conseillé de porter plainte mais elle a refusé ; selon elle, même si elle croit en la justice, « porter plainte contre des gens derrière leurs écrans qui sont peut-être frustrés, ce n’est pas suffisant. »
Face à la prolifération des commentaires haineux, Christelle Yambayisa appelle surtout à souhaite une meilleure réactivité de Facebook pour modérer les propos racistes.
Rappelons tout de même que les propos racistes sont interdits par la loi et punis en fonction de leur gravité, dans la « vraie vie » comme sur Internet. Plusieurs plateformes existent pour signaler tout contenus ou propos illicites, comme PHAROS ou encore Point de Contact. Face au cyberharcèlement, la justice agit parfois ; citons le cas de Nadia Daam, qui a décidé de porter plainte après avoir été menacée sur Internet, une démarche qui a abouti à plusieurs condamnations.
Quant à Christelle Yambayisa, elle a préféré s’adresser directement à la plateforme en postant une vidéo sur Instagram (un réseau qui appartient aussi à Facebook). Refusant de se taire, la jeune femme de 32 ans pose une question :
« Comment ça se fait que vous soyez capable d’utiliser la technologie pour pousser de la publicité, et pas pour faire de la modération de contenu ? »
Voir cette publication sur Instagram
De son côté, Monoprix, contacté par l’agent de la mannequin, refuse de supprimer le post. Sous la publication, l’enseigne a publié un commentaire affirmant :
« Plutôt que d’effacer ces commentaires honteux, nous avons fait le choix de leur opposer notre rejet total. Notre entreprise est engagée de longue date dans la lutte contre toutes les formes de discriminations. L’existence de commentaires de ce type démontre que ce combat doit être mené sans relâche. »
Depuis, grâce au community manager de la marque ou aux modérateurs de Facebook, plus aucun commentaire raciste n’est visible. Néanmoins, cet événement interroge sur la réactivité du réseau social.
La modération à plusieurs vitesses de Facebook et Instagram
Par le passé, d’autres voix se sont fait entendre pour dénoncer une modération défaillante côté Facebook ou Instagram. Car les plateformes sont très réactives quand il s’agit de nudité… Les tétons visibles sur un corps considérés comme féminins peuvent vite aboutir à un bannissement, par exemple, ce que dénonce depuis longtemps le mouvement #FreeTheNipple.
Cette rapidité dans la modération, Christelle Yambayisa aimerait la voir appliquée aux propos racistes ou incitant à la haine, et pas seulement à d’innocentes paires de seins. Difficile de savoir sur quel pied danser tant les critères sur la modération lui paraissent opaques.
Face à ce constat, la mannequin met en garde :
« Si on veut se battre contre le racisme, il faut éteindre tout ce qui lui permet de l’enflammer, même si la justice est là pour sanctionner. Les GAFAM ont les moyens d’agir. Je ne veux pas porter plainte contre X, mais plutôt contre le système qui laisse visibles les commentaires sans agir rapidement. »
Le racisme non modéré sur Facebook, un problème déjà dénoncé par le passé
Ce n’est pas la première fois que Facebook est critiqué pour sa gestion, ou plutôt sa non-gestion des commentaires racistes.
Depuis sa création, la plateforme est régulièrement pointée du doigt concernant la gestions des contenus et des propos à caractère haineux
. Une réalité à laquelle le réseau social a dû commencer à remédier suite aux vastes mobilisations du mouvement Black Lives Matter en 2020.
Facebook a dû faire face à la pression de la part de militants des droits humains réclamant davantage de modération des messages haineux et racistes. Aux États-Unis, la Ligue Anti-Diffamation (ADL) et l’Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur (NAACP) ont demandé aux annonceurs de boycotter la plateforme.
Le mouvement intitulé StopHateForProfit (« Arrêtez de faire de l’argent avec la haine ») a trouvé un écho chez plusieurs très grosses entreprises dont Coca-Cola ou encore le géant des télécoms Verizon — un boycott qui entraîné la chute de 8% de Facebook en bourse, poussant Mark Zuckerberg à s’exprimer sur le sujet. Sur son compte Facebook, il a publié un texte dans lequel il promet une meilleure régulation des messages haineux.
Rappelons toutefois que pour modérer les contenus, Facebook s’appuie sur des algorithmes mais également sur des modérateurs et modératrices humaines, employés par des partenaires contractuels.
Or l’entreprise a été plusieurs fois accusée de soumettre ces salariés et salariées à des conditions de travail indignes. Selon l’AFP, Facebook a accepté de payer 52 millions de dollars aux modérateurs de contenus, en guise de compensation pour les traumatismes causés par leur travail.
La bataille contre le cyber-harcèlement continue
Au-delà de son combat pour une meilleure modération des propos racistes, Christelle Yambayisa dénonce « tous les types de cyber-harcèlement, qu’il soit basé sur l’homophobie, le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie… »
Ne pas laisser faire : c’est le message qu’elle veut transmettre. Avec déjà près de 200 000 vues en quelques jours, son combat semble avoir trouvé un écho.
Christelle Yambayisa ne lutte pas seulement pour se défendre, mais aussi pour les autres, notamment les plus jeunes qu’elle, qui sont particulièrement exposés et exposées à la violence en ligne. Elle déclare à madmoiZelle :
« À mon âge, je peux faire face. Ma petite sœur de 17 ans et son entourage ne peuvent pas, ils sont trop jeunes. Les potes gay de ma soeur sont harcelés sur TikTok, Twitter… C’est horrible. Et trop souvent, tant que ça ne leur arrive pas à eux, les gens ne s’intéressent pas à ce problème. »
Alors que les adolescents passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, la question de leur protection se pose. C’est une des raisons qui a poussé Christelle Yambayisa à s’exprimer sur le sujet.
D’après une enquête sur le cyber-harcèlement de 20 Minutes et Opinion Way publiée au mois de janvier 2020, 53% des 18-30 ans ont déjà subi au moins une situation de cyber-violence sur les réseaux sociaux, un chiffre qui monte à 63% chez les 20-24 ans. Facebook est la plateforme la plus citée comme lieu de harcèlement (81%).
Autre constat inquiétant : le peu de réactions face à la violence virtuelle. 14% des personnes victimes ont dû modifier leur mode d’utilisation des réseaux sociaux ; un quart d’entre elles ne savaient pas que le cyber-harcèlement est puni par la loi…
Porter plainte ou dénoncer ce type d’agressions n’est pas un réflexe évident, pourtant de plus en plus de voix s’élèvent contre la violence en ligne et des structures existent pour accompagner les victimes.
Du côté législatif, afin d’endiguer le fléau du cyber-harcèlement, plusieurs pistes ont été évoquées dont la loi Avia, qui avait été retoquée par le Conseil constitutionnel pour risque d’atteinte à la liberté d’expression en juin dernier.
Plus récemment, l’assassinat de Samuel Paty a relancé le débat autour d’une loi sur la haine en ligne. Le projet de loi sur les « séparatismes » prévoit la création d’un « délit de mise en danger de la vie d’autrui via la divulgation d’informations personnelles sur Internet ». Mais rappelons ce projet divise la classe politique : ses opposants dénoncent son caractère stigmatisant à l’égard des musulmans et son aspect liberticide.
Avec ces différents débats, il s’avère que lutter contre le cyber-harcèlement n’est pas une chose aisée. C’est un vrai travail d’équilibriste entre la nécessité d’agir et celle de garantir nos libertés. En attendant, pour en savoir plus sur le sujet, voici quelques ressources :
- Le site du service public
- Le site de Netecoute.fr
- Le site de la CNIL
- Le site de E-Enfance
Et pour envoyer du soutien à Christelle Yambayisa, rendez-vous sur Instagram !
À lire aussi : Lettre ouverte à mes amis Facebook « décomplexés »
Les Commentaires
Ca se voit que ces réseaux ont été créé par et pour les oppresseurs