« Pourrais-tu me faire… ? »
Dans la vie, on va au travail pour faire des choses (je crois que je ne peux pas faire intro plus bateau même en essayant très fort). Pour toutes ces tâches, missions, corvées qui vous sont affectées, on vous rappellera de les faire si vous oubliez ou, plus vraisemblablement, on ne vous dira rien du tout parce que vous êtes censé-e-s savoir pourquoi vous avez été embauché-e-s.
Partant de là, si un collègue vient vous voir en commençant sa phrase par « Dis, tu pourrais me faire… » il y a toute les chances qu’il s’agisse de quelque chose:
- qui ne relève pas de votre juridiction professionnelle (c’est à votre collègue de le faire mais ça tombe sur vous)
- qui ne rentre absolument pas dans le cadre de vos compétences (vous n’avez pas la moindre idée de ce qu’on vous demande mais il va falloir apprendre sur le tas).
Peu importe ce qui suit ce début de phrase prometteur, cette question est avant tout une fausse question. Ce qui rend le « pourrais-tu me faire » vicieux, c’est l’usage du conditionnel. En effet, contrairement aux apparences, il n’est pas admis de répondre par :
L’impératif aurait sa place dans ce genre de requêtes mais c’est le conditionnel qui se pointe. Sournoisement, il attendrit le travailleur serviable. Ce qui fait qu’on rencontre rarement les situations suivantes. Et c’est bien dommage:
« – Pourrais-tu me numéroter les pages de ce dossier (340 pages) à la main ? L’équipe n’a réalisé qu’il manquait les numéros qu’après l’impression et il n’y a plus d’encre dans la machine.
– HAHA JAMAIS. C’est hors de question. Plutôt renverser un paquet de coquillettes et les ramasser avec des baguettes chinoises. »
Ou encore:
« – Tu pourrais me faire un rapport sur la quadrature du cercle pour mardi ?
– Euh non, je suis débordé-e en ce moment.
– Bon, pour mercredi alors. Merci. Salut.
– Hey ! Mais reviens ! Histoire que je t’explique le sens de l’expression « avoir la tête sous l’eau ». »
Viens nager avec moi, tu vas voir elle est bonne.
« Rappelle-moi de… »
La variante du « pourrais-tu me faire » est le « rappelle-moi de ». Ça consiste généralement à te demander de te souvenir d’un truc compliqué, très facile à oublier (sinon on ne te le demanderait pas) et qui ne te concerne pas du tout pour pouvoir mieux te mépriser si tu venais à ne pas faire le dit rappel.
Pour éviter ces situations gênantes, rappelle à ton interlocuteur que l’Homme a inventé les alertes électroniques et les agendas pour limiter les aléas dus aux erreurs humaines. Avoir recours à un autre être humain comme pense-bête est une solution foireuse.
« Toi tu es quelqu’un d’organisé »
« Toi tu es quelqu’un d’organisé » peut trop souvent se traduire par « Toi, tu vas ranger ». La seule variable étant l’objet du rangement : des classeurs d’archives, des pots à crayons, des fichiers informatiques… Si tu as de la chance, tu te retrouveras en charge du plan de table de la réunion ou de la disposition des chaises de l’étage.
Contrairement à ce qu’on a pu te répéter à l’école, il ne fait pas toujours bon être quelqu’un d’organisé dans le monde de l’entreprise. Si par malheur tu l’es (on a tous des tares congénitales, ne t’en fais pas), ne dévoile ton secret à personne. Si tu croises une canette vide abandonnée sur une table, surtout, retiens-toi d’aller la jeter, les managers rôdent et repèrent les esprits rangeurs à 10 km à la ronde.
Laisse plutôt ton bureau dans un état déplorable et envoie des petites boulettes de papier imbibées de café à tes voisins d’open-space.
Non, je ne rangerai PAS !
La variante de cette phrase vicieuse est « Toi tu es bon-ne en orthographe ». Si tu ne veux pas relire les rapports de toute la boîte, pense à laisser quelques fautes dans tes mails. Ça fait toujours bon effet.
« T’as prévu quelque chose pour la pause dej’ ? »
Indéniablement l’une des questions les plus vicieuses du monde professionnel. Toi, jeune innocent-e, tu penses que cette question précède une invitation à déjeuner dehors ou peut-être même une commande de sushis. Ça sent la fête du slip.
Mais en fait non, comme l’illustre la saynète que voici:
– T’as prévu quelque chose pour la pause dej’ ?”
– Oh, non, non rien de particulier. Pourquoi ? Vous faites quoi ?
– Oh, nous on va à la cantine. Mais du coup c’est cool, tu vas pouvoir aider Gérard Relou à boucler le dossier Casse-couilles.
Est-ce qu’ils sont sérieux ? Est-ce que le passe-temps favoris de certains employés consiste à poser des pièges à loup dans les couloirs des entreprises ? Allons-y carrément, qu’ils pensent à t’envoyer à la Poste (fermée entre midi et deux) la prochaine fois ! On rigolera bien.
Soyons clairs : faire miroiter des sushis pour rien, c’est absolument IMMONDE et ça devrait être un crime inscrit dans le code pénal.
Dans de nombreux gratte-ciel, les fenêtres ne s’ouvrent malheureusement pas. Ils ont pensé à tout, les chacals.
La botte secrète contre ce genre de coup bas ? Répondre « j’ai prévu de manger » d’un air soupçonneux et attendre d’avoir davantage d’information.
Sans grande originalité, « t’as prévu quelque chose ce soir ? » fonctionne tout aussi bien sur les novices.
« Y a plus qu’à… » Terminons par un petit cours de physique pour expliquer la notion de Yapluka, un fléau du monde professionnel.
Dans la plupart des entreprises, le niveau d’activité d’un travailleur se mesure à l’aide d’un fossymètre, l’unité de mesure étant le yapluka.
L’originalité de l’appareil est qu’il mesure en échelle inverse. Plus un-e employé-e débite un nombre de yapluka par heure élevé, moins il-elle est actif-ve.
Comme pour les tremblements de terre avec l’échelle de Richter, l’échelle du fossymètre est ouverte. En gros, il n’y a pas de limite pour les faibles niveaux d’activité. À partir de 50 Yapluka, on atteint le coma profond.
Pour réveilller un-e collègue perdu-e dans le cycle des Yapluka, ne pas hésitez à lui répondre par une série de Ifokon (une autre unité de mesure obsolète) jusqu’à ce qu’il change de disque. Cela peut durer un moment.
Et toi, quelles phrases fourbes t’ont déjà piégé-e en plein boulot ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
"Et surtout vous me dites si ça fait trop, hein."
- Euh alors justement, c't'à dire qu'en ce moment en effet je suis un peu char-
- AH ET J'OUBLIAIS il faut me faire aussi ce dossier pour la fin de l'après-midi. Bon je vous laisse filer, autant ne pas perdre de temps ! Bon courage !"