— Publié le 11 septembre 2015
S’il y a une expérience de psychologie dont vous avez au moins entendu parler, c’est bien l’expérience de Milgram. Pourquoi ? Parce que si le nom, là, tout de suite, ne vous dit pas grand chose, les résultats troublants qu’en a tiré le professeur Stanley Milgram ont choqué la planète entière. Et pour cause.
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Entre 1960 et 1963, encore ébranlé par les évènements de la Seconde Guerre Mondiale, le psychologue Stanley Milgram conduit à l’université de Yale une expérience visant à évaluer le degré d’obéissance d’un individu confronté à une forme d’autorité. Pour ce faire, il fait croire à chaque sujet qu’il inflige des chocs électriques à un étranger situé dans une autre pièce à chaque fois qu’il donne une mauvaise réponse… Et observe jusqu’où le sujet est capable d’aller.
Réponse : jusqu’au bout, dans une écrasante majorité des cas.
Cette expérience, qui balançait tout simplement dans nos faces que nous pouvions tous•te•s êtes des bourreaux en puissance, a, vous vous en doutez, fait grand bruit. Scandale, même, puisque les méthodes de Milgram ont été controversées. Et surtout que des années plus tard, en 2015, non seulement on en parle encore, mais Michael Almereyda réalise un film sur le sujet, qui nous replonge dans la même angoisse qu’à l’époque.
Ce charmant film, mesdames et messieurs, c’est Experimenter. Et vous devez le voir. (Si.)
Avec Experimenter, revivez l’expérience
Comment expliquer les actes abominables qui ont été perpétrés pendant la Seconde Guerre Mondiale ? Comment expliquer, tout simplement, la Shoah ? C’est cette question qui pousse le psychologue Stanley Milgram, à une époque où tout le monde a été touché de près ou de loin par la guerre, à conduire cette série d’expériences.
Et c’est également le fil rouge d’Experimenter, réalisé comme un film biographique autour de la vie du professeur.
Le film de Michael Almereyda n’a rien de particulièrement original par rapport à l’expérience telle que nous la connaissons. Le but n’est clairement pas de s’éloigner du sujet pour l’améliorer à coup de fiction bien placée, même si un travail a été fait sur le rythme et l’atmosphère… parce que le sujet sans fioritures suffit à prendre aux tripes.
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Ainsi, on suit la petite vie de Stanley Milgram à partir de 1961, tandis que son expérience de psychologie va bon train et qu’il fait la rencontre, en parallèle, de celle qui va devenir sa femme et compagne jusqu’à la fin de ses jours, Sasha (alias Winona Ryder). Et ce n’est pas pour rien si Milgram, incarné par l’excellent Peter Sarsgaard, se détache par moments des évènements, tel le narrateur omniscient de sa propre vie, pour nous expliquer tour à tour les évènements de sa vie professionnelle et de sa vie privée. En raison des répercussions de son expérience, les deux sont étroitement liés.
Allez annoncer au reste du monde, vous, que vous avez conduit la même expérience avec de nombreuses variantes sur près de 700 sujets différents… Et que parmi ces gens comme vous et moi, plus de 60% sont allés jusqu’au bout de l’expérience. C’est-à-dire jusqu’à la dose maximale d’électrochocs envoyés à un autre individu qu’ils sont persuadés de faire réellement souffrir, puisqu’il hurle dans une pièce voisine.
Certes, dans la réalité, il s’agit d’un complice de l’expérience. Mais ça, ils ne le savaient pas. Et le public, à ce moment-là, de juger :
« Moi, j’aurais arrêté. Après tout, on leur a dit qu’ils pouvaient partir quand ils voulaient dès le début. Moi j’aurais défoncé la porte pour aller le détacher. »
Et vous aussi, moi aussi, en regardant défiler les images pleines de tension du film.
Mais nous serions-nous vraiment comporté•e•s différemment ? Qu’avons-nous de plus que ces centaines de personnes normales, qui se sont transformées en bourreaux alors que cela les rendait malades ? Sommes-nous bien certain•e•s que nous aurions fait mieux ? Terrible, horrible question.
Une angoisse et un déni qui perdurent… de la réalité au film
Experimenter est pour moi une réussite dans le sens où il remet sur le devant de la scène une réflexion toujours extrêmement pertinente aujourd’hui. D’ailleurs, comme il est noté dans le film, l’expérience a été reproduite à plusieurs reprises par la suite, dans des climats et situations différentes, avec des résultats similaires.
Quel est notre degré d’obéissance ? Pourquoi et comment ? L’obéissance est-elle toujours quelque chose de néfaste pour autant ?
Et pour vous dire à quel point le sujet est toujours d’actualité : il choque toujours autant. En sortant de la salle de cinéma, les discussions allaient bon train, argumentant autant sur la qualité du film que sur les méthodes employées par Stanley Milgram — de la même manière qu’il avait été violemment critiqué par les médias, l’opinion publique et même des confrères.
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Il faut dire que les expériences sont reproduites avec un soin et un souci du détail perturbants. On ressent le malaise aussi bien du sujet testé que de l’expérimentateur (ou experimenter) derrière sa vitre teintée, qui observe en silence comme nous, en se demandant ce qu’il aurait fait à sa place. Là-dessus le film d’Almereyda réussit l’exploit de rendre accessible une étude de psychologie dans ses grandes lignes, sans jamais s’éloigner du propos pour le rendre plus intéressant.
C’est vrai, c’est prenant, et, je ne vais pas vous mentir, c’est stressant.
Et accessoirement, tout ça, c’est aussi grâce au talent de tous les acteurs, sans exception. Alors je ne sais vraiment pas ce qui vous retient de vous précipiter dans votre salle de cinéma préférée pour découvrir Experimenter.
Même si c’est pour vous prendre une claque.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Ca m'a fait un bien fou, ce film a une esthétique bien à lui et une façon de narrer l'histoire de Milgram assez intéressante. Ça m'a permis de me remettre un peu de plomb dans la cervelle (et l'adaptation française, à la télé, de l'expérience de Milgram est citée à la fin, c'est chouette ^^).