« Il ne faut jamais lire les commentaires postés sous les articles des sites d’actualités ! »
Cet adage est bien connu des internautes avisés. Personne n’entend les remarques fleuries de mon grand-oncle aviné devant le 13h de Jean-Pierre Pernaut, mais il peut diffuser ses avis sur « les étrangers » à tout l’Internet, dès lors qu’on lui laisse l’accès à un clavier.
C’est ainsi que la lecture des commentaires sous les articles d’actualité devient trop souvent une immersion dans le pire de la haine ordinaire : racisme, xénophobie, misogynie, insultes…
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Tout ce que la liberté d’expression ne permet pas en France, l’anonymat l’autorise sur Internet. Certains sites d’informations choisissent de fermer purement et simplement la section commentaires, n’ayant ni l’envie ni les moyens de faire de la modération.
France 3 Midi-Pyrénées a décidé de crever l’abcès, en dénonçant ouvertement la violence décomplexée qui se déverse dans les commentaires de ses articles, sous les publications de leur page Facebook.
« Certaines choses doivent être dites »
En réaction à un reportage sur l’arrivée de migrants dans la région, des abonné•es de la page Facebook ont laissé de nombreux commentaires xénophobes.
Fabrice Valéry, le rédacteur en chef adjoint des éditions numériques de France 3 Midi-Pyrénées, réagit à cette déferlante dans cet article intitulé Certains de vos commentaires sur Facebook sur l’arrivée des migrants dans la région sont insupportables :
« Cette « haine de l’autre » est irrationnelle. Elle ne repose sur rien d’autre qu’un sentiment. Peu importe comment on le nomme, « de peur », « d’insécurité ». Irrationnel.
Ce ne sont pas 27 hommes, démunis de tout qui vont changer la vie d’un quartier, d’une ville comme Toulouse.
Ce ne sont pas 250 ou 270 personnes qui vont mettre en péril l’équilibre de notre région.
Vous qui voyez dans ces images des violeurs ou des agresseurs, dites-vous qu’y figurent peut-être le médecin qui sauvera demain votre enfant ou le maçon qui construira votre maison ! »
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Faut-il censurer les commentaires haineux ?
Face à une telle exposition de haine et de xénophobie, faut-il censurer les commentaires pour empêcher la diffusion d’idéologies dangereuses pour le vivre ensemble, et directement menaçantes pour les personnes qu’elles visent ?
La rédaction de France 3 Midi-Pyrénées s’y est toujours refusé, mais rappelle que la liberté d’expression n’excuse pas tout :
« Il y a la loi. Et puis il y a l’esprit. L’esprit, redisons-le, c’est celui de permettre au plus grand nombre de s’exprimer. Mais laisser le droit à l’expression n’empêche pas d’avoir un avis. […]
Nous avons fait le choix de ne pas fermer les commentaires sur Facebook mais sur certains sujets, des internautes, sous pseudonymes ou leur véritable identité, font tout pour nous pousser à restreindre la liberté d’expression.
Nous ne voulons pas nous y résoudre mais nous ne pouvons pas laisser dire des choses fausses et laisser publier des propos insupportables sur notre page Facebook sans réagir »
La nausée
À lire aussi à la fin de l’article, une tribune signée Marie Martin, journaliste à la rédaction de France 3 Midi-Pyrénées : La nausée :
« J’ai honte de ce que je lis. J’ai honte de ce que je comprends. J’ai honte que l’accueil de 4 500 personnes pose problème en France, dans un pays qui compte 60 millions d’habitants. J’ai honte que ce frein vienne de mes contemporains.
Comme ils ont la mémoire courte, ces porteurs d’un discours de rejet et de haine.
Ils ont oublié leurs larmes, devant le journal de 20 heures qui montrait le petit corps d’Aylan, mort échoué sur une plage de la Méditerranée. »
France 3 Midi-Pyrénées brise une omerta
J’ai ressenti un réel soulagement en lisant l’article de France 3 Midi-Pyrénées : je ne suis donc pas seule à être scandalisée par les commentaires que je vois passer sous les articles, les publications Facebook, sur les réseaux sociaux.
Soulagée aussi qu’un média ose prendre clairement position, briser l’omerta quitte à se mettre une partie de son lectorat à dos.
Et mine de rien, cet article me met face à ma propre responsabilité de lectrice. Bien sûr que je ne suis pas d’accord avec cette expression de haine décomplexée, en permanence. Mais je ne prends pas la parole, jamais. Je ne viens pas commenter ces articles pour apporter mon soutien aux migrants, je ne réponds pas à mes connaissances qui partagent des tribunes douteuses, qui font des commentaires ignorants voire carrément xénophobes.
Tout juste si je partage de temps en temps un coup de gueule à « mes amis Facebook décomplexés », mais depuis la publication de ce témoignage, je les trouve de plus en plus nombreux, autour de moi, dans l’anonymat des réseaux sociaux, ces pions de la haine ordinaire.
Au fond de moi, je veux croire qu’on est beaucoup plus nombreux, nous, les gens ouverts et tolérants, c’est juste qu’on ne l’écrit pas sur Internet à longueur de journée.
Peut-être qu’on devrait, en fait. Peut-être qu’il suffirait de décider qu’on ne veut plus laisser passer ça pour « un comportement normal » sur le web, et de prendre la parole pour que la haine finisse par se diluer.
Peut-être. J’ai le droit d’espérer, non ?
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